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Le soldat Moubarak se suicide politiquement. Il laisse son destin à l’histoire

Le discours que vient de prononcer le président égyptien Hosni Moubarak à la télévision égyptienne est impressionnant de posture très républicaine et militaire. Sur le genre "je ne céderais pas", il constitue à la fois comme un testament politique, d'une certaine grandeur, mais relève également d'un aveuglement suicidaire.

Un testament politique

Ce discours sonne aussi un peu comme un testament politique pour le dirigeant égyptien de ces trente dernières années. « J'ai consacré la totalité de ma carrière à la sauvegarde de la nation, la sécurité, la légitimité et la sauvegarde de la Nation » a-t-il expliqué. « J'ai passé des années pour le peuple et la patrie. (...) L'histoire me jugera pour mes mérites et mes démérites. (...) Je mourrais sur le sol égyptien ».

Une retraite en bon ordre

Auparavant il souhaiterait effectuer une retraite en bon ordre et lentement. Il fait toute une série de ce qui parait être des concessions extraordinaires pour lui. Il annonce ainsi qu'il ne se représentera pas à la présidentielle d'automne ("je ne chercherais pas un autre mandat"), que les conditions de candidature seront assouplies, qu'un processus de réforme va s'entamer au Parlement. Il précise également que les responsables des morts dans la rue seront poursuivis et demande à la police de respecter la population et leur "dignité". Mais c'est tout !

Travailler à une transition pacifique

Il ne veut pas d'une solution "à la Ben Ali" avec exil à la clé. Il veut rester au pouvoir et « travailler pour des mesures et procédures qui garantissent transition pacifique du pouvoir ». De fait il se donne neuf mois de répit. Neuf mois qui, à voir les manifestations d'aujourd'hui, pourraient bien ne pas s'écouler aussi pacifiquement qu'espéré. Car ce discours vient trop tard. Il aurait pu être reçu il y a une semaine, sûrement, il y a 48 heures peut-être. Maintenant il est trop tardif et trop limité. Moubarak n'arrive pas à reprendre l'offensive. Et à chaque coup supplémentaire, il recule en perdant un peu plus de légitimité. Il est comme bloqué avec sa colonne de char, pris dans le haboob, cette tempête de sable typique du Golfe et du Sahara, il est trop tard pour avancer ou reculer.

En retard d'une guerre, à la recherche d'un destin héroïque

Le problème est que Moubarak est non seulement en retard d'un discours, mais aussi en retard d'une guerre, en retard sur son peuple.  Son Je suis ici et "je mourrais sur le sol égyptien" ressemble étrangement à certains discours qu'on a pu entendre dans des périodes révolutionnaires. On pourrait entendre Mirabeau dire "nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes". Sauf que la volonté du peuple semble désormais de l'autre coté. On a comme l'impression que Moubarak joue à la provocation : tuez moi si vous osez. Mais je ne partirai pas.

La pire des choses pour la communauté internationale

Ce discours est, pour l'instant, la pire des choses pour les Egyptiens comme pour la communauté internationalité. La situation risque de déraper désormais à tout instant dans une confrontation entre pro et anti-moubarak. De manière politique, les Occidentaux vont devoir durcir leur discours et ne plus se contenter d'appels au calme ou d'une transition démocratique lente. Mais d'une solution rapide. Et dans cette solution, seul le départ de Moubarak, exigé haut et fort, et lui seul peut sinon ramener le calme du moins y contribuer. Dans l'interlude, les évacuations des citoyens européens et autres se trouvant en Egypte vont devoir s'accélérer et s'amplifier. D'autres moyens que les avions devront être mobilisés rapidement, si la situation ne se dénoue pas rapidement. Le sujet devra certainement être évoqué au Sommet européen.

L'armée en recours

Durant les quelques heures et quelques jours à venir, l'armée aura besoin de tout son sang froid et toute sa légitimité pour calmer les esprits. A regarder les images diffusées par Al Jazeera ou par le canal "Citizen", de You Tube notamment, on ne peut qu'être étonné, voire sidéré par la capacité de maintien des foules et d'autorité de militaires qui viennent à main nue, discuter et calmer les éléments les plus énervés des manifestants, s'interposant si nécessaire avec la police il y a quelques jours, entre manifestants aujourd'hui. Je ne suis pas certain que nos forces de l'ordre, pourtant formées à pareille épreuve, auraient eu cette capacité.

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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