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L’aide civilo-militaire en Afghanistan: coûteuse illusion selon l’Ifri

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Crédit photo : US Air Force Staff Sgt. Billy Vincent, Kentucky Agribusiness Development Team

(BRUXELLES2) Amaury de Feligonde vient de passer un an en Kapisa et Surobi (zones où sont implantées les troupes françaises) en qualité de chef de projet au sein de la Cellule Interministérielle Afghanistan Pakistan. De retour en France, il livre "à titre personnel" ses observations dans un "Focus stratégique" de l'IFRI (L'Institut français des relations internationales), notamment sur le rôle des PRT - Provincial Reconstruction Teams - et sur l'effet de l'aide civile. Son analyse est intéressante, car à l'aide de concepts plus historiques ou théoriques (notamment Lyautey qui demeure sa référence constante), il dresse aussi un portrait de l'aide civilo-militaire ou internationale, par le petit bout de la lorgnette, très concret, qui mérite une attention car elle corrobore certaines analyses plus globales qui font de l'Afghanistan un exemple de déperdition d'énergie et d'argent. Voici donc quelques éléments de la lecture de cette note.

Les errements de l'aide internationale

L'aide, un "vrai boulet", parfois, et autres errements.

La capacité d'absorption des populations est "souvent très faible" surtout dans les zones rurales. Et l'aide peut même devenir un "boulet" parfois car elle introduit certains "déséquilibres" dans la société afghane (augmentation brutale de certains salaires et prix, concurrence déloyale de produits distribués gratuitement...), sans compter les risques de racket ou d'attaques (il cite notamment le cas de la construction de routes par la PRT américaine en Kapisa). L'étude dénonce "deux errements (qui) ont la vie dure" : la volonté de créer à tout prix des unités industrielles - "une simple vue de l'esprit le plus souvent" - et les subventions pour favoriser les exportations - "sans succès" (et le mot est faible...).

Le phénomène des 'coquilles vides' et des "commandants-entrepreneurs".

La tendance internationale à plaquer "de façon artificielle" sur l'existant des structures "manquant de légitimité" est faillible. L'auteur dénonce ainsi certaines structures de représentation de la population mises en place par la communauté internationale comme quelques Conseils de développement communautaire (CDC) créés par la Banque mondiale, qui sont "des 'coquilles vides' mises en place par les puissants (commandants, maleks) pour capter la rente" des programmes internationaux".

Le risque est aussi de "renforcer certaines figures locales, parfois peu recommandables", ce qu'il appelle "le commandant entrepreneur" : par exemple, un commandant moudjahidin, du parti Jamaat-e-Islami, issu d'une des 4 vallées principales du district de Surobi, qui "bien connecté à un député local, tente de faire pression sur les opérateurs de projets, y compris par la menace, afin que son entreprise de travaux nouvellement créée puisse bénéficier de contrats".

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(inauguration de l'école de Parmakhan crédit : Marine US)

Difficile de distinguer le civil de
l'insurgé.

Dans les faits, il est souvent "difficile, sinon impossible d'établir une distinction entre les 'gentils' et les 'méchants' " (positive et negative influencers dans la terminologie internationale). En Kapisa, ainsi, "Les insurgés sont, dans leur immense majorité, issus de la population locale, à la culture guerrière bien ancrée", rapporte Amaury de Feligonde. "Il ne peut donc être question de 'séparer' civils et insurgés". Autrement dit, il faut faire avec ce que l'on a...

Quand le "reporting" tue les projets.

La mise en oeuvre concrète des projets sur le terrain devrait "être la priorité absolue des chefs de projets". Mais "dans le monde très normé de l'OTAN", l'auteur a "vu nombre de chefs de projets placés dans la chaîne de commandement FIAS (IFAS) n'ayant pas le temps de rentrer dans le détail de leurs projets, car littéralement submergés par les réunions, vidéo-conférences et comptes rendus écrits incessants exigés par cette structure". Le "reporting" ayant été élevé au rang d'objectif principal parfois afin de lutter contre la corruption.

Le syndrome "Fobbit".

L'auteur remarque que certaines PRT insérées au sein d'unités de combat sont "largement coupées des communautés locales et de la population et manifestent souvent le syndrome 'Fobbit' (de l'acronyme FOB - bases opérationnelles avancées - qui conduit à vivre dans un camp retranché à l'intérieur des bases).

Quelques solutions plus iconoclastes !

Délaissant le constat uniquement critique, l'auteur avance certaines pistes de solutions, dont certaines vont à l'inverse de la tendance actuelle.

Des équipes à la sécurité réduite

Il préconise ainsi une "organisation souple, aussi peu bureaucratique que possible" des équipes de projets, "mobiles, flexibles, capables de se déplacer sur zone en se passant des dispositifs de sécurité exigés habituellement". Il faut aussi des "circuits de décision simplifiés", avec pratique des "contrats cadre et appels d'offre simplifiés" (NB : une dernière exigence que l'on retrouve également dans les missions de PeSDC et qui devraient devenir la norme dans les zones d'intervention). Enfin, il faut s'inscrire dans la "longue durée", les "zones pacifiques doivent continuer à être protégées (présence de forces de police et de l'armée) et aidées. Les financements ne doivent pas se tarir immédiatement".

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(Crédit : Farmer Field School - Aga Khan Foundation)

"Keep it simple, keep it local".

En matière de réalisation, l'étude privilégie "au maximum" les capacités disponibles localement et les projets "simples". "Keep it simple, keep it local". Cela peut paraître évident. Mais ce n'est pas la solution toujours privilégiée. La "solution idéale" est d'utiliser la main d'oeuvre issue des villages bénéficiaires, afin de maximiser les revenus allant directement aux locaux et de "préserver les installations". Citant l'exemple de Kandahar (pourtant province très difficile) où "les ouvrages construits sous le financement du programme du PNUD, NABDP, n'ont pas fait l'objet de destructions largement constatées sur d'autres ouvrages réalisés par des entreprises ou autres 'contractors'".

Au niveau purement français, il préconise une doctrine d'intervention au niveau interministérielle.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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