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Ce qu’il faut retenir du sommet de l’OTAN de Lisbonne

Le secrétaire général AF Rasmussen à la conférence de presse finale (Crédit : OTAN)

1. Un nouveau concept stratégique

Il a la valeur d'un "concept". On sait tous qu'un concept est destiné, avant tout, à identifier des fonctions et à rassembler le consensus politique à un moment "t", en essayant de prévoir une marge de souplesse pour pouvoir réagir, ou ne pas réagir, face à tout évènement. C'est donc un peu l'auberge espagnole (1). Son importance se situe à deux niveaux : rappeler le fondamental de l'Alliance, défendre un territoire, et tracer de nouvelles menaces (comme les cyber-attaques). Ce qui oblige à une adaptation des structures, qui va au-delà d'une restructuration interne de l'organisation et oblige les Etats membres à adapter leurs forces armées, donc en période de crise budgétaire, à nouer plus de coopérations entre eux, voire se spécialiser (3).

2. Le coup d’envoi à la réforme des structures

L’OTAN ne s’est pas, assez, adaptée à la nouvelle donne de l’après-guerre froide. Comme le résume le président français, Nicolas Sarkozy : « Il va être mis un terme à une forme de gabegie ». On réduit le nombre d'agences de 14 à 3. On diminue le personnel d'environ 5.000 personnes (2). On supprime un commandement sur deux. Une fois agréé ces principes, le vrai travail commence maintenant, comme l'explique le Général Abrial (3). Il faut désigner ceux qui vont disparaitre. Une autre paire de manches ! On peut remarquer cependant que l'équilibre global n'est pas modifié. L'OTAN reste une organisation qui échappe à tout contrôle, et toute obligation de transparence, y compris budgétaire ; elle ne doit rendre des compte qu'aux gouvernements qui en sont membres.

3. La sortie de l’Afghanistan

Prudemment, on appelle cela une phase de transition, qui va s’étaler sur quatre ans entre 2011 et fin 2014, en passant progressivement le relais à l'armée et à la police afghane. Le Canada, et les Pays-Bas, donnent l'exemple dans ce domaine en ayant anticipé ce changement (4). Mais « l'engagement de l'Alliance durera au-delà. » a précisé le secrétaire général. Toute la question sera alors de savoir quelle est l'importance de cet engagement résiduel. D'ici quatre ans, la donne aura peut-être changé. Personne n'ose prononcer le mot "échec". Mais tout de même, on peut se poser cette question. Pourquoi a-t-il fallu presque dix ans pour passer d'une stratégie de combat, d'expulsion des talibans et de remplissage (pour ne pas dire occupation) du territoire, à une stratégie plus réaliste, et démocratique, d'aider l'Etat afghan à se doter de moyens plus importants. On peut remarquer au passage que dans cette opération des alliés qui se déroule, tout de même, sous mandat de l'ONU, les Nations-Unies n'ont rien eu à dire ni n'ont été consultés.

4. Le Bouclier anti-missiles

C’est un vrai projet pour l’Alliance. Il s’appuie sur deux projets distincts. L’un mené en 1999, sous couvert de l’Alliance avait pour seul objectif de couvrir les forces déployées. L’autre, envisagé par les Etats-Unis sous l’administration Bush, visait à compléter l’architecture américaine en dotant certains pays européens (République tchèque et Pologne) de moyens radar et anti-missiles permettant de faire de l’alerte précoce. Cet outil avait deux inconvénients : il ne couvrait pas parfaitement la zone européenne. Il était objectivement davantage tourné vers la Russie que d’autres menaces. Le projet approuvé samedi a un autre relent. Sous couvert de l’Alliance, visant à protéger tous les territoires européens d’une menace anti-missile, c'est un retour "modernisé" à la défense territoriale. Au lieu de tanks, ce sont des batteries anti-missiles. Et la Russie n'est plus l'ennemi mais l'allié. Il n'y aura pas ainsi un bouclier unique. Plutôt deux. Chacun maitrisant sa zone, et sa technologie, et pouvant appuyer sur son bouton. Mais il y aura des échanges d'information, voire davantage. Des échanges de "couverture".

5. L'OTAN n'a plus d'ennemi

De la même façon que la Russie n'est plus un ennemi (cf. ci-dessous), ce bouclier ne désigne pas d'ennemi. Une décision, prise sous la pression turque. Si l'Iran est dans toutes les têtes aujourd'hui, dans deux ans, dans dix ans quel sera l'ennemi ? Le Pakistan ou l'Inde pourraient fort bien être sur la liste, voire la Chine. Il est donc sage de ne désigner personne. Désigner de façon impérative l'Iran comme l'ennemi, comme l'a fait le président Sarkozy, chaudement assis au fond d'une salle de presse où les démineurs portugais étaient passés quelques minutes auparavant peut paraître imprudent.

6. La réconciliation avec la Russie

On ne repart pas au point de 2008. Nous ne sommes pas à essayer de bricoler dans un Conseil Otan-Russie. On n'est pas non plus dans les élans lyriques de l'ère Gorbatchev. On est un peu entre les deux, à la recherche d'une coopération politique et surtout concrète, de faire un peu bloc contre le reste du monde. Tout n'est pas encore très précis. Mais les divers projets approuvés à Lisbonne (transition/retrait en Afghanistan, bouclier anti-missiles...) sont concernés.

7. Relations avec l'Union européenne

L'attitude de l'OTAN reste ambivalente. Et à la sortie de ce sommet, un Européen ne peut qu'être amer. Malgré quelques apparences, l'Alliance reste dominée par son contributeur principal, les Etats-Unis, et le Royaume-Uni se sert de l'OTAN comme d'un fameux coup de boutoir pour enfoncer l'Europe de la défense. Ainsi le nouveau concept stratégique reconnait l'UE comme un "partenaire unique", quasi-incontournable, recherchant avec elle un "partenariat" qu'on peut penser plus équilibré (5). Mais il affirme également sa volonté de développer des outils nouveaux, comme l'outil civilo-militaire, qui dupliquent de fait les outils de la PeSDC, et revient à vider ce partenariat de son intérêt principal (6). Ce qui se traduit parfaitement dans les propos de Nicolas Sarkozy : la place de l'Europe de la défense, c'est ... dans l'OTAN ! (7).

(Nicolas Gros-Verheyde)

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  3. Gén. Abrial : « Une alliance plus légère, plus efficiente ». Le « vrai » débat commence
  4. Le compte à rebours est commencé pour les troupes en Afghanistan
  5. L’OTAN reconnaît l’UE et l’invite à collaborer plus étroitement
  6. (6) Article à venir
  7. La place de l’Europe de la Défense, pour Sarkozy, c’est… dans l’OTAN ?

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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