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Incidents en Libye, l’OTAN s’explique, photos à l’appui

(crédit : OTAN)

(BRUXELLES2) Kadhafi a marqué, récemment, un point dans la guerre, médiatique, qui l'oppose à l'OTAN, par communication à la presse et télévision interposées, en affirmant que les derniers bombardements, à Tripoli et à Sorman, dimanche et lundi, ont fait, respectivement 15 et 9 victimes civiles et la photo d'un hélicoptère abattu. Malgré quelques réactions, l'OTAN paraissait clairement en retard d'une déclaration sur le dirigeant libyen. Elle a tenté, aujourd'hui, de redresser la barre. Démonstrations orales et photos satellite à l'appui, le commodore Mike Bracken, porte-parole de l'opération Unified Protector a tenu à montrer les origines de chaque "incident", en les distinguant bien.

Trois incidents séparés

"Ces trois incidents sont totalement séparés : dans le premier cas, une situation inextricable ; dans le second, un défaut d'une de nos armes ; dans le troisième, c'était une frappe qui visait clairement une cible identifiée" a expliqué Mike Bracken qui s'exprimait par video-conférence du QG de Naples.

1er incident, Brega, vendredi, l'OTAN frappe une colonne de véhicules qui semblait menacer des civils. Mais c'est un des véhicules des rebelles qui a été atteint par un tir de l'OTAN. "Nous le regrettons" explique Mike Bracken. Mais la situation était "particulièrement complexe" entre les forces d'opposition et celles pro-Kadhafi.

Remarque : Dans cet "incident", on ne peut pas parler - a priori - de bavure puisque le mandat officiel de l'OTAN n'est pas de soutenir les forces du CNT contre celles de Kadhafi (même si dans la réalité c'est le cas), mais de protéger les civils libyens. Que des combattants meurent au combat est un risque. Il s'agit donc davantage d'un "friendly fire" comme il y a en quelques uns dans les combats modernes. Dans les seconds et troisième "incidents", c'est différent.

2e incident, Tripoli, dimanche matin, l'OTAN a mené des frappes sur certaines cibles identifiées. Mais il y a eu un raté. Et les militaires avouent leur entière responsabilité. "Une de nos armes n'a pas atteint sa cible prévue - un site de missiles - à la suite d'une erreur technique. Ce qui a occasionné certaines victimes civiles" a , avant de s'excuser. "Nous regrettons profondément la mort de civils innocents". Le secrétaire général de l'OTAN, A.F. Rasmussen a présenté ses condoléances aux familles, hier (lundi).

3e incident, Sorman près de Tripoli, lundi, la situation est plus délicate. L'OTAN visait un centre de commandement et de contrôle "significatif". "Cétait une cible légitime, un commandement de haute valeur" précise le commodore Bracken, photos satellites à l'appui. Et de poursuivre : "Sur le toit de ce bâtiment, vous voyez 17 points. Ce sont satellites, certains ont 3 mètres de largeur. Vous voyez beaucoup de bâtiments qui ont besoin de 17 points satellite sur leur toit ?". s'est-il demandé. "Nous prenons suffisamment de renseignements avant de décider d'une frappe". Juste, à proximité, se trouvait une école communale, tout près duquel a été construit cette installation. L'école "n'a pas été atteinte. Seul le centre de commandement l'a été (...) Nous avons utilisé un tir de haute précision. " précise l'officier supérieur.

Situation générale (crédit : OTAN)
Bâtiment ciblé : les petits ronds blancs = antennes satellites (crédit : OTAN)
Ce qu'il reste après la frappe du batiment visé : plus grand chose (crédit : OTAN)
Les bâtiments aux alentours : intacts... vus d'en haut (Crédit : OTAN)

La différence entre l'OTAN et le régime libyen

"Chaque mort civile et toute mort civile est une tragédie" a reconnu Oana Lungescu, le porte-parole de l'OTAN. Mais elle a cherché à marquer sa différence. "Quand l'OTAN croit avoir causé des victimes civiles, nous le dirons. Et nous tacherons aussi vite que cela est possible d'établir les faits. L'accident tragique de Tripoli est une exception" a-t-elle tenu à expliquer "Si vous regardez les quelque 4000 sorties pour frappe (*), vous pouvez voir que nous prenons toutes les précautions pour éviter les morts civiles. Et nous le continuerons. Notre mission reste en pleine conformité avec la résolution 1973. Et notre mandat est d'utiliser touts les moyens nécessaire pour protéger les civils et les zones de population civiles d'attaques et de menaces d'attaque". Et d'ajouter : "Nous ne visons pas des personnes en particulier. Et l'OTAN clairement ne vise pas délibérément des civils. C 'est çà la différence entre l'OTAN et le régime Kadhafi qui, délibérément et indistinctement, vise les civils, depuis le début de la crise." Mais il faut être clair également - a-t-elle avoué : "le risque zéro n'existe pas."

Un drone perdu sur la Libye

L'OTAN en a profité pour confirmer la perte d'un drone hélicoptère. "A 7h30 GMT, nous avons perdu le contact avec un drone. Un appareil chargé d'effectuer la surveillance et la reconnaissance au-dessus du territoire libyen" a confirmé le commodore Mike Bracken. Il ne s'agit cependant pas d'un "hélicoptère d'attaque" (comme affirmé par le régime libyen) a-t-il précisé.

Commentaire : la bataille médiatique, un enjeu

La "guerre" en Libye se développe sur les trois terrains simultanés de l'ère moderne : militaire, médiatique et politique.

Sur le terrain militaire, l'effet conjugué de l'action terrestre de l'opposition et de l'action aérienne des avions et hélicoptères alliés a permis quelques succès incontestables. Mais ces gains peuvent être rapidement annihilés si des pertes sont enregistrés sur les deux autres terrains.

En effet, malgré toutes ces justifications qui peuvent être prises au sérieux, l'OTAN a subi un sérieux revers, médiatique, en réagissant avec retard, et timidité, à chaque information donnée par Tripoli, que ce soit pour les victimes civiles ou les pertes de matériels. Elle a donné ainsi, involontairement, un peu de crédibilité au régime de Kadhafi, un régime qui a acquis une certaine expérience dans la manipulation médiatique, depuis des années.

Cette bataille médiatique est vitale pour valider le continuum politique. L'aval politique à cet engagement reste, en effet, assez fragile, tant au niveau international (l'ONU) qu'au niveau national. Il faudra ainsi suivre attentivement l'évolution aux Etats-Unis et en Italie, notamment, deux pays stratégiques dans la poursuite de l'opération et où la situation apparaît particulièrement tendue, du moins de façon conjoncturelle.

(*) Ce nombre équivaut au nombre d'avions sorties pour frappes, mais pas aux frappes effectives. Le nombre de frappes effective en Libye équivaut à un tiers environ des sorties, soit 1400 frappes environ à ce jour.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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