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Avion turc abattu : quelques petites questions… et quelques réponses (Maj2)

(crédit : ministère turc de la Défense)

(Cet article ayant disparu bizarrement... de la base d'articles, nous le rediffusons !)

(BRUXELLES2) Les Européens ont sans doute raison de demander que toute la lumière soit faite sur l'avion abattu en Syrie (lire : Un avion de chasse turc abattu près de la Syrie - les réactions) tout comme l'OTAN devrait le faire ce mardi (lire : Avion turc abattu par la Syrie : que peut faire l’OTAN dans le cadre de l’article 4 ?). Mais s'il y a enquête, cela pourrait risquer de mettre en lumière certains faits qui ne sont pas tout à fait à l'honneur de tout le monde. Car cette "histoire" semble plus que confuse tant du coté des protagonistes (turc ou syrien) qu'international.

Première question : quel est le trajet de l'avion ? Qu'a-t-il fait entre son décollage et son crash ? Quelques dizains de minutes suffisent à un avion à réaction - même pas vraiment neuf, comme un F4 Phantom - pour franchir les centaines de km qui séparent son lieu de décollage de la zone de crash. A-t-il fait un ravitaillement en vol, ou un posé sur une base militaire à proximité ?

Deuxième question : a-t-il survolé la zone syrienne ? Il parait vraisemblable que l'avion turc a survolé la zone maritime territoriale de la Syrie. Les Turcs le confirment à mi-mot, et le fait qu'il se soit crashé au 13e mille (la limite territoriale est à 12 milles) l'atteste d'une certaine manière ? Que faisait-il dans cette zone si ce fait est confirmé ? L'explication donnée par les Turcs du test d'un nouveau système de radar turc est-elle la bonne... et l'unique ? Ne venait-il aussi tester la défense aérienne syrienne, comme l'affirment les Russes ? Etait-ce d'ailleurs la première fois que des avions turcs venaient ainsi "tutoyer" les eaux syriennes ?

Troisième question : était-il armé ? Les Turcs affirment que non. Qu'est-ce que cela signifie ? Est-ce juste qu'il n'avait pas de bombe sous lui. Ce qui parait logique. Ce n'est que lorsqu'il part en mission de bombardement qu'il l'est pas en reconnaissance. Mais n'avait-il pas d'autres moyens de se défendre ? Par exemple un canon. De plus, le fait qu'il ne soit pas armé en tant que tel n'est pas automatiquement synonyme d'amitié 😉 Ce n'est pas en effet un petit avion de patrouille maritime qui se retrouvait ainsi en l'air ?

Quatrième question : volait-il seul ? Les Turcs l'affirment. Généralement les avions de reconnaissance volent en paire, c'est même une règle quasi-obligatoire dans les flottes de l'OTAN. Où est Les preuves doivent donc être faciles à récolter auprès du second équipage. Ce qui expliquerait pourquoi les Turcs n'ont jamais douté qu'il y ait eu accident. Il faut aussi se poser la question si réellement il n'y a pas eu d'avertissement quelconque des autorités aériennes syriennes ?

Cinquième question : pourquoi les Syriens ont "choisi" de l'abattre ? Y-a-t-il eu "sommation" ? C'est-à-dire au moins signalement électronique qu'il se trouvait dans une zone territoriale ? Pourquoi les Syriens n'ont pas pris l'air pour l'intercepter ? Ce qui oblige à se poser la question suivante. Dans ce cas, comment se serait comporté l'avion turc, pris en chasse par deux avions syriens.

Sixième question : qui a donné l'ordre de tirer, et qui a vraiment tiré ? Abattre un avion de chasse, ce n'est pas un simple tir sur un hélicoptère. Il faut une certaine technologie et une certaine aisance avec cette technique. Sont-ce seulement les Syriens qui ont opéré ? Ou étaient-ils "assistés" de conseillers bienveillants ? Si oui, quelle est la nationalité de ces conseillers ? Des Russes ? On ne peut qu'être obligé d'y penser sans en être sûr.

Septième question : pourquoi les Syriens ont pris le risque de déclencher une telle crise ? S'en prenant à un avion turc, ils savaient la réaction qu'ils pouvaient susciter, auprès de l'OTAN. Ce n'est pas la première fois que la Turquie s'abrite derrière l'article 4. Et la Turquie avait prévenu qu'elle ne supporterait pas d'autre incident de frontière. Est-ce un régime "aux abois" qui ne parait plus contrôler totalement la situation (du moins beaucoup moins qu'il y a quelques mois) qui joue son va-tout s'en prenant à un voisin, pas bienveillant, pour jouer la carte nationale ? Probable. Mais pas très efficace. Le message semble à double destination. En interne, alors qu'un pilote à bord de son Mig venait de déserter (la veille) vers la Jordanie, il semble prévenir que les fuyards risquent de mourir ? En externe, ils est à destination de la Turquie - et des autres - montrant que le régime saura se défendre si on veut le "rogner", le "chatouiller", continuer les livraisons d'armes. Et qu'il répliquera donc coup pour coup. Est-ce une explication suffisante ?

(crédit : Hurriyet)

(MAJ) Quelques réponses

Le gouvernement turc a envoyé à ses alliés de l'OTAN un récapitulatif avec le trajet suivi par l'avion. On peut ainsi observer un trajet en trois zigzags, juste entre Chypre et la Turquie, retour vers la côte turque

Un fidèle lecteur de B2 m'a aussi assuré que la trajectoire comme le fait que l'avion est seul est assez logique. Quand on fait des "passes de calibration d'un radar", il est logique, et même conseillé d'être seul. Cela peut "fausser les mesures" car les échos des deux avions "se mélangent si on en formation rapprochée".

Quant au fait de ne pas avoir de sommations, le fait d'avoir un avion qui paraît "menaçant" pour la défense aérienne syrienne ne laisse que peu de temps - 2 minutes à peine pour réagir -. Avec les désertions qui venaient d'intervenir la veille, le commandement n'était peut-être pas sûr de ses troupes, et les équipages ont peut-être été consignés à terre.

Sur l'armement, l'avion abattu est normalement un RF4 Phantom et non un F-4, le R signifiant le terme de reconnaissance.

Les explications continuent sur ce site. La réunion de l'OTAN est prévue ce mardi matin. Et nous aurons certainement quelques éclaircissements, du moins officiels. Lire : Avion turc abattu : l’OTAN condamne et observe

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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