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Pour développer la Pesc, aller lentement, avoir du leadership, une vision politique (Bitterlich) (Maj)

(BRUXELLES2) Joachim Bitterlich était invité par l'EPC pour célébrer les 20 ans du traité de Maastricht en belle compagnie (Jacques Delors, Philippe Maystadt, Antonio Vitorino). Sur le plan de politique étrangère européenne, il a comme on dit "un peu" d'expérience. Conseiller du ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher (1985-87), puis d'Helmut Kohl (1987-1998) sur les questions européennes puis sur toute la politique étrangère et de sécurité extérieure, il a préparé à trois reprises la présidence de l'UE par l'Allemagne. Puis, il a été ensuite ambassadeur auprès de l'OTAN (1998-1999), au moment des frappes sur le Kosovo.

On manque de leadership

Le message qu'il délivre, tout empreint de réalisme, vaut la peine d'être écouté, même si on ne peut pas en partager tous les contours. Même s'il est rude, il tranche en effet avec un certain euro-pessimisme qui semble aujourd'hui ronger chacun. Pour lui, l'Europe peut mieux faire, être plus forte au plan étranger... Mais il faut être patient. « Je conseille à tout le monde de prendre des détours pour arriver à la fin à l’objectif, appliquer la méthode de l’Union, appliquer la différenciation. Et, à la fin, cela se développera, selon ce que j’appelle une 'méthode communautaire renouvelée' (...) Mais avant tout ce que vous avez besoin c’est du « leadership ».

Un caucus européen

Après la conférence, nous avons nous entretenir sur cette position, notamment sur la politique de défense. « Je ne peux pas en parler, il me faudrait toute une journée  pour vous raconter cela » m'interrompt-il. Mais, passionné par le sujet, nous continuons à deviser. Il revient tout de juste de Münich, sur la conférence de sécurité et de défense. « J'ai été étonné par la perte de vision des Ministres. Chacun ne pensait qu'à ses moyens, ses diminutions de budget. Tout le monde n'avait que ces seuls mots en tête ». Pour refuser l'approche européenne, notamment les projets de "pooling" et "sharing" menés au sein de l'Agence européenne de défense, « certains pays invoquent la duplication avec l'OTAN (et son projet de Smart défense), et le coût supplémentaire que cela engendre. Ce qui est un non-sensIl faut, au contraire, donner les moyens et pouvoirs nécessaires à l'Agence européenne de défense ». Il faut aussi aller plus loin, s'interroger sur le futur de la relation entre les deux organisations OTAN et UE, comme entre l'Europe et les Etats-Unis. « C'est le moment d'avoir des initiatives, d'avoir un caucus européen. Les Américains ne pourront pas s'y opposer. »

Le SEAE, la charrue avant les boeufs

Concernant le service diplomatique européen (SEAE), il a un avis tranché. Pour lui, « on a mis la charrue avant les boeufs ». Car on ne peut se passer des Etats membres. En vieux routier européen, J. Bitterlich a une analyse propre de la situation internationale, assez rude, mais somme toute empreinte de son expérience, et de réalité. L'Europe pèse peu par rapport aux grands de ce monde, car chacun part divisé. Et les autres pays ne sont pas dupes. « En Chine, il y a une délégation européenne dirigé par un excellent ambassadeur. Mais aucun Etat n'a retiré son ambassade. Tout le monde continue de négocier, chacun de son côté. Et les Chinois l'ont bien compris. Ils jouent avec chacun, l'un contre l'autre. »

Avoir une vision politique, globale, se reposer sur les Etats membres

Tout l'enjeu apparaît alors de représenter un poids décisionnel important face à un interlocuteur. « Que pèse quelqu'un de la Commission à l'étranger ? » se demande-t-il. Sauf sur les dossiers où ils ont une réelle compétence, un pouvoir - le commerce... - ils ne peuvent pas s'engager, explique-t-il. Pour J. Bitterlich, l'essentiel pour l'UE aujourd'hui est d'avoir : « une vision politique », c'est-à-dire globale, générale, et non pas par dossier. Mais, pour cela, il faut aussi se reposer sur les Etats membres, sur leur puissance diplomatique ou leurs sensibilités diverses. « Par exemple, sur la Russie pourquoi ne pas demander à Angela Merkel, la missionner au nom de l'Europe, pour négocier avec les Russes. Non seulement, elle parle russe mais surtout elle a cette sensibilité nécessaire. »

(Maj) quelques précisions ont été apportées notamment sur le chapitre "Caucus".

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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