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Le Danemark veut être plus offensif sur les pirates. Sa stratégie 2011-2014

(crédit : ministère danois de la Défense)

(BRUXELLES2) Juste avant les élections (qui se sont déroulées jeudi), le gouvernement de L.L Rasmussen a adopté une stratégie contre la piraterie 2011-2014. Texte intéressant car il traduit pour le Danemark, une volonté toujours marquée d'avoir une approche plus offensive, avec éventuellement bombardement des bases pirates et emploi des forces spéciales pour neutraliser les bases pirates au sol. Il transcrit - en termes parfois précis, parfois plus flous -, son approche sur différents points : une continuité d'engagement  militaire avec des moyens navals et aériens sur la période, une ligne directrice sur l'emploi de gardes privés à bord des navires battant son pavillon, comme sur la poursuite des pirates en justice, une contribution de 200 millions de couronnes à la stabilisation du pays… Une question fondamentale pour le pays de la petite sirène, qui détient environ 10% du trafic maritime mondial. Chaque jour 20 à 40 navires battant son pavillon se trouvent dans les zones à risque.

Taper plus fort

Le Danemark s'engage à fournir à l'opération Ocean Shield de l'OTAN un navire sur zone pour une période de 6 mois ainsi qu'un avion de patrouille maritime pour plusieurs périodes, plus courtes, à définir.

Mais les Danois militent surtout pour « un mandat plus robuste » de l'effort international, pouvant aller même jusqu'à « viser les équipements et installations pirates à terre ». Ceux-ci pourraient être détruits avec « l'utilisation de bombes à guidage de précision (lasers ou thermiques). Et si cela n'est pas possible - et dans des cas spécifiques - on pourrait envisager le déploiement de forces spéciales ».

Certes le risque et le coût de telles opérations doit bien être pesé avant toute initiative, rappelle le document. Il peut y avoir un « risque pour les troupes déployées comme pour les civils », sans compter la « situation des otages des pirates qui pourrait être rendue plus difficile et dangereuse». En outre, il faudrait que de telles initiatives soient approuvées par un « large groupe de pays et (soient) conduites en coopération étroite avec les partenaires internationaux, notamment au sein de l'OTAN ».

Une action plus offensive peut aussi être dirigée dans des opérations de récupération d'otages à bord des navires capturés. Ces opérations sont « déjà possibles aujourd'hui sous un commandement national avec un support éventuel de l'OTAN » et qui nécessitent (normalement) d'obtenir « la permission des Etats de pavillon connus pour avoir des membres de l'équipage à bord » du bateau concerné.

Encadrer les gardes armés

Le Danemark ne veut plus utiliser de forces militaires à bord des navires danois, sauf circonstance exceptionnelle. Des militaires armés ont été utilisés dans le passé à bord de navires danois qui avaient un objectif précis car ils transportaient de grandes quantités de matériel militaire pour les troupes danoises engagées en Afghanistan ou pour accompagner des navires du programme alimentaire mondial pour la Somalie (des équipes de réaction rapide du Thetis avaient alors été déployées à bord de ces bateaux). « Cette option ne doit pas poursuivie (...) Cela créerait un précédent indésirable. (...) Cela ne servira pas les intérêts danois à long terme si ces tâches de protection national sont effectuées au détriment de la coopération internationale. En outre, cela n'est pas d'un bon rapport coût-efficacité dans l'utilisation des ressources militaires »

Sur l'usage des gardes privés, une évolution s'est produit, reconnait le document. Le Danemark a été « très réticent à l'idée de permettre l'utilisation de gardes privés à bord des navires danois ». Une position basée sur une « réticence de principe à octroyer aux gardes privés la permission d'utiliser des armes mais aussi car par crainte d'une escalade dans les moyens utilisés par les pirates pour capturer des navires ». Mais le gouvernement danois avoue avoir une approche désormais « plus ouverte » sur la question ; évolution due à l'extension du rayon d'action des pirates et la difficulté des forces maritimes internationales à être partout ainsi qu'à une forte pression de l'industrie maritime. L'armateur aura la possibilité d'introduire une demande ad hoc pour obtenir une autorisation de ports d'armes pour les gardes privés. L'utilisation de gardes privés à bord ne devra « pas être plus longue que nécessaire pour répondre à une menace extraordinaire et spécifique sur le navire en question ». « Ce n'est pas une « solution de long terme » précise le document. Mais il est avéré que « la présence de gardes armés fournit une protection efficace contre une attaque pirate ». Le gouvernement veut veiller à ce que la procédure de demande ne soit pas « trop bureaucratique » mais dans le même temps s'inquiète de ne pas pouvoir disposer de données personnelles sur les gardes privés utilisés dans une autorisation de port d'armes.

Le Danemark veut aussi préconiser l'utilisation de "lignes directrices internationales pour l'utilisation de gardes privés. De telles lignes devraient « permettre d'éviter des incidents où les gardes armés contribuent à une escalade de la situation, causant en conséquence du danger pour le navire et son équipage

Poursuivre en justice les pirates

Le Danemark avait un accord avec le gouvernement kenyan pour pouvoir transférer des pirates en jugement ; accord expiré depuis septembre 2010 (NB : le Kenya a suspendu ou annulé tous ses accords internationaux préférant un accueil au "cas par cas", accueil réduit au strict minimum depuis). Il affirme vouloir continuer à signer des accords bilatéraux avec d'autres pays (NB : le pays ne bénéficie pas en effet des accords signés par l'UE avec les Seychelles et l'Ile Maurice, ne participant pas à l'opération Atalanta).

La poursuite devant les tribunaux nationaux semble être une solution prisée dans plusieurs pays. Selon un bilan établi par l'UNODC en mars 2011, 946 personnes ont ainsi été traduits pour fait de piraterie devant des tribunaux dans 18 pays du monde. Mais le Danemark reste sceptique sur une piste débattue au sein du groupe de travail international : poursuivre également la possession d'équipements de piraterie (et non seulement l'acte de piraterie). Cette disposition pourrait « entraîner un certain nombre de complications juridiques ».

Le code pénal danois (§183) sanctionne actuellement le fait de piraterie et permet l'application des règles ordinaires de procédure. Une disposition jamais utilisée pour poursuivre des pirates doit-on préciser. Le Danemark va mettre en place un groupe de travail - composé de représentants du ministère de la justice et des Affaires étrangères pour « examiner de façon étroite les dispositions de la législation nationale relatives aux opérations anti-piraterie ». Un examen qui sera mené en liaison avec le travail mené dans d'autres pays (NB : France, Espagne, Belgique...)

Commentaire : le Danemark marque un engagement indéfectible et résolu contre la piraterie. Ce document a l'avantage de ne pas éluder certaines questions délicates. Cependant on ne peut être que frappé par la position plus qu'ambigüe du petit royaume nordique. Il milite pour une poursuite en justice des pirates mais n'a toujours pas adapté sa loi nationale pour ce faire et n'a, jusqu'à présent, jamais traduit en justice de pirates présumés contrairement à une dizaine d'autres pays dans le monde (Allemagne, Espagne, Pays-Bas, France dans l'UE). Il ne met en place que maintenant un groupe de travail sur la question alors que la piraterie fait rage depuis 3 ans. Les navires danois qui mettent la main sur des pirates les relâchent quasi-systématiquement à moins qu'un autre pays ne les juge. Il prône une plus importante coopération internationale mais ne l'envisage que rarement au sein de l'UE. Il est vrai que le Danemark bénéficie d'un opt-out en matière de missions militaires de l'UE ; ce qui est quelque peu contradictoire avec le tempérament du pays profondément engagé dans de telles opérations militaires ailleurs.

consulter le document dans les docs de B2

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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