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Mali. Une opération préparée de longue date… (questions et réponses)

(BRUXELLES2) J'avais prévu de faire ce papier depuis quelques jours. Et n'avait pas encore trouvé le temps de rassembler les diverses informations collectées. Heureusement, la RTBF a eu la bonne idée de m'inviter vendredi à la Semaine de l'Info en excellente compagnie — JP Stroobants (Le Monde) et Charline Vanhoenacker (la correspondante RTBF à Paris) — pour faire le tour de cette semaine sous la houlette de Arnaud Ruyssen. Et ses questions m'ont bien aiguillonné... Car je crois que nous nous les posons tous...

Une opération soudaine ou préparée de longue date ?

L'opération au Mali déclenchée le 11 janvier officiellement a pu paraître soudaine à plus d'un observateur. Et chacun a pu être surpris de la réaction française qu'on n'attendait pas aussi rapide et aussi importante. Mais on peut dire que cette opération est tout sauf improvisée au plan militaire comme diplomatique ou policier. Depuis plusieurs semaines, le CPCO (Centre de planification et de conduite des opérations) est en alerte, préparant de façon intensive une réponse. Depuis plusieurs mois, les différents mouvements sur place étaient sous surveillance étroite. Chaque information étant rapportée, découpée et confortée.

Et la première évaluation qui portait à quelques centaines de personnes, faiblement armées, a été rapidement revue à la hausse. « On se trouve en présence de plusieurs milliers de combattants, bien armés » a confié à B2 un officier. Si on ne peut pas qualifier le mouvement d'homogène, « il existe au moins une organisation et une coordination pour aller au combat » de façon beaucoup plus structurée que l'impression transcrite publiquement, avec dépôts logistiques et relais carburants. Le mouvement vers le sud de ces forces a ainsi été décrypté. On peut l'expliquer par la « volonté des rebelles et islamistes d'intervenir avant que les forces maliennes ne soient restructurées. L'annonce de l'imminence du déploiement européen puis africain les a obligés à passer à l'action », nous explique un spécialiste du dossier.

Et le moment de frapper des Français a alors été choisi de façon stratégique, quand le moment militaire comme politique étaient idéals. Comme l'a expliqué JY Le Drian, le MinDéf français dès le 12 janvier. Le renseignement « a permis de détecter les préparatifs d’une offensive importante, organisée et coordonnée par Ansar Eddine, AQMI et le MUJAO, selon deux axes, vers les villes de Mopti et de Diabali ». La demande d'aide malienne et l'intervention française étaient alors évidentes et ne pouvaient susciter plus de discussions...

L'Algérie retrouve son rôle ?

Le ralliement de l'Algérie à l'opération militaire n'est pas non plus inopiné. Un effort important a été mené de conviction. Il ne s'est pas passé dans le pays une semaine sans une visite importante. La visite de François Hollande, le président français, les 19 et 20 décembre, a été le moment le plus visible pour les Français. D'autant qu'elle s'est accompagnée de la signature de l'accord de défense - une demande des Algériens. Mais elle n'a pas été la seule. Plusieurs visites de Français se sont succédé.

Les Américains ont été très présents. Hillary Clinton s'est déplacée le 29 octobre. Mais pas seulement elle. Ces derniers mois, il n'y avait quasiment pas une semaine sans qu'un officiel américain, du Département d'Etat (le sec. adjoint Bill Burns était à Alger début décembre) ou de la Défense, fasse escale dans le pays. Les Espagnols et les Européens s'y sont mis aussi. L'échec de la tentative de médiation entrepris par l'Algérie a achevé de la convaincre qu'il fallait passer à autre chose.

L'Europe n'a rien fait ? L'Europe fournit ce qu'elle sait faire : logistique et transport

Il est facile de railler l'incertitude européenne sur la région. Des soldats européens sur le terrain auraient certainement eu un certain sens symbolique. Mais en termes d'efficacités militaires, du moins à court terme, j'ai plus qu'un doute. Rien ne vaut dans les combats du désert, l'infanterie de marine (la coloniale), la légion étrangère et les autres troupes françaises aguerries au hasard du Tchad, de Djibouti ou de la Côte d'Ivoire. Et, pour consolider l'armée française, quelques centaines de Tchadiens valent bien (2000 en tout), dans l'ardeur au combat et la connaissance des lieux, quelques milliers d'Européens 🙂

Les Européens fournissent, en fait, aux Français ce qui leur manque : des avions de transport (il y en a une dizaine de mobilisés), des moyens de communication et d'observation, des moyens de renseignement (pour les Britanniques surtout. Mais il ne serait pas étonnant que les Allemands apportent aussi une aide, ayant été souvent présents au Mali). Sans cette logistique, le déploiement français serait ralenti et l'opération "Serval" n'aurait pas duré 7 jours. Le ministre malien des Affaires étrangères, T. Coulibaly, a rappelé à Bruxelles une loi intangible des conflits : « la guerre ce n'est pas seulement des soldats, c'est aussi la logistique. » C'est tout le sens de l'appel des ministres français, un peu rude parfois. Il faut que les Européens décoincent rapidement tous leurs moyens disponibles, et pas seulement un ou deux avions. Ce qui a surpris à Paris est le faible engagement en matière de transport aérien, notamment du coté de Londres et Berlin. Le soutien est plus fort du côté des pays francophones, pour preuve l'engagement canadien est équivalent à celui des Britanniques et l'engagement belge équivalent à celui des Allemands.

Un nouvel Afghanistan ? De nettes différences

Comparer avec l'Afghanistan est effectivement séduisant - sur la logique de l'intervention. Mais il y a des différences notables assez nombreuses.

  1. Le terrain est certes immense et désertique. Mais il ne comporte pas la complexité qu'a l'horizon Afghan, avec des vallées qui peuvent être encaissées et des montagnes.
  2.  C'est un terrain que l'armée française connait bien.
  3. L'opération a le soutien de l'armée locale, de la population locale qui peuvent la guider, l'aiguiller, comme de la diaspora présente en France (c'est aussi important que le reste.
  4. Il y a un certain partage de la langue, de la culture et des coutumes. Tout ce qui est malien n'est pas totalement inconnu aux Français.
  5. Les Etats voisins soutiennent l'opération ou à tout le moins sont neutres. Le bouclage des frontières terrestres par l'Algérie est un point crucial tout autant que l'ouverture de son espace aérien. Le pays ne joue pas ainsi le rôle double qu'a joué et que joue encore le Pakistan sur la scène afghane. La grande inconnue reste encore la Mauritanie.

L'opération va-t-elle durer ? Le risque de dispersion

Personne ne peut parier sur la durée de l'opération. Les ministres français de la Défense comme des Affaires étrangères le disent. « Nous poursuivrons ces actions aussi longtemps que nécessaire » explique le ministre Le Drian (le 12 janvier).  On peut être raisonnablement optimiste. L'opération militaire peut être assez rapide en soi : quelques semaines, quelques mois peut-être dans la première phase. Surtout si le déploiement africain est rapide. Le plus difficile sera ensuite de ramener la paix. Il faudra, d'une part, saisir les terroristes et autres criminels puis les juger. Le principal danger de l'opération n'est donc pas en soi l'enlisement. Les Français n'ont pas « vocation à rester éternellement au Mali. C’est aux Africains de mener en première ligne cette action » explique Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères (le 17 janvier à Bruxelles).

Le principal risque est « l'effet de dispersion » comme me l'a précisé un responsable européen. Les rebelles et terroristes risquent de s'égayer dans la nature, et il va être beaucoup difficile pour les saisir. D'où l'importance de la destruction des différents dépôts logistiques, d'ouvrir le dialogue politique, de ramener à la raison à la raison les rebelles, et d'avoir une bonne coopération avec les pays voisins pour éviter la reproduction de la chaudière libyenne ... Sinon les problèmes vont se retrouver demain... en Mauritanie par exemple.

La prise d'otages en Algérie a-t-elle un lien avec l'affaire malienne ? La grave erreur de la Libye

La revendication du groupe terroriste intervenant sur le site gazier de In Amenas de parait de l'opportunisme. La prise d'otages parait davantage liée à la question libyenne et l'absence de frontières bien surveillées. On peut là dire qu'il y a un effet direct de l'intervention internationale en Libye. Les 800 km de frontière entre l'Algérie et la Libye étaient dans le cadre d'un gentleman agreement surveillés uniquement par la Libye. Quand on connait le régime libyen de Kadhafi, cela suffit. Les Algériens n'avaient donc qu'une faible surveillance de ces points. Certains points n'avaient même pas de poste frontière ni d'accès rapide coté algérien. L'effondrement du régime a pris par surprise l'Algérie. Et la frontière est devenue une vraie passoire. On se trouve là face à une grave erreur, la plus grave à mon sens de l'intervention en Libye, l'absence de surveillance des frontières aux alentours.

Le Mali est à reconstruire ? Le plus difficile

On a souvent parlé de l'intervention internationale en Libye comme un facteur déclencheur de la crise malienne. Ce n'est pas tout à fait exact. C'est plutôt un facteur aggravant. « Il a accéléré » la crise. Car le Mali était avant tout un Etat quasi-failli. Avec une armée en pleine décomposition, une pseudo-démocratie, un nord abandonné aux trafics en tous sens. Le fruit était mûr pour que les rebelles et islamistes le saisissent. Il faudra dorénavant repartir sur de nouvelles bases.

Il faut aussi se poser la question comment on a pu laissé enfoncer un tel pays, bénéficiant d'une importante aide européenne (environ 90 millions d'euros par an). Cela mérite plus qu'une interrogation à mon sens. Mais une véritable enquête, voire une commission d'enquête parlementaire.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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