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La crise fait ressortir les plaies de la dernière guerre entre Grecs et Allemands

(credit : Wikipedia)

(BRUXELLES2) Les marques de défiance entre Grecs et Allemands sont montées d'un cran avec la résurgence d'un débat qu'on pensait enterrer, les réparations de la dernière guerre mondiale.

Une trentaine de députés grecs issus de plusieurs partis politiques - sauf le Laos et le parti communiste selon la presse grecque - ont ainsi demandé la semaine dernière l'organisation d'un débat parlementaire sur ce point. Selon eux, l’Allemagne a verse? des de?dommagements a? tous les pays concerne?s, sur la base des de?cisions de la commission interallie?e de Paris, en 1946, sauf... a? la Gre?ce. Et ils demandent réparation de cette injustice.

Un débat qui apparaît comme un retour de manivelle aux pressions allemandes sur la Grèce pour qu'elle accepte une plus forte discipline budgétaire. Un débat qui ne peut être aujourd'hui que politique et non plus légal, après l'arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) intervenu vendredi (3 février), qui a clos un long conflit juridique entre l'Italie, à laquelle s'associait la Grèce d'un coté, et l'Allemagne, de l'autre.

Plaignants italiens et grecs

La CIJ vient, en effet, de donner raison à l'Allemagne face à des plaignants italiens et grecs, réclamant des réparations pour dommages de guerre. Les plaignants italiens étaient essentiellement d’anciens militaires italiens internés dans les camps allemands après 1943, quand l'Italie avait changé de camp, rejoignant les Alliés contre l'Allemagne ; plaignants qui n'avaient pas réussi à être indemnisés par les différents dispositifs mis en place entre Italie et Allemagne (*).

Les seconds étaient les ayant-droits grecs du village de Distomo, un village qui subit le 10 juin 1944 un massacre identique à celui d'Oradour sur Glane : les troupes Waffen SS, attaquées par des partisans, s'étaient vengé sur le premier village venu, massacrant hommes, femmes et enfants, laissant plus de 200 morts. En 1995, les ayants droit des victimes obtinrent devant un tribunal grec de premie?re instance la condamnation de l'Allemagne, le 25 septembre 1997, décision confirmée en cassation le 4 mai 2000 mais jamais exe?cute?e en Gre?ce car l’autorisation du ministre de la justice ne fut jamais donnée. Les requérants firent successivement un recours devant la Cour européenne des Droits de l'homme puis devant la Cour suprême en Allemagne, chaque fois ils se virent opposés l'immunité de l'Etat. Ils se tournèrent alors vers les juridictions italiennes pour faire exécuter cette décision, suivant en cela l'exemple donné par les Italiens.

Le droit international humanitaire ne peut l'emporter sur l'immunité de l'Etat

La Cour suit un raisonnement uniquement juridique. Elle ne se prononce sur l'illégalité de l'acte - contestée par aucune des parties d'ailleurs. « En l’e?tat actuel du droit international coutumier, un Etat n’est pas prive? de l’immunite? pour la seule raison qu’il est accuse? de violations graves du droit international des droits de l’homme ou du droit international des conflits arme?s » considère-t-elle. La Cour estime qu'il n'y a pas plus de conflit entre les règles du jus cogens (les règles des conflits armés) et les règles de procédure qui confèrent l'immunité à un Etat, et que l'une ne doit pas prédominer sur l'autre. Les règles « qui re?gissent l’immunite? de l’Etat se bornent a? de?terminer si les tribunaux d’un Etat sont fonde?s a? exercer leur juridiction a? l’e?gard d’un autre ; elles sont sans incidence sur la question de savoir si le comportement a? l’e?gard duquel les actions ont e?te? engage?es e?tait licite ou illicite

(*) Plusieurs dispositifs ont été mis en application pour indemniser les victimes du régime nazi : d'abord le traité de paix en 1947 (visant essentiellement les biens des ressortissants italiens en Allemagne), puis la loi fédérale de 1953 (qui visait quelques catégories de victimes, comme les résidents en Allemagne) et un accord italo-allemand 1961 avec un dédommagement forfaitaire à l'Etat italien de 40 millions de marks allemands, enfin la loi "mémoire, responsabilité et avenir" d'août 2000 qui visait essentiellement les travailleurs forcés. Mais plusieurs catégories de personnes restaient exclus de ce processus d'indemnisation notamment les prisonniers de guerre, qui n'étaient pas civils et pas forcés, selon la Cour constitutionnelle allemande, puisque les prisonniers de guerre peuvent dans certains cas être soumis à un travail...

télécharger le jugement de la CIJ

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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