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Un mois après le début de la campagne libyenne, quel bilan ? Pourquoi çà traine ?

(BRUXELLES2) Echec politique, enlisement militaire, impuissance des Européens... l'ambiance a viré au pessimisme ces jours-ci sur la campagne menée par les Alliés en Libye. Et, effectivement, on a de quoi déchanter. Contrairement à l'Egypte ou la Tunisie, Kadhafi s'accroche désespérément au pouvoir. Il s'adapte à la situation en recourant aux modes d'action rapides (4X4, snipers...) fidèles aux troupes du désert. Les rebelles n'arrivent plus vraiment à progresser comme aux premiers jours. Faut-il vraiment déchanter ? Le bilan est-il si noir que cela ? Qu'est-ce qui explique les difficultés ?

Le Charles de Gaulle vue du coté du navire américain Uss Whitney (crédit : Us mars 2010)

Un bilan qui n'est pas si négligeable

Au niveau militaire, aucun avion ne peut menacer le territoire libyen (ou à peu près). La "no fly zone" est tenue. De même, aucun bateau (du moins d'un certain tonnage) ne peut l'approcher. Avoir tenu à Misrata et préservé la ville de Benghazi est somme toute un résultat sérieux aujourd'hui. Seule la voie terrestre reste ouvert aux différents trafics. Personne n'aurait parié un cent - il y a trois mois - sur une révolution armée qui tiendrait tête à Kadhafi autant de temps.

Au niveau économique, plusieurs avoirs libyens ont été gelés à l'étranger. Et la mécanique des sanctions financières étrangle, très lentement, le pouvoir libyen. Au niveau politique, un Conseil national de transition (CNT) a vu le jour qui commence à voir son assise et sa représentativité s'élargir. Il faut encore que quelques personnalités qui ont quitté le pouvoir libyen le rejoignent pour que sa représentativité soit plus importante. En un mois, le bilan n'est donc pas si négligeable. D'autant que les conditions n'étaient pas vraiment favorables au départ.

L'intervention en Libye reste marquée par trois éléments de contexte (géopolitique, planification militaire, capacités opérationnelles et financières)

1er facteur : la Libye moins ouverte que les autres pays du Maghreb

Avec l'Egypte ou la Tunisie on s'était habitué à une chute d'un régime en quelques jours ou semaines. Mais la Libye a des caractéristiques fort différentes des autres pays du Maghreb. Son armée - et surtout ses milices - n'est pas proche des occidentaux comme en Egypte ou en Tunisie. Elles sont, avant tout, fidèles à un homme et non pas un régime. Il n'y a pas de corps intermédiaire, structuré ou non, qui permette d'entamer en dialogue et d'organiser la résistance. Ni une large circulation des idées et des personnes (même le tourisme y est encore limité). La Libye reste ainsi un des rares pays au monde qui restent, somme toute, plutôt fermés à toute influence. La construction de l'opposition libyenne se fait en marchant, à partir d'un certain néant. Quant à l'armée, elle n'est pas passée du coté des rebelles (sauf quelques éléments) et sa fidélité est, en partie, acquise à Kadhafi. Les forces militaires de l'opposition suivant la même construction : à partir de peu de chose.

2e facteur : le faible temps de préparation d'une opération militaire

Les armées n'ont pas vraiment eu le temps de se préparer à la campagne ; ce qui est une singulière différence avec certaines interventions du passé. Celle-ci ne s'est pas planifiée depuis de longs mois et n'avait pas été prévue (comme en Irak ou au Kosovo). L'action diplomatique a été, cette fois, plus rapide (ce qui n'est pas normalement le cas) et a pris les militaires à rêver. L'opération s'est donc élaborée quasiment en temps réel. Avec des contraintes opérationnelles essentielles (qu'il n'a pas été possible de contourner) : les Américains ne voulaient pas y aller, les Turcs s'y opposaient et les Allemands étaient aux abonnés absents. Ce qui fait beaucoup pour une opération militaire.

3e facteur : les contraintes budgétaires obèrent l'engagement allié

Enfin, l'engagement militaire occidental est aujourd'hui limité. L'engagement allié est faible. C'est un fait : la France et le Royaume-Uni et quelques contributions annexes (Danemark, Belgique, Norvège, Canada), avec un soutien logistique américain. Mais les alliés sont confrontés à deux éléments objectifs qui limitent leurs moyens. La guerre en Afghanistan pompe nombre de ressources matérielles et assèche les budgets militaires. Et la crise financière et budgétaire est un autre facteur qui réduit les capacités d'intervention de plusieurs pays. Cette question du coût et des moyens (en même temps que le début de la campagne électorale) a été un aussi des éléments moteurs de la prudence américaine.

Et une question : Si la Libye s'enlise, qu'en est-il de l'Afghanistan ?

Je reste d'ailleurs étonné des différents commentaires très durs sur l'opération en Libye, assez précisément encadrée par une résolution internationale qui interdit les forces d'occupation. Alors qu'en Afghanistan, les forces (d'occupation) sont bien présentes sur le terrain: 130.000 hommes pour une population de 10 millions d'habitants. Ce n'est pas rien ! Dans ce pays, malgré tous les communiqués annonciateurs d'un recul des talibans, ceux-ci restent présents jusque dans la capitale. Et si le mot "enlisement" existe pour la Libye, je ne sais pas lequel on peut prononcer pour l'Afghanistan. Enfin, après 10 années d'intervention, on ne sait plus très bien quel est l'objectif recherché.

Ce qui est sûr, c'est qu'aujourd'hui, l'Afghanistan pèse sacrément sur toutes les armées et les budgets de défense, mobilise un nombre conséquent de moyens (avions de chasse, de transport, de renseignement...) qui font cruellement défaut en Libye. Et qu'il ne permet plus aujourd'hui aux forces de l'OTAN de mener seules une opération sur un autre théâtre d'opération requérant des moyens d'assez haute intensité sur une durée moyenne. Il est avant tout là le problème : manque de moyens et de budget...

Lire également : Ce qui manque à l’OTAN en Libye ? Plus d’avions, frappant mieux et plus vite

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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