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Golfe Moyen-Orient

La France est isolée… Mais de qui ?

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De gauche à droite) De Benido (espagne), Carl Bildt (suède) d'un coté, Laurent Fabius (France), Sikorski (Pologne), Karl Erjavec (slovénie) face à Elmar Brok (parlement européen)

(BRUXELLES2 à Vilnius) Le slogan de "la France isolée" — relatée dans quelques médias français jusqu'à encore hier— est un leurre. Et ce leurre devrait s'effacer dans quelques heures. Si isolement il y a, c'est (peut-être) celui des occidentaux dans le monde, face aux pays émergents et à d'autres (*). Mais au sein du camp occidental, ou européen, la France n'est pas seule. Loin de là. En termes politiques, elle ferait plutôt figure de pionnière ou de "premier allié", voire de suiviste. Même si en termes militaires, personne ne se hasarde à suivre. Une configuration difficile à comprendre tant elle est rare depuis... La Fayette !

L'heure du rassemblement a sonné

La publication par la Maison Blanche en marge du G20 d'une dizaine de pays (Australie, France, Italie, Japon, Corée du sud, Arabie saoudite, Espagne, Turquie, Royaume-Uni) en a donné clairement le signal. Cette déclaration condamne l'usage des armes chimiques en Syrie, réclame « une forte résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies » mais surtout affirme son soutien aux « efforts entrepris par les Etats-Unis et d'autres pays de renforcer l'interdiction sur l'usage des armes chimiques ». Une phrase ambigüe qui permet, sans le citer, d'affirmer ainsi le soutien à une action militaire.

Aux autres Européens de se prononcer

La déclaration se termine par une phrase appelant les Européens à approuver cette déclaration (*). C'est tout l'enjeu de la réunion de ce matin à Vilnius. Des pays s'apprêtent à emboiter le pas si on leur demande. Le Danemark par exemple est prêt à dire "oui", ainsi que me l'a confirmé le ministre danois Willy Sovndal hier soir (ven 6 sept) lors d'une conversation informelle. Toute la question maintenant est de connaitre la séquence de ce rassemblement et sa motivation. Il n'est pas question pour les Européens de brûler les étapes. Tous les ministres que j'ai pu interrogés insistent sur un point : la voie de l'ONU est essentielle.

Une question de légitimité et de crédibilité

Il faut, au minimum, attendre le rapport des inspecteurs de l'ONU et tenter d'obtenir une résolution internationale. Une question de « crédibilité » explique un ministre, « de légitimité », insiste un autre. Les pressions pour accélérer le calendrier du rapport sont « ressenties de façon négative » à New-York. Ban Ki Moon insiste sur l'importance d'avoir un rapport qui ait une valeur scientifique, étayée » précise un bon connaisseur des Nations-Unies. Le souvenir de l'Irak est dans toutes les têtes. « Nous devons tenter d'obtenir une résolution du Conseil de sécurité. Nous savons très bien que les Russes et les Chinois la bloqueront. Mais il faut épuiser ce recours. » Et après ? « on verra. Ne brûlons pas les étapes », précise un ministre européen. « Il ne faut pas laisser de prise à la critique ». C'est aussi une manière de mettre les Russes et les Chinois face à leurs responsabilités.

Au premier coup de feu

Derrière ce "on verra", il y a un certain nombre de nuances non seulement entre pays européens mais aussi au sein de chaque gouvernement. Chacun cherche à fixer une ligne, mouvante. D'où le silence de certains, les propos confus ou contradictoires des autres. Mais une tendance se dégage. Peu de pays Européens semblent prêt à suivre et participer à des frappes militaires. Mais aucun Européen ne semble prêt à les condamner. Le poids mis dans la balance des Américains va fait fléchir les plus indécis ou les plus réticents. Le dernier bastion de réticence semble être du côté des "usuals suspects" - résume un interlocuteur : les pays nordiques, l'Autriche, l'Irlande... Au premier coup de feu, « tout le monde se rangera derrière les Américains » précise un autre...

Kerry en campagne

L'arrivée de John Kerry dans la salle de réunion des ministres des Affaires étrangères ce matin à Vilnius a été symptomatique. Chacun placé sagement à sa place attendait de pouvoir le saluer. Un peu comme dans une campagne électorale, le secrétaire d'Etat US a serré les mains, chaleureusement, dit un mot à chacun, plus long à certains (le Roumain, le Grec, par exemple), embrassant l'autre (Emma Bonino), guidé par Catherine Ashton qui présentait ceux qu'il ne connaissait pas (la Croate Vesna Pusic). L'objectif de la réunion est d'éviter d'avoir une division trop importante des Européens. Et côté français, on espère atteindre un consensus pour désigner le régime de Bachar comme auteur des attaques chimiques du 21 août. Pas plus. « Ce serait déjà bien » précise un haut responsable.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(*) « European signatories will continue to engage in promoting a common European position »

La déclaration complète, à télécharger ici

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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