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Golfe Moyen-Orient

Pour Paris et Londres, en Syrie : lever l’embargo sur les armes ou le chaos !

rencontre bilatérale entre D. Cameron et F. Hollande en marge du sommet européen (crédit : Présidence de la république)

(BRUXELLES2 au Conseil européen) La décision n'est pas prise. Mais c'est tout comme. Quand un dirigeant français et un dirigeant britannique expriment, haut et fort, en long et en large, avec quelques détails qu'ils sont pour la livraison d'armes à l'opposition syrienne, que toutes les autres solutions, politiques notamment, ont échoué, que la situation sur place est grave et que la déstabilisation de toute une région est proche, il ne s'agit pas d'un coup de bluff ou d'un "truc" pour remonter dans les sondages.

Nous sommes ici en face d'une vraie prise de décision, et une possible inflexion dans le conflit syrien qui dure déjà depuis 2 ans. L'offensive franco-britannique est, cette fois-ci, bien préparée. Paris comme Londres (les deux anciennes puissances mandataires de la Syrie...) disposent de munitions dans leur sacoche. Et devant la presse - comme devant ses homologues - F. Hollande a déroulé une panoplie d'arguments pour convaincre (notamment sur le contrôle des armes, voir point 4). La majorité n'est pas acquise... mais l'ébranlement est en route. Explications... La discussion va maintenant se poursuivre dans une autre enceinte.

L'objectif de la manoeuvre franco-britannique : convaincre les partenaires.

Contrairement à ce qu'affirme le président Hollande, les Européens sont pour l'instant majoritairement opposés à une levée de l'embargo. Mais les "esprits bougent". Même l'Allemagne souvent mise en avant - à tort - comme étant le chef de file des opposants se tâte. La chancelière Merkel n'a d'ailleurs pas voulu indiquer clairement indiquer sa position, renvoyant sur son ministre des Affaires étrangères. Et au sein de la CDU, l'affaire libyenne, et l'isolement de l'Allemagne, ont été vécu comme un vrai "traumatisme" que tout sera fait à Berlin pour éviter une pareille bérézina. L'Italie comme la Belgique sont en train d'évoluer, demandant des garanties sur les livraisons d'armes. En revanche, les pays neutres ou non membres de l'OTAN (Autriche, Suède...), les Pays-Bas ou la république Tchèque restent farouchement opposés à toute levée de l'embargo sur les armes. « Nous devons convaincre, faire valoir nos arguments, montrer qu’il y a une étape à franchir » explique François Hollande. La décision peut-être prise au plus tard « avant mai », voire avant. « J’estime que l’Europe doit décider dans les prochaines semaines ».  Et si il n'y a pas d’accord entre Européens ?, le président français refuse d'employer le mot de "veto". Mais c'est tout comme : « Nous prendrons nos responsabilités ».

Les munitions de Paris et Londres

La première est d'ordre juridique. La décision d'embargo, sur les armes comme les autres sanctions, est valable juste pour trois mois, jusqu'à fin mai. Faute de renouvellement, toutes les sanctions tombent (les armes comme les autres). Ce n'est plus aux anti-embargo de soutenir qu'il faut le lever, c'est aux pro-embargo de justifier qu'ils ont raison. Ce sera difficile...

La seconde est d'ordre politique, les deux pays ne sont pas seuls. A l'intérieur de l'Union, ceux qui. A l'extérieur, les Etats-Unis, la Turquie et la Ligue Arabe, voire même des personnalités comme le président israélien Shimon Peres estiment nécessaire la livraison d'armes. Cela pèse...

Le troisième argument est d'ordre médiatique. Les massacres continuent, les reportages s'accumulent. Il sera très difficile à certains dirigeants européens de justifier leur inaction face à leur propre opinion publique. La réalité sanglante en Syrie pourrait bien balayer les dernières hésitations. Les gouvernements qui sont contre « devront venir s'expliquer devant leur opinion publique » lâche un diplomate.

Les arguments pour convaincre

  1. La situation s'aggrave sur place, le régime syrien est armé, la voie politique est condamnée. « Le nombre de victimes s’allonge de jour en jour » explique François Hollande. Nous nous retrouvons face à une « volonté claire d’utiliser tous les moyens, militaires, pour frapper son propre peuple. (Le conflit a causé) 100.000 victimes depuis 2 ans ». « Toutes les initiatives pour ouvrir les discussions politiques, une transition politique ont été ruinées (...) Rien n’a pu être obtenu du régime de Bachar el Assad. » François Hollande reconnait, lui-même, que sa position a évolué. « J’ai longtemps pensé que la livraison d’armement non léthal suffirait. On est dans une asymétrie, avec un régime qui obtient des armes, des matériels, les utilise, a des armes chimiques et menace de les employer ».
  2. La déstabilisation des pays voisins est proche. « Il y a des conséquences directes au Liban » souligne le président. Rappelons que les réfugiés forment aujourd'hui entre 10 et 20% de la population au Liban et en Jordanie. Et comme l'explique un diplomate, le « Hezbollah soutient de façon de plus en plus ouverte le régime d'Assad ». (...) «Le plus grand risque serait de ne rien faire de laisser le régime de Bachar (massacrer la population), que des groupes désespérés se réfugient dans terrorisme, le plus plus grand risque est le chaos... »
  3. La présence d'armes chimiques ? « Il y a des craintes, des menaces quant à l’utilisation des armes chimiques » énonçait le président Hollande lors de sa conférence de presse hier soir. Propos repris, un cran au-dessous cependant aujourd'hui. « Nous n'avons pas d’information. Le régime prendrait un risque extrêmement élevé s’il les utilisait. » Selon certaines informations diplomatiques, « il y a de fortes présomptions d'utilisation d'une arme chimique à petite échelle », autrement dit de façon tactique à l'échelle inférieure à la taille d'un village.
  4. Le contrôle des armes sera assuré par la CNS, les pays de la Ligue arabe et l'assistance technique. « La France a toutes les garanties que les fournitures de matériels seraient dans des mains qui ne seraient pas celles des fondamentalistes. (...) La Coalition donne toutes les garanties. Et c’est parce qu’elle les fournit que nous pouvons envisager la levée de l' embargo. Il y aura un accompagnement, une aide technique, une assistance qui sera fournie et évitera un certain nombre de déperditions. (...) Des pays nous assurent qu’ils pourront assurer le contrôle, des pays de la Ligue arabe. »
    Nb : concrètement cela pourrait vouloir dire qu'il y aura une ou plusieurs unités spécialement dédiées à ces types d'armes (surtout sol-air), qu'il y aura des "personnes de confiance" (anciens militaires sur place, doubles nationaux, contractuels arabes...) insérées dans ces unités, à charge de vérifier que les armes.

Au passage, répondant à une question de B2, le président Hollande a reconnu que des « armes livrées à insurrection en Libye se sont retrouvées dans d’autres champs et d’autres lieux, au Mali et aussi en Syrie » (Nb : aux groupes fondamentalistes et djihadistes). Mais a-t-il ajouté aussitôt c'est une preuve de plus que « pour les armes mieux vaut les contrôler, que de les laisser circuler sans contrôle ».

Sur le Club, les positions détaillées de plusieurs pays à l'issue du Conseil européen

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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