B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Actu BlogBalkansMissions Opérations

Les policiers Américains dans Eulex : un peu indisciplinés…

Les Américains suivent avec grande attention la mission "Etat de droit" (Eulex) que les Européens ont déployé au Kosovo. Mais ils estiment qu'elle ne va pas assez loin et qu'elle n'est pas assez robuste. Au sein de la mission, les policiers américains se sont ainsi plusieurs fois heurté à leur hiérarchie, n'hésitant pas parfois à contourner les ordres pour démontrer le bien-fondé de leurs positions. C'est ce que révèle un télégramme, rédigé le 8 avril 2009, par l'ambassade américaine à Pristina et publié par Wikileaks. De façon générale, on ressent que la présence américaine au sein de la mission Eulex n'est pas symbolique mais qu'elle entend bien peser sur le sens de la mission (en faveur des Kosovars). Les Américains ne se gênent pas pour constater, de façon abrupte, que les Européens semblent être un peu trop gentils avec Belgrade et pas assez avec Pristina.

Américains frustrés de ne pas agir avec la force

C'est surtout la composante police qui recueille les critiques des Américains. Les policiers américains expriment ainsi leur "frustration concernant l'approche 'mains levées'  et l'absence d'autorité exécutive quand ils opèrent sur le terrain". Les officiers à Mitrovica ou à la frontière "n'ont pas l'autorité 'exécutive' pour faire appliquer la loi ou faire des arrestations pour des infractions commis en leur présence. Ils peuvent seulement améliorer les activités de MMA (Monitoring, Mentoring and Advising ou Observation, Encadrement et Conseil) et agir en dehors de ce mandat peut les exposer à des sanctions disciplinaires. (...) Eulex a ainsi refusé de déployer des officiers dans des situations où ils pourraient se trouver obligé d'agir en légitime défense, les seules situations où la présence internationale sera la plus bénéfique" explique le diplomate américain.

Quand les Américains contournent les ordres

Par exemple lors des manifestations en mars dans l'enclave serbe de Silovo, il n'y eut pas initialement de réponse des policiers d'Eulex. Pour intervenir, les officiers américains qui travaillent au poste de la Kosovo Police "convainquent alors les commandants kosovars d'aller sur place, ce qui crée un cadre pour les officiers US d'observer le comportement des commandants sur le terrain." Le tour est joué. Mais, ce faisant ils "s'exposent à un danger personnel pour avoir quitté ce qu'Eulex considère comme leur premier poste" (en d'autres mots un cas de désobéissance).

Le problème avec les 5 Etats qui n'ont pas reconnu le Kosovo.

Les représentants d'EULEX ont mille soucis avec les 5 Etats qui n'ont pas reconnu Eulex. D'un point de vue oérationnel, cela empêche EELX de "développer une politique conséquente qui identifie la loi du Kosovo comme le seul système juridique applicable". D'un point de vue politique, cela complique la tâche de tous les jours. Madrid et les quatre autres capitales qui n'ont pas reconnu le Kosovo" viennent se plaindre à Bruxelles à chaque rapport de routine qui pourrait suggérer qu'Eulex brise son statut de neutralité, et sorte de son mandat prévu par la résolution 1244". Et Bruxelles, à son tour, vient remonter les bretelles à Eulex.

Eulex Justice et Eulex Douanes

Mis à part la question de la loi applicable, la composante justice d'Eulex et, encore plus, la composante Douanes recueillent en revanche des remarques positives voire des louanges. La composante Justice d'Eulex " a obtenu certains succès dans la relation d'encadrement développée avec les juges et procureurs au Kosovo. Le retour est positif et la coopération avec les programmes US est bonne". Entre autres résultats, le diplomate américain note la réouverture du tribunal à Mitrovica a été rouverte et la conduite de plusieurs procès. Quant à la composante Douanes d'Eulex, elle a développé un "rôle d'encadrement, d'observation et de conseil avec le service des douanes du Kosovo et a graduellement augmenté ses activités depuis décembre 2008. La coordination entre le chef de la composante Paul Acda et (son homologue kosovar) Naim Huruglica est spécialement forte et transparente".

Le drapeau américain oublié, le britannique présent. Damned !

Lors de l'inauguration du nouveau QG d'Eulex, aucun drapeau du Kosovo n'était présent, remarquent les Américains. Mais surtout il n'y avait aucun drapeau américain ou turc, qui cependant participent à la mission, alors que tous les drapeaux des 27 étaient là, y compris le drapeau britannique - remarquent les Américains vachards - "alors que le Royaume Uni a annoncé le retrait de la plupart de son contingent d'Eulex"...

Au final, Bien mais peut mieux faire

EULEX a connu un certain succès - son déploiement et sa réponse efficace aux flambées de violence à Mitrovica (De Kermabon a été "réceptif à nos conseils" note le télégramme), ainsi qu'un nombre croissant d'affaires judiciaires conclus. Mais sa prudence en s'en tenir à la neutralité du statut et la définition de sa mission purement technique est "une sérieuse limitation". À l'heure actuelle EULEX a une "influence stabilisatrice, en aidant à assurer l'ordre public en l'absence de consensus international sur le statut du Kosovo, mais elle pourrait rapidement être paralysée par ses propres limites politiques" résume le télégramme.

Les recommandations des Américains aux Européens

Si EULEX "la plus grosse et plus ambitieuse mission de la PESD à ce jour", note le télégramme, (veut) réussir, elle doit encore "faire des progrès sur les questions essentielles du nord". Encore faut-il - notent les Américains - que Bruxelles "applique une pression égale sur Belgrade et Pristina". Le diplomate américain juge ainsi que Bruxelles s'aligne trop sur les "exigences politiques de Belgrade et s'aliène leurs homologues kosovars".

Lire le télégramme

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®