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Débat sur le jugement des pirates : la position des Etats

(BRUXELLES2) Le débat, le 25 août, au Conseil de sécurité a donné lieu à un échange nourri sur les options à prendre face à la poursuite en justice des pirates (1). Une trentaine d'Etats environ ont pris la parole pour exprimer publiquement leur position sur la question. Si la plupart des pays ont salué l'effort militaire naval poursuivi dans la région pour sécuriser les voies maritimes (2), rappelé la nécessité de renforcer les structures somaliennes et de trouver une solution à terre - particulièrement en renforçant l'AMISOM, les avis divergent cependant sur les solutions à trouver face à la traduction en justice des pirates.

Tous sont bien convaincus qu'il faut faire quelque chose. C'est la Norvège qui a eu les mots les plus durs "l’impunité des pirates lance un mauvais signal. (...) Il est inacceptable que des suspects soient relâchés alors qu’on a des charges suffisantes contre eux. Cela sape la crédibilité et l’efficacité de la présence navale internationale dans le golfe d’Aden." Et que le "renforcement des capacités nationales des États de la région" (autrement dit l'option 1) est nécessaire. Mais faut-il aller plus loin ? C'est là où les avis divergent.

Un nécessaire partage de la charge

Les pays africains ne souhaitent pas être laissés seuls face à ce problème. "La mise en place de mesures de sécurité au large des côtes somaliennes et la répression contre les auteurs de ces actes ne seraient possibles sans l’appui et le soutien des États Membres" souligne le Gabon. Le Kenya ou l'Ouganda, ont insisté, eux aussi, sur le nécessaire "partage de fardeau". Pour le représentant ougandais, quelle que soit la solution retenue, il faudrait "accorder des garanties financières suffisantes, afin que le fardeau financier ne soit pas trop lourd pour eux".

Mais de nombreux pays occidentaux ne souhaitent pas être entraînés dans des solutions couteuses ou compliquées. Quand le Japon recommande "une certaine prudence en ce qui concerne l’idée de créer un nouveau tribunal international", il n'est pas le seul... et parle d'or ! Les Etats-Unis restent ainsi très engagés sur des solutions à trouver. Mais prudents sur une solution. Ainsi pour Susan Rice (USA), « il n’y a pas de solution facile en ce qui concerne la manière dont pourraient être poursuivis les pirates en rappelant que toute solution à long terme requiert des engagements politiques et financiers ». Elle a approuvé les solutions proposées sur « l’incarcération des pirates condamnés (car) le dispositif carcéral est « aussi important que celui de poursuite et de jugement ».

L'Union européenne divisée

On peut classer les positions en trois groupes : les partisans de la solution internationale emmenée par la Russie, les partisans d'une solution régionale soutenue au niveau international, et les partisans d'une solution minimale sur lequel reste le Royaume-Uni. Les pays de l'Union européenne ne sont pas unis. Ils affichent même des positions si différentes que son représentant, Peter Schwaiger, a dû se montrer plus que prudent. Il faut "discuter plus avant de ces propositions au sein du Groupe de contact" a-t-il expliqué. Audacieux ! Il a cependant confirmé l'engagement de l'UE à "continuer à apporter son soutien aux autres pays de la région afin qu’ils puissent renforcer leur propre capacité judiciaire" ou pour reconstruire les prisons en Somalie. Mais a aussi rappelé l'exigence de "trouver une solution pour l’incarcération des pirates qui soit conforme aux droits de l’homme".

1. Les partisans d'une solution internationale (Russie, Ukraine, Kenya, Tanzanie, voire Chine).

C'est la solution prônée par la Russie. "La solution idéale serait un mécanisme judiciaire international au niveau régional qui viendrait compléter les juridictions nationales.  Cela permettrait d’appréhender les personnes qui ont jusqu’à présent échappé à la justice." a expliqué son représentant au Conseil de sécurité, Vitaly Churkin, qui présidait la réunion. "Une solution globale au problème de l’impunité ne sera pas possible sans accroître la participation internationale" a-t-il ajouté.

La solution idéale serait un "mécanisme judiciaire international au niveau régional qui viendrait compléter les juridictions nationales", a renchéri le Kenya.  "Cela permettrait d’appréhender les personnes qui ont jusqu’à présent échappé à la justice". Position sensiblement analogue pour la Tanzanie, qui vient de réviser son code pénal pour traduire les pirates en justice et prépare un accord de transfert de suspects avec l'UE. Il faut "une combinaison des approches présentées, instaurer un partage de la responsabilité des poursuites et de l’incarcération, avec aussi un mécanisme des Nations Unies".

L’Ukraine est moins enthousiaste mais se dit "prêt(e) à discuter de la mise en place éventuelle d’un mécanisme international, régional ou national afin de poursuivre en justice les auteurs."

Enfin pour la Chine, la coopération internationale  doit être "renforcée". Sans se prononcer précisément sur les options, le pays se montre favorable à une "coopération internationale" en matière de poursuite des pirates et à "un appui aux pays côtiers".

2. Les partisans d'une solution régionale, avec un soutien international (Danemark, Inde) incluant des Somaliens (France, Turquie, Nigeria...).

Pour la France, si à court terme, la solution repose sur la conclusion par les États de la région "des accords de transfert à l’instar de ceux conclus par le Kenya et les Seychelles", la solution "à moyen terme, est celle d’une chambre de jugement somalienne délocalisée" car elle "prépare le mieux l’avenir tout en étant réaliste".

Point de vue plutôt partagé par la Turquie pour qui la solution idéale est "de permettre aux autorités somaliennes de prendre de plus en plus de responsabilités dans les poursuites, en renforçant leur système judiciaire".  En attendant que cela soit possible, ce sont "les pays de la région (qui) jouent un rôle important dans la lutte contre la piraterie". Et les Nations-unies doivent faire des "efforts de renforcement des capacités".

Qu’un tribunal somalien puisse prendre en charge les poursuites est une solution "idéale" également pour le Nigeria qui estime que "les Nations Unies (doivent) jouer un rôle actif pour trouver une solution adéquate dans ce domaine". A long terme, il plaide pour "une coopération internationale permettant aux États de la région d’engager les poursuites" et de résoudre la question du financement sur le tribunal international.

Le Danemark se montre partisan de chambres spéciales avec un fort soutien international (l'option 4 du secrétaire général). C'est-à-dire des "chambres judiciaires existant déjà dans un ou plusieurs pays de la région (qui) se consacreraient exclusivement au jugement des pirates, avec un soutien financier et en personnel important de la part d’autres États ou organisations".  Il estime également que "tous les États devaient commencer par prendre des mesures nationales pour veiller à ce que leur propre législation leur permette de poursuivre les pirates". Ce qui est assez ... intéressant pour un pays qui s'est jusqu'ici refusé à poursuivre les pirates arrêtés par ses navires. "La mise en place d’une chambre spéciale au sein de la juridiction nationale de l’État ou des États concernés de la région, soutenue par les Nations Unies" est aussi "la solution la plus appropriée" pour l'Inde.

3. Les partisans d'une solution minimale de soutien aux structures existantes (Royaume-Uni, Norvège, Liban, Mexique).

Le Royaume-Uni a "des doutes" sur la viabilité de la création de nouveaux mécanismes régionaux ou internationaux pour poursuivre les pirates, y voyant un « risque de gâcher les ressources ». Il préfère la solution du « renforcement par la communauté internationale des capacités des États de la région à poursuivre un grand nombre de suspects ».

Pour la Norvège, aussi, "l’idéal serait que la Somalie juge et détienne elle-même les pirates qui sont ses nationaux.  C’est d’ailleurs le cas dans certaines parties du pays. Et de tels efforts devaient être encouragés. " Mais "l’extradition vers la Somalie n’est pas encore possible, et il est donc nécessaire de disposer de mécanismes alternatifs efficaces et dotés de capacités suffisantes".  La Norvège souhaite que les pirates soient jugés dans la région où a lieu le crime, près du lieu où ils ont commis leurs forfaits, pour des raisons de dissuasion, mais aussi culturelles, linguistiques. Et se prononce donc en faveur de "l'option 1". Joignant le geste à la parole (c'est le seul pays à l'avoir fait !), elle a annoncé que son pays allait "immédiatement doubler sa contribution" au Fonds d’affectation spéciale créé par le Groupe de contact sur la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes.

D'autres mesures

Plusieurs Etats ont évoqué des mesures complémentaires à la traduction en justice des pirates suspects arrêtés par les forces multinationales.

Des sanctions ciblées sur les instigateurs. Le "problème de l’établissement des preuves" et la nécessité de "s’attaquer à l’impunité de ceux qui financent et équipent les pirates" pour le Brésil qui a appelé "à faire le meilleur usage possible du régime de sanctions ciblées contre les chefs des pirates, en renforçant notamment le partage d’informations".

L'interdiction du versement des rançons. Plusieurs Etats notamment africains se sont prononcés pour une interdiction du versement de rançons (Afrique du Sud). Une "réponse harmonisée aux demandes de rançon" est nécessaire "afin d’éviter les mesures prises dans la panique par les armateurs" (Kenya).

Faire contribuer les armateurs. C'est une proposition intéressante faire par la Turquie pour trouver des financements complémentaires aux contributions fixes des Etats : "faire contribuer l’industrie maritime".

Développer des gardes-côtes somaliens. La "formation des garde-côtes" a été évoquée par plusieurs pays (Afrique du Sud, Gabon).

Assurer la surveillance de la pêche illégale. Une proposition de l'Afrique du Sud qui est le seul, selon mes informations, à en avoir parlé : "Les pirates justifient leurs actes en invoquant le problème de la pêche illicite au large de la Somalie avant d’inviter chaque État à respecter le droit international applicable en la matière".

Renforcer l'AMISOM ou Mission de l'ONU. L'Ouganda a insisté sur ce point, naturellement. On sait que les Ougandais - avec les Burundais - sont les seules forces présentes et actives en Somalie pour défendre le gouvernement provisoire contre les milices rebelles. Il n'a pas été le seul. Mais le plus ambitieux a été l'Afrique du sud qui a prôné "le déploiement d'une mission des Nations-Unies pour prendre le relais".

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Lire : Les 7 options de Ban Ki Moon

(2) On peut remarquer que la représentante américaine, Susan Rice, a pris bien soin de saluer non seulement « le rôle de l’OTAN » mais aussi « celui de l’opération Atalante, déployée par l’Union européenne » et des forces engagées au niveau national.

Voir le rapport

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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