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Un problème éthique…

(BRUXELLES2) Ils sont aujourd'hui nombreux les ex de la Commission européenne à aller pantoufler dans des lobbies à la fin de leur carrière. Quand je parle d'ex, je ne parle pas des politiques, les commissaires. C'est un autre registre et un autre tempo. Je parle de ceux qui sont en charge des dossiers, qui ont une autorité, une expérience, des relations, au plus haut niveau, les directeurs généraux, ou leurs adjoints ainsi certains directeurs voire chefs d'unité placés dans des postes clés. Bref ceux qui ont un excellent carnet d'adresse utile pour un cabinet de lobbying. Il suffit d'examiner quelques uns des associés de certaines sociétés de lobbyings pour s'apercevoir que ce phénomène ne se limite pas à une ou deux personnes mais est très généralisé, surtout dans certaines fonctions. Généralisation qui m'a été confirmé "off record" par un des portes-paroles de la Commission européenne.

Un recrutement sélectif de certains responsables

Le cabinet GPlus fondé par un ancien porte-parole de la Concurrence et pour le commerce, Peter Guilford, est souvent cité par ceux qui s'intéressent au lobbying. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Il y a des cabinets plus discrets, mais tout aussi importants, qui pratiquent le recrutement, très sélectif, d'anciens responsables de la Commission européenne. Pour n'en citer qu'un, prenons par exemple, le cabinet Kreab Gavin Andersen, issu de la fusion de deux cabinets internationaux créés à Stockholm et New York, s’est acquis en 2010 les services de l’ancien directeur général de l’Environnement puis au Commerce à la Commission européenne, Mogens Peter CARL. Le service qui suit les carrières des hauts fonctionnaires à la Commission n’a rien trouvé à redire. Mais ce n’est pas sa seule prise. Il emploie une petite dizaine d’anciens cadres de l’institution européennes, dont l’ancien directeur anti-trust à la DG Concurrence, Sven Norberg, l’ancien DG pour l’harmonisation fiscale et les institutions financières, Ole Bus Henriksen, l’ancien DG adjoint au Commerce et ambassadeur à Genève, Roderick Abbott, l’ancien DG Entreprise, Magnus Lemmel...  Les postes détenus par ces responsables ne sont pas dus au hasard. Ils correspondent bien au core business de l'entreprise et à sa clientèle.

La Commission bonne fille, réembauche

A ce qui peut s'apparenter à une véritable fuite des cerveaux, voire un véritable pompage en règle de ressources intellectuelles, la Commission européenne reste sans mot. Mieux elle n'hésite pas à recourir à ses anciens fonctionnaires pour certaines fonctions. Comme Michel Petite, ancien DG du service juridique, redevenu avocat et consultant chez Clifford Chance. Il a notamment été en contact avec une entreprise de tabac. L'homme est intelligent, réputé pour sa rigueur professionnelle, et dispose d'un épais tissu relationnel car le poste qu'il occupait est des plus élevés de l'exécutif européen (le service juridique de la Commission voient passer et donnent son avis sur tous les projets de directive et litiges judiciaires). Non seulement il a été autorisé à exercer ses fonctions qui l'amènent à croiser des dossiers européens dont il pouvait avoir la charge. Mais il vient d'être renommé au "comité d'éthique" de la Commission ... chargé de donner un avis sur les fonctions que pourrait occuper les commissaires (télécharger la décision ici).

Et ne répond à aucune question gênante

Lors d'une épique question de réponses hier (ici) au briefing de presse — avec mes collègues Spielman (de l'AFP) et Quatremer (Libé et Coulisses de Bruxelles) et Stroobants (Le Monde)— la porte-parole de JM Barroso n'a rien trouvé à redire à cette nomination. « Il n’y a aucun lien entre cette fonction là et les fonctions de M. Petite depuis qu’il a quitté la Commission européenne. (...) Et il n’y a aucune raison de le questionner les qualifications à remplir ses fonctions comme membre du comité ad hoc. » Quant au recrutement prolifique de ses anciens directeurs généraux par des cabinets de lobbying, la réponse du porte-parole de Barroso est éloquente : « C’est étonnant que tu poses cette question. M. Petite a été autorisé explicitement à exercer ses fonctions. Je suggère qu’on en arrête là. »

La nécessité d'une législation plus précise

On peut se poser la question, plus générale, de savoir pourquoi des hauts fonctionnaires se doivent d'aller travailler dans des cabinets de lobbying, alors qu'il y a tant d'autres manières d'occuper ses jours de retraite (écrire des livres, être avocat aux cotés de familles démunies, de consommateurs en détresse ou d'étrangers demandeurs d'asile ; travailler dans des mouvements ou organisations à but non lucratif, des fondations) ... Une manière d'arrondir ses fins de mois peut-être. Mais aussi de garder un pouvoir d'influence qu'ils ont toujours eu dans leurs fonctions. « Ils n'arrivent pas à décrocher sans doute » m'a assuré un fonctionnaire.

Quoi qu'il en soit, il y a actuellement un laxisme de l'institution européenne envers ses anciens hauts fonctionnaires qui est plus que troublante, qui est gênante dans la conduire des affaires européennes. De fait, une suspicion, fondée ou non, va pouvoir entacher nombre de ses décisions, où on se demandera si elle n'a pas été influencée par un de ces "anciens" passés de l'autre coté de la rue. Il ne serait pas illogique d'encadrer de façon plus précise l'activité de ses "ex" en leur interdisant toute fonction lucrative ou dans un cabinet de conseil ou de lobbying quand ils sont en retraite ou en pension.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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