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Le “génocide arménien”, Sarkozy, la Turquie et l’Union européenne (Maj)

(BRUXELLES2) Avec le projet de loi sur le "génocide arménien", qui vient d'être adopté à l'Assemblée nationale, officiellement pour transposer la législation européenne visant à lutter contre le racisme et la xénophobie (*), le président français fait un pointé à plusieurs bandes : électoral et national d'abord, mais européen ensuite.

Un coup à visée électorale d'abord

Le premier coup est très visible. Ce projet, déposé officiellement par la majorité parlementaire, mais sur un créneau gouvernemental et avec le soutien du gouvernement, est tout d'abord à visée électorale. La minorité arménienne n'atteint pas seulement quelques centaines de milliers de personnes (600.000 en tout) ; elle est surtout concentrée dans certaines villes (Marseille, région parisienne - Hauts de Seine notamment, le département de Nicolas Sarkozy) et peut faire basculer certains votes à un moment crucial. La reconnaissance du génocide était une promesse électorale du candidat Sarkozy en 2007 ; y répondre est une manière de dire : "vous voyez je tiens mes promesses".

Le deuxième coup va venir : il consiste à mettre en difficulté les socialistes, majoritaires au Sénat, qui vont désormais devoir se prononcer sur une question difficile, critiquer le Président et se mettre à dos les Arméniens, ou endosser cette décision et donc donner raison au Président.

Le troisième coup est plus sournois et consiste à miser sur réaction turque. En menaçant de représailles les intérêts économiques français, en réagissant sur l'Algérie et le "génocide" commis par les Français, le gouvernement turc donne surtout au président français un sérieux coup de pouce, puisque celui-ci apparait comme le meilleur défenseur de la France face à l'extérieur (un coup de lustre gaullien n'est jamais mauvais en période électorale). Ce d'autant que la minorité arménienne a plutôt une bonne image en France.

Mais aussi une répercussion sur le processus d'élargissement à venir

Le quatrième coup est plus européen ; il nous intéresse davantage. La position française de Nicolas Sarkozy sur la Turquie n'est pas un secret. Il n'a pas l'âme (ou du moins plus l'âme) à soutenir le processus d'adhésion de l'ancien empire ottoman à l'Union européenne. Plus généralement, il est d'ailleurs réticent à tout pas supplémentaire d'un autre pays dans ce moment de crise. Au dernier Conseil européen, le 9 décembre, il s'est ainsi emporté sur l'adhésion de la Croatie : « c'est n'importe quoi. (...) comment voulez-vous qu'on s'entende à 28 alors qu'on n'y arrive déjà pas à 27 ». Joignant le geste à la parole, il a d'ailleurs boudé la cérémonie de signature du traité d'adhésion croate.

La réaction turque fournit aujourd'hui aux Français un solide argument, irréfutable, pour refuser toute avancée nouvelle dans le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Cette perspective qui semblait de plus en plus hypothétique (y compris pour les Turcs) pourrait être ainsi, demain, réduite à quasiment à zéro. Car la France n'est pas isolée sur ce sujet, l'Allemagne ou l'Autriche - sans compter Chypre et la Grèce - sont également réticents à ce processus. Et nul ne sait toujours comment vont se dérouler les relations turco-européennes à l'aune de la présidence chypriote de l'Union européenne qui débute dans quelques mois, le 1er juillet...

(*) Décision du 28 novembre 2008 oblige chaque Etat à sanctionner « l’apologie, la ne?gation ou la banalisation grossie?re publiques des crimes de ge?nocide, crimes contre l’humanite? et crimes de guerre ». En droit français, seule la "banalisation grossie?re publique" de ces crimes n'est pas encore couverte par le droit pénal, selon la commission des lois de l'Assemblée nationale. C'est sur ce point que le projet français concerne essentiellement la transposition de la norme européenne. Sur les autres éléments (le génocide arménien), le droit européen est muet ; il n'exige pas de qualifier de génocide tel évènement dans l'histoire.

Le texte du projet de loi sur le site de l'assemblée nationale ainsi la video de la séance du 22 décembre

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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