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Unified protector : les Européens seuls à bord. Premières réflexions

(BRUXELLES2 / Analyse) Depuis mardi matin, les Européens sont en première ligne en Libye pour ce qu’on peut appeler l’élément offensif : les frappes ainsi que le respect de la "No Fly Zone". Un effet paradoxal de cette opération qui laisse le « pilier européen » de l’OTAN, seul à bord d’une opération de l’Alliance.

Un Tornado GR4 britannique au décollage de la base de Gioia Del Colle, 28 mars (Crédit: Corporal Babbs Robinson RAF, Crown Copyright/MOD 2011)

Les Américains ont en effet, décidé, depuis 22h, de se retirer des forces présentes en Libye (surveillance no fly zone, protection des civils, frappes). Un retrait qui n’est pas une surprise. Les Américains ne voulaient pas, au départ, s’engager trop sur le terrain libyen pour des raisons de politique extérieure (ne pas se réengager sur une terre musulmane après l'Irak et l'Afghanistan) mais aussi pour des questions de politique interne (l’approche de l’élection présidentielle de 2012). Les forces US ne se retirent que de la première ligne. Les Américains continuent de fournir l’essentiel des moyens de ravitaillement, de renseignement et d’observation. Et ils continuent d'en assurer une partie d'une commandement. Les Européens ne sont pas également tout à fait seuls à bord, puisque les Canadiens sont encore là.

L'opération repose sur un petit nombre d'Etats

Cette volonté américaine – combinée avec l’absence turque – de ne pas s’engager de façon trop voyante en Libye place cependant les Européens devant leurs propres responsabilités. Des Européens qui ne sont pas tous présents puisque les pays du centre et de l'est de l'Europe - à l'image de l'Allemagne ou de la Pologne - ont décidé de rester sur le banc de touche.

La répartition de la charge des missions à risque est un peu déséquilibré. Ce sont essentiellement sur les forces franco-britanniques que repose la première ligne. Certes ils sont aidés des Nordiques (Danemark, Norvège, Suède), de l’Italie, de la Belgique et des Pays-Bas, de deux pays arabes (Qatar et Emirats Arabes unis) et du Canada. Soit un petit nombre d'Etats. Mais la plupart des pays ne contribuent qu'à hauteur de 2 patrouilles d'avions (4 avions et 2 de réserve). Et certains Etats (Qatar, Emirats Arabes, Pays-Bas, Suède) ont indiqué qu'ils n'entendaient participer qu'aux opérations défensives (No Fly Zone) et non offensives (frappes sur des cibles).

Le risque est donc de voir diminuer le nombre de sorties avec frappes au sol. Selon le bilan de l'OTAN dressé mardi, 150 sorties ont été effectuées lundi dont 58 pour des frappes, 14 frappes ayant été effectuées avec tir sur de cibles. La « "top priorité" dans les jours prochains étant Misrata » selon le général Mark van Uhm, chef des opérations alliés au SHAPE (le quartier général allié des forces en Europe).

Le Premier ministre Britannique, David Cameron, a déjà annoncé l’arrivée en renfort de 4 avions Tornado GR4 qui seront déployés à la base italienne de Gioia Del Colle. Il a annoncé également la fourniture d’équipements non-lethaux ainsi que de communications aux forces d’opposition.

Premières leçons et réflexions

Ce retrait a plusieurs conséquences au plan militaire et politique, à court ou à moyen terme.

A court terme, trouver les capacités et les budgets nécessaires...

A court terme, cela oblige à trouver des capacités militaires disponibles. A un moment délicat : quand les Français sont engagés en Côte d’Ivoire et tous les autres déjà engagés en Afghanistan. Un haut gradé belge me confiait récemment : « aujourd'hui nous sommes au maximum de nos capacités, si une autre opération intervient, il faudra faire des choix… politiques ». Cette réflexion pourrait être le cas pour plusieurs « petits » pays engagés dans la coalition. Qui dit capacités militaires dit également capacités budgétaires. En période de restriction financières, autant dire que ce n’est pas aisé pour tout le monde.

...négocier une sortie de crise rapidement

Cette limitation militaire oblige aussi à intensifier les efforts pour trouver une solution politique à la question libyenne. Même si elle n'est pas encore bien visible, cette solution politique s’esquisse avec la lente désagrégation du régime de Kadhafi. Et les différentes initiatives diplomatiques pourraient s'accélérer de part et d'autre. L'usage de la force — les frappes, la no fly zone, le blocus maritime augmente, en effet le coût de la guerre pour celui qui mène l'offensive en Libye— combinée aux sanctions économiques et à la pression politique ont désorganisé le pouvoir de Kadhafi qui sait très bien qu’il ne pourra reconquérir les positions intérieures. Un pouvoir qui n'avait de cohésion que par la terreur et... le business. La pression sur l'un et l'autre pourraient faire plier le pouvoir. Encore faut-il que cette pression ne se relâche pas.

A moyen terme des réflexions sur : l'engagement en Afghanistan,

A moyen terme, cela risque de reposer immanquablement la question de la validité de l’engagement des Occidentaux, en Afghanistan. On voit bien avec "Unified protector" combien cet effort pèse aux capacités et aux budgets des armées européennes et à l'action politique en général. Seul un désengagement plus rapide que prévu pourrait permettre de retrouver des ressources nécessaires face aux différentes crises internationales.

...la restructuration de l'OTAN,

Au niveau des structures militaires, cette situation inédite pourrait accentuer une réflexion sur le partage des charges entre les différents partenaires de l’Alliance. Le fossé se creuse entre, d’une part, ceux qui dépensent et sont prêts à aller de l'avant — Français et Britanniques — et, d'autre part, les autres partenaires Européens, ceux qu'on qualifie parfois de "passagers clandestins" de la défense européenne. Au moment où les premiers sont partisans d'un resserrement du budget de l'OTAN, d'une refonte des structures, et d'un amaigrissement du mammouth, il sera encore plus difficile aux seconds de s'y opposer désormais... même si la superstructure de l'OTAN compte bien sur cette "opération" pour remplumer un peu ses effectifs, regagner un peu le terrain perdu au sommet de Lisbonne.

... et l'autonomie européenne

Enfin, elle devrait entraîner une réflexion sur la défense européenne. Que celle-ci soit autonome, au sein de l’UE, ou au sein de l’OTAN, on peut ainsi observer que l’appui des Etats-Unis n'est pas inéluctable quand les intérêts européens sont en jeu mais que les Américains sont - pour des raisons diverses - moins intéressés que leurs alliés et peu disposés à tenir un rôle d'offensive. Cela peut entraîner une réflexion sur les capacités et lacunes à combler (ravitaillement, observation, renseignement). Cela devrait aussi entraîner une réflexion sur les structures à même de mener des opérations futures sans devoir dépendre d'un partenaire extérieur.

Un début de coopération structurée permanente ?

Peut-on tracer ainsi un premier cercle de pays partisans d'aller de l'avant dans la défense européenne - en mettant en place une coopération structurée permanente - autour des Français, Britanniques, Belges, Italiens, Espagnols, Grecs et Néerlandais ou Suédois. On n'est plus très loin de la majorité qualifiée si on arrive à accrocher quelques Etats membres de l'Est (Pologne, Hongrie, Slovénie, par exemple). Mais cela assez hasardeux car mettre l'Allemagne hors de premier cercle est hasardeux. Et le Royaume-Uni n'a jamais été très partisan de "l'aventure" européenne. Dans coopération structurée permanente, il y a "structurée" et "permanente"...

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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