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« Soft power », « valeur ajoutée », Cathy Ashton s’égare…

(Commentaire) Les derniers propos de Cathy Ashton, la Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères, sont intéressants. Car ils ont été prononcés en petit comité. Et on ne peut donc lui prêter une intention de devoir se plier à une composition de circonstance avec des responsables politiques (ministres ou députés ...). Ils sont ainsi symptomatiques d'un état d'esprit qui démontre le manque d'ambition pour la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne et entrent légèrement en contradiction avec la réalité comme avec les dispositions du Traité de Lisbonne (le texte comme l'esprit). Ils sont plus britanniques qu'européens. Deux points méritent un commentaire.

Le « soft power »

En revenant à la notion de « soft power », la Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité commune a défini les bornes de la nouvelle politique étrangère européenne. Certes l'Union européenne ne peut faire de hard power, c’est évident. Elle ne s’est jamais positionnée comme tel, d'ailleurs. Et sa marque de fabrique reste le soft power, la capacité d'influence, à travers toute une série d'instruments : soutien politique, aide économique ou humanitaire, assistance technique ou au développement, etc. Mais, depuis plusieurs années, s'est développée entre le soft power, stricto sensu, et le hard power, d'autres instruments qui empruntent à l'un et à l'autre. Les opérations d'interposition, de maintien de la paix, de concours à l'Etat de droit en sont la mention. Et on peut en avoir la preuve tous les jours. Quand un commandant d'opération décide, en plein Océan indien, l'arrestation et la transmission à la justice d'un forban des mers, ou sa libération, on n'est plus tout à fait dans le "soft power". Idem quand des magistrats européens décident au Kosovo d'une perquisition, voire d'une arrestation, pour faits de corruption ou de crimes de guerre.

Pour désigner cet espace intermédiaire, Hillary Clinton, la Secrétaire d'Etat américaine, avait utilisé l'expression de « smart power » ; une expression que pourrait faire sienne l'Europe. Certes le chemin parcouru n'était pas identique. Pour les Etats-Unis, cela signifiait surtout être moins "hard" (comme en Irak ou en Afghanistan) et utiliser un peu plus de "soft power". Pour l'Union européenne, cela signifiait être moins "soft". Abandonner ce principe du « smart power » est une erreur fondamentale, une erreur stratégique. Espérons donc qu'il ne s'agit que d'une erreur de langage.

La valeur ajoutée, le faux semblant de l'inaction

« La valeur ajoutée » ces deux mots reviennent régulièrement dans la bouche de la Haute représentante. Si on peut adhérer à cette notion de « valeur ajoutée » pour l’UE, il faut bien voir que derrière cet argument se cache le plus souvent un "Non" à toute avancée européenne. Le premier ministre Cameron l'utilise régulièrement : l'Europe doit démontrer sa « valeur ajoutée ». Une dialectique très britannique. Concrètement, c'est au nom de cette fameuse "valeur ajoutée" que le Royaume-Uni avait refusé d'abord l'opération anti-pirates Atalanta puis, ensuite, l'opération de formation des soldats somaliens. Si on remonte même plus loin, c'est au nom de cette « valeur ajoutée » qu'on a refusé toute opération militaire dans ce qui était encore la Yougoslavie, au début des années 1990. Derrière ce mot se cachent donc des éléments très politiques.

Sur le fond, conditionner l'action européenne à la nécessité de prouver sa valeur ajoutée part d'un mauvais fondement. Cela suppose que l’Union européenne n’a un rôle en matière d’affaires étrangères que supplétif à celui des Etats membres, un rôle qu'elle doit démontrer à chaque action, au "cas par cas". Ce n’est pas tout à fait ce qui est prévu dans le « contrat » du Traité de Lisbonne. C’est oublier qu’il y a une « marque autonome » de l’Europe qui n'est pas toujours sur le même champ et le même registre que les Etats membres. C'est une erreur à la fois politique et juridique.

S'il est évident que l'Europe ne doit pas doublonner avec ce qui est déjà fait par les Etats membres et avoir une action "utile", la fonction européenne a une existence propre. Elle a pour objectif et pour fonction de syncrétiser les différentes aspirations et actions des Etats membres (et des citoyens). C'est cette synthèse qui, en elle-même, apporte une valeur ajoutée. Et point est besoin de devoir le justifier à chaque fois. On l'a vu également dans le passé dans les actions dan les Balkans ou en Géorgie, on le voit aujourd'hui en Tunisie ou au Kosovo, on pourra le voir (peut-être) en Israêl ou Palestine demain. C'est le fait aussi que l'UE est un des premiers bailleurs de fond en matière d'aide humanitaire, en matière d'aide au développement qui fonde sa légitimité. Ce n'est pas la France ou l'Allemagne, le Royaume-Uni ou l'Estonie qui agissent ou apportent ces fonds. C'est l'Europe en tant que telle. L'action européenne, en elle même, prouve son utilité car elle agit au nom de tous et non d'un seul. Elle est légitime à agir sans avoir à démontrer, à chaque fois, qu'elle a une "add value"...

Où sont passés les intérêts de l'Union ?

On peut relire avec profit le Traité de Lisbonne qui donne la base de l'action du Haut représentant. Il n'emploie jamais ce terme de « valeur ajoutée ». Au contraire, d'ailleurs, il donne une compétence large à la politique de l'Union en employant des mots plus clairs : de « solidarité politique mutuelle », de défense de « l'intérêt général » et même d'abstention d'agir en sens contraire aux « intérêts de l'Union ».

(article 24 extraits) « La compétence de l'Union en matière de politique étrangère et de sécurité commune couvre tous les domaines de la politique étrangère ainsi que l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union, y compris la définition progressive d'une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune. (...) « Les États membres œuvrent de concert au renforcement et au développement de leur solidarité politique mutuelle. Ils s'abstiennent de toute action contraire aux intérêts de l'Union ou susceptible de nuire à son efficacité en tant que force de cohésion dans les relations internationales. »

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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