B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Analyse BlogAsie

Un calendrier de retrait: la seule façon de gagner la guerre en Afghanistan ?

(B2 / analyse) Après le bombardement de Kunduz, un bombardement « inacceptable » selon plusieurs ministres des Affaires étrangères de l'UE, il faut peut-être entamer un débat sur la présence militaire occidentale en Afghanistan. Présence qui doit encore durer de longues années rappellent régulièrement les principaux responsables européens

Il faudra aussi rompre avec un non-dit en Afghanistan : nous sommes en guerre. Ce qui s'est passé à Kunduz n’est pas une bavure, c’est la guerre. Où il y a des morts, pas seulement des talibans ou des rebelles mais aussi nos militaires et des civils pris entre deux feux, ou qui soutiennent l'un ou l'autre camp. C'est inévitable... La question ne doit pas être vraiment là. Mais pourquoi cette guerre. Dans quel objectif. Et jusqu'à quand?

'Nous sommes en guerre'

Inutile de tourner autour du pot et d'user d'autres mots, comme le faisaient il y a quelque temps, les Français et comme les Allemands ou les Italiens semblent continuer de le faire, la guerre est bien présente. Et tous les pays – ou presque – de l’Union européenne sont engagés. Les armées des États membres de l’UE fournissent autant d’hommes à l’IFAS que les États-Unis ! Un peu moins de 30 000 hommes. Si on prend comme facteur 3 rotations par an, c’est près de 100 000 hommes que les pays de l’UE auront envoyé dans la région en 2009.

Cette guerre n'est pas sans dommage, militaire

Les pertes militaires européennes sont loin d’être négligeables. Selon le site icasualties, les armées de l’UE ont subi, depuis le début de l’intervention, 407 morts (dont la moitié de Britanniques), soit un tiers des pertes totales ou la moitié des pertes US durant la même période. Le nombre de blessés n’est pas indiqué. Mais il est environ trois fois plus nombreux que le chiffre de décédés. Côté US, on dénombrait en effet 2400 blessés sérieux, au 10 septembre 2009 (c’est-à-dire, non retournés au combat après 72 heures) pour un peu plus de 800 morts. Et, côté britannique, on recense 822 blessés dont 250 sérieux ainsi que près de 2000 hospitalisations pour maladie ou blessure non liée au combat, pour un peu plus de 200 morts (au 15 août 2009). C’est dire le poids des anciens combattants d’Afghanistan dans le futur. Sans compter les ravages de la drogue qui restent un tabou. Les responsables des armées le savent bien qui rapatrient, discrètement, des soldats devenus accro

Les pertes civiles sont inéluctables

Une guerre ne se mène pas en chaussettes. Quand il y a des soldats bien entraînés et lourdement armés, ainsi que des bombardiers en action, a priori, il y aura des dégâts. Des morts et des blessés. Pas seulement des militaires. Mais aussi des civils. Et mécaniquement des bavures. Demander aux militaires de se faire tuer sans réagir est plutôt inadéquat et inconséquent. Cette guerre ne faillit pas à ces principes. La proportion de civils tués pour celles des militaires et des rebelles semble rester globalement dans la fourchette de 1 sur 10. Les responsables politiques qui se sont réveillés au lendemain de Kunduz en proclamant leur refus de l’inacceptable ne me semblent donc pas vraiment très conséquents.

Cette guerre se cherche un objectif

Au début, cela a été la chasse aux terroristes (un objectif encore invoqué régulièrement pour justifier l’engagement), puis la stabilisation du pays, la lutte contre la drogue et le rétablissement de l’État (de droit), plus généralement de "notre sécurité", ainsi que l'a rappelé Angela Merkel la chancelière allemande, estimant que la présence militaire allemande est « dans l'intérêt urgent de la sécurité de notre pays. (...) "Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont été organisées à partir d'un Afghanistan contrôlé par les talibans. (...) La terreur est venue de là-bas et pas le contraire » .

Mais est-ce vraiment avec 100.000 hommes surarmés et leur maintien dans le pays pendant plusieurs années, qu’on rétablit un État de droit, qu’on chasse des terroristes, qu’on lutte contre la drogue et qu'on renforce "notre sécurité" ? Pourquoi ne pas intervenir au Soudan, en Somalie, en Iran, en Corée du Nord… Pays qui menacent aussi notre sécurité. Poser la question, c’est déjà y répondre.

L’objectif de cette guerre n’est-il alors pas plutôt la stabilisation d’un gouvernement allié (une sorte d'application de la clause de solidarité extra-territoriale) et la lutte contre l’islamisme radical. En cela, cette guerre ressemble alors, sinon dans ses objectifs précis, du moins dans ses fondements et même dans ses moyens, à la guerre qu’a menée l’URSS il y a vingt ans justement en Afghanistan. Et cette « croisade » moderne entraîne une série de problèmes : politique - l’islam étant la religion de l’Afghanistan, la guerre vise une partie de la population - juridique et éthique : ce n’est pas tout à fait le mandat donné par les Nations-Unies. On ne vise ni le maintien de la paix, ni le retour à la paix. Mais l'élimination d'un adversaire.

L'échec de la fuite en avant

La présence "pour des années" paraît une fuite en avant tout qu'autant qu'une cause d'échec à terme. En effet, le poids accumulé des pertes militaires, du coût de l'opération (directs et indirects), d’autant plus difficile à assumer que la crise économique et budgétaire fait sentir ses effets, et l'absence de justification propre à entraîner l'adhésion du public, se renforce. Malgré tous les efforts de communication de l’OTAN. Et si se multiplient des « bavures » comme celles de Kunduz, nos démocraties ne supporteront pas très longtemps cette guerre. Elles peuvent finir par aboutir à une rupture entre les opinions et leurs gouvernements. Ce qui serait le pire...

La stratégie actuelle est une impasse

Dans les mois prochains sera l’épreuve de vérité. Tout le monde le reconnait. Mais la stratégie actuelle, même revue et corrigée par le général McCrystal, ne semble pas offrir à portée de main un futur meilleur. Reconnaître que depuis huit ans, cette guerre a mal été engagée, mal déployée, et que beaucoup d’erreurs ont été commises, ne suffit pas. Retrouver la confiance de la population afghane juste avec quelques bombardements en moins et deux trois actions civilo-militaires en plus paraît difficile.

Le retrait programmé

La solution – contrairement à ce que prônent certains militaires US – n’est-elle pas alors non d’augmenter les troupes mais de les réduire. Et de l’annoncer. Avec un calendrier de retrait avéré, province par province.

1) Tactiquement, on offrira moins de prises à l’ennemi, moins de possibilités d’actions. Et on aura davantage de troupes disponibles pour le but principal qui devrait les guider : former et assister l’armée afghane. L’opération coûtera moins chère en vies humaines et  financièrement, donc sera soutenable.

2) Avoir un calendrier de retrait signifie qu’il y a une nécessaire prise en charge nécessaire par les Afghans de leur destin après la date-butoir. Afghaniser le conflit, ce n’est pas, en effet, juste former quelques milliers de policiers et militaires en plus, cela signifie également rendre aux Afghans la maîtrise tactique et les clés de leur pays. A leurs risques et périls !

3) C’est également enlever un argument à la rébellion. Le retrait des « troupes étrangères » ne devient plus le justificatif de « leur » guerre. Accessoirement cela oblige "l'ennemi" à contrôler davantage de territoires, donc pouvoir être victime de réactions et contre-attaques, des Afghans eux-mêmes.

4) La stratégie de sortie est d'autant plus nécessaire, que d’ici 2010-12, plusieurs gros contingents devraient sortir d’Afghanistan : le Canada et les Pays-Bas notamment (1), voire l’Allemagne (si le Bundestag refuse de voter la prolongation de la mission, l'appel des  conservateurs de la CSU à un calendrier de retrait n'est pas un signe à négliger). Mieux vaut un retrait organisé, et programmé, qu'un retrait en ordre dispersé, qui ressemblerait à une débandade...

Ce n'est pas une bonne solution - j'en suis conscient -, la moins pire des solutions...

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®