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Les 27, pas très unis, prient Kadhafi d’écouter… les « aspirations de son peuple »

Cathy Ashton, à son arrivée au diner, le 20 février (crédit : Conseil de l'UE)

L'Europe, plus d'un mois après le début des révoltes arabes ne sait pas encore vraiment trop comment prendre ces changements. Et il faudra sans doute un peu plus d'un dîner pour permettre à l'Europe de se mettre en ordre de bataille et à l'unisson sur sa "politique arabe". Comme l'a bien résumé Alexander Stubb, le ministre finlandais des Affaires étrangères : « Quelque chose de vraiment important se passe mais nous ne savons pas quoi ».

Tout reste à définir comme l'ont montré les premiers commentaires, ce dimanche soir, à la réunion des ministres des Affaires étrangères des 27. Les positions ne sont pas totalement divergentes mais pas encore très harmonisées entre ceux qui balancent entre le souhait d'une Europe plus visible, plus réactive (France, Allemagne...), parfois pour cacher leurs propres défaillances, la volonté d'une mobilisation plus générale vers les pays du sud (France, Italie, Grèce ainsi que la plupart des pays du sud) qui se heurte au souhait de certains pays de l'Est de ne pas déshabiller Paul pour habiller Pierre, ou l'appel simplement à la fin des violences (Finlande, Haut représentant...).

Un mouvement tectonique auquel il importe à l'Europe de répondre

« Nous sommes face à des mouvements tectoniques » a résumé le secrétaire d'Etat allemand Werner Hoyer. « C'est une grande chance pour la liberté, la démocratie et la tolérance. Il est temps que l'Europe devienne visible ». Même tonalité, bien que plus détaillée, du ministre français chargé des Affaires européennes, Laurent Wauquiez : « La France est extrêmement préoccupée. Il faut se souvenir que la Libye a signé le pacte relatif aux droits civils et politiques. Qu'elle respecte ses engagements. Qu'il n'y ait pas cet usage, totalement disproportionné de la force auxquels nous assistons depuis 48 heures. La France, l'Europe a une responsabilité dans ce cadre, pour les droits de l'homme. Face aux changements énormes sur la rive sud de la Méditerannée, la France plaide pour une mobilisation générale en faveur de rive sud. » (voir également la Lettre des 6).

F. Frattini, face à la presse, le 20 février (crédit : Conseil de l'UE)

L'Italie gênée de ce qui arrive à son "ami" Kadhafi

L'Italien Franco Frattini n'a pas voulu commenter la situation en Libye se montrant surtout « très préoccupé des répercussions sur la situation de migration », et appelant à un « pacte pour la Méditerranée, incluant un grand plan Marshall et le développement économique ». On ne peut pas dire que l'Italie soit ainsi très préoccupée par la montée démocratique. Le principe de Rome semble être : mieux vaut un bon dictateur connu que l'inconnu. Le ministre italien sera en Egypte dans deux jours (en même temps que la Haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères).

La prime de la lâcheté revient cependant au ministre tchèque des Affaires étrangères, Karel Schwarzenberg. "En ce moment, si nous nous mêlons de la situation, nous ne ferions que compliquer l'affaire" et l'Europe devait faire preuve de "la plus grande retenue" a-t-il dit, considérant que la chute du colonel Kadhafi pourrait entraîner d'autres catastrophes plus grandes dans le monde.

Ecouter les aspirations des peuples

Avant la réunion, William Hague, le ministre britannique des Affaires étrangères, appelait lui les dirigeants des pays de Libye, du Yemen ou de Bahrein à « écouter les aspirations de leur peuple plutôt qu'à y répondre par la force et à respecter les droits des manifestants pacifiques ».

Face à ces différents sons de cloche, la Haute représentante a choisi une voie médiale exprimant sa "préoccupation" et exhortant, en Libye comme à Bahrein, « à la retenue, à la fin de la violence et au dialogue ». Elle a publié à la fin de la soirée qui reprend les principaux termes utilisés par les Ministres "condamnant la répression", rappelant la signature du Pacte des droits civils et politiques, appelant à la fin du blackout sur les médias et demandant à "écouter les aspirations du peuple". C'est un peu en quelque sorte le monde à l'envers... L'Europe appelant le guide de la grande révolution populaire et socialiste à écouter son peuple ! (télécharger la déclaration de la Haute représentante)

La Libye utilise l'arme de l'immigration

Face aux premières critiques, le gouvernement libyen n'a cependant pas pris de gants et menacé de suspendre sa coopération en matière d'immigration si l'Union européenne continue à critiquer sa situation interne. Un message transmis à l'ambassadeur hongrois à Tripoli. Une menace pourrait avoir un effet secondaire : ressouder les rangs au niveau européen, car elle dévoile sans fard la stratégie libyenne (une coopération déjà suspendue de fait si on voit les premiers mouvements sur Lampedusa).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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