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L’oeil nécessaire du psychiatre en Afghanistan

(BRUXELLES2) Le livre est paru il y a déjà quelques mois. Mais je n'avais pas pris le temps de lire. Dans "Dix semaines à Kaboul. Chroniques d'un médecin militaire", Patrick Clervoy, tient un journal de bord de son séjour à l'hopital des forces internationales de l'ISAF à Kaboul (le KiA) et de ses déplacements au gré des urgences ou réunions à Kandahar, Tagab... Celui qui attend de la littérature romantique peut passer son chemin. Les phrases sont courtes, hachées. Parfois sans vie, comme un récit distant. Mais très vite on est pris dans l'action. Car derrière la sécheresse des mots apparait des destins d'hommes et de femmes engagées.

La vie de l'hôpital des forces internationales à Kaboul demeure rythmée par les "Nine Lines", ces messages qui annoncent en neuf lignes l'arrivée d'un blessé dont l'état est critique (Alpha), grave (Bravo) ou qui peut attendre (Charlie). Les soldats, engagés, victimes directes ou collatérales (celles qui ont vu mourir ou disparaitre un de leurs collègues), passent devant le médecin, ont parfois des difficultés à révéler une histoire, souvent refoulée depuis des mois. Patrick Clervoy est en effet le médecin psychiatre du contingent français. Une présence qui s'est imposée au fil des évènements. Depuis la tragédie d'Uzbin, en 2008, le soins psychologiques directement auprès des troupes se sont imposées au même titre que le réanimateur ou le chirurgien.

Une guerre en deux temps

L'auteur le rappelle. Chaque guerre « génère des troubles psychologiques qui évoluent en deux temps: immédiatement au moment de l'exposition aux combats, puis, insidieusement , plusieurs années après ». Et de rappeler quelques chiffres qui, bien souvent, font froid dans le dos. Car ils ne sont pas toujours glorieux. « Dans les premiers mois de la guerre de Corée, les troupes américaines ont fait face à un taux très levé de pertes psychiatriques, un quart du total des blessés. Lors de la guerre du Kippour, sur les 1500 premiers soldats israéliens évacués, 900 le furent pour des troubles psychiatriques. » Cela c'est pour le premier temps.

Pour le second, ce n'est pas mieux. « La guerre des Malouines, en 1982, fit 214 morts parmi les Britanniques, en trois semaines. En plus de trente ans, 260 vétérans de cette guerre s'étaient donné la mort. Le suicide a emporté un nombre supérieur de vétérans qu'il n'était tombé de combattants au moment des combats. »

Autre chiffre, pour saisir l'ampleur du problème. Ce que les médecins des armées ont appelés le mild trauma brain injury ou mTBI (commotions cérébrales modérées). « En 2008, 300.000 vétérans américains étaient recensés comme souffrant de mTBI. Le nombre sera probablement plus du double après que les forces se seront retirées (...) en 2013. Comme le contingent américain constitue les deux tiers de la coalition, on peut anticiper que plus d'un million de vétérans souffrira de cette pathologie » parmi les forces de la coalition qui se sont déployées en Afghanistan. On comprend mieux ainsi cette phrase du psychiatre qui sonne comme un avertissement. « Que vont devenir les militaires que j'ai vus ici ? Pour certains, le moins possible j'espère, le parcours sera difficile. »

• Dix semaines à Kaboul. Chroniques d'un médecin militaire", Patrick Clervoy. Editions Steinkis. Novembre 2012. 296 pages. Prix : 19,90 €.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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