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Les lessons learned d’Haïti: les 10 recommandations du rapport (exclusif)

HsPelikanHaiti@Nl100115(B2) Après le séisme à Haïti, il est temps d’en tirer les leçons. Un rapport rédigé par les services de Catherine Ashton et de Kristalina Georgieva, a été présenté aujourd’hui, aux ministres des Affaires étrangères de l'UE réunis à Luxembourg (NB : il sera discuté cet après-midi).

J'ai pu lire ce rapport intégralement (en avant-première). Et il est intéressant car il trace de nombreux points à améliorer même s'il pêche par certains points (lire mon commentaire).

Le rapport souligne combien la réponse européenne a été « rapide, sur une grande échelle et globale » face à l'intensité de la  catastrophe (1). Mais il se garde bien de tout triomphalisme. « Il y a de bonnes raisons d’être relativement satisfait (…) mais il ne n’y a pas de place pour la complaisance. » Si l’ensemble des structures a fonctionné « dans l’esprit de Lisbonne », le séisme a souligné - explique le rapport - la nécessité « d’améliorer la capacité de réponse de crises de l’UE lors des catastrophes majeures, à la fois en termes d’efficacité, de coordination et de visibilité » souligne le rapport. Il faut « renforcer l’efficacité de chacune des composantes (protection civile, aide humanitaire et si nécessaire moyens militaires) » et assurer leur coordination.

NB : Pour plus de lisibilité, j'ai regroupé sous forme de dix recommandations les différents aspects du rapport.

1. Une règle d'utilisation des moyens militaires en cas de catastrophe.

Haïti a montré « l’utilité d’une contribution de moyens militaires robustes » qui ont permis de combler des gaps critiques de capacité
« notamment en matière de transport (cargo, avions, hélicoptères) et génie ». Mais les modalités et les circonstances de la mobilisation des moyens militaires doivent être en ligne avec les principes et lignes directrices, fixées dans le consensus européen sur l’aide humanitaire: « approche basée sur les besoins, complémentarité en dernier ressort quand les capacités humanitaires ne sont pas remplies, et sous direction civile. »

2. Des stocks prépositionnés et une capacité de transport.

Côté humanitaire, le système de dépôts de secours et stocks pré-positionnés (mis en place par l’ONU et la Croix-Rouge) a montré son efficacité. L’UE doit renforcer la capacité des dépôts humanitaires (faits par les ONG ou les Etats membres).

Le transport reste le « talon d’Achille » des opérations et « a affecté la capacité opérationnelle » de ces stocks. L'UE doit investir dans des capacités logistiques ou de transport des organisations humanitaires ou des Etats membres (voir mon commentaire).

3. Une planification des moyens de protection civile et des forces en stand-by.

Côté protection civile, le mécanisme existant a bien fonctionné mais il « repose encore (trop) sur le volontariat et les contributions/offres ad hoc, soumises à des modalités de décision nationale différentes ». Ce qui implique « inévitablement un degré d’improvisation » dans la phase de réponse de crises. Les décisions de déploiement sont reportés. Et il n’est pas possible de garantir la disponibilité des ressources nécessaires.

Quatre solutions sont mises sur la table :

- la planification des opérations de protection civile sur la base de scénarios de référence, avec une connaissance plus précise des capacités des Etats membres ;

- l’extension des accords de « stand-by » et la création d’un poll d’Etats-Membres clés qui peuvent être utilisés lors d’opérations de l’UE (NB : le mot d'EU Fast n'est pas prononcé. Mais on y pense) ;

- le renforcement du rôle de la cellule « protection civile » (MIC) de l’UE ;

- le développement d’accords de transports, pour permettre un déploiement (NB : là aussi !).

4. Une meilleure interaction civils et militaire.

Le peu d'expériences de déploiement conjoint « explique la situation actuelle ». Le rapport préconise donc une « plus grande familiarité » entre les strutures de la PeSDC et de la Commission européenne. (NB : que c'est joliment dit !) Et la coordination « devrait être améliorée dans le futur ».

5. Déploiement de personnels sur le terrain : experts techniques, soutien consulaire, officiers de liaison de l'UE.

Coté européen, il reste encore nombre de points à améliorer également.

Si les procédures de déploiement rapides (fast-track procedures) existent pour l'aide humanitaire et protection civile, des procédures similaires seraient nécessaires pour les autres groupes d'experts (administratif, logistique, sécurité, assistance aux Etats membres dans la gestion consulaire ou l'information). Le déploiement d'experts sur ces questions devrait être envisagé. Et la présence d'officiers de liaison de l'UE au sein du dispositif ONU devrait être envisagée.

La MIC devrait aussi envoyer « systématiquement » les équipes de soutien et d'assistance technique (TAST), accompagnés de kits de communications et autres structures transportables.

6. Une évaluation renforcée : équipes conjointes et évaluation post-désastre

La capacité d'évaluation de l'UE doit être améliorée en envoyant des équipes conjointes d'évaluation ECHO-MIC et Etats membres.

Le rapport préconise aussi d'avoir une meilleure évaluation de la première aide de reconstruction, post-urgence (PDNA), avec des experts pré-identifiés, à la Commission et les Etats membres qui auront développé un concept commun pour la PDNA, avec un système de rotation et une formation adéquate.

7. Rationaliser les centres de crises existants.

Il faut « rationaliser les centres existants » (NB : on en compte presque une dizaine aujourd'hui). Heureusement, le traité de Lisbonne favorise cet état d'esprit. D'un coté, l'intégration de la protection civile et de l'aide humanitaire dans une même direction ; de l'autre, le futur centre de réponse de crises du Service diplomatique (SEAE/EEAS) qui regroupera trois cellules : le Sitcen (veille information et protection consulaire), la cellule watchkeeping (WKC) de l'Etat-Major de l'UE (en direct des missions de la PeSDC) et la plate-forme de crises de la DG Relex (analyse politique). En cas de crise majeure, les deux dispositifs devraient être réunis, selon une approche type « task-force ». Quant à la coordination des moyens militaires, le rapport est moins prolixe, précisant qu'elle doit tenir "là où est disponible l'expertise militaire", c'est-à-dire au niveau de l'Etat-Major militaire.

8. Une règle de coordination politique.

Haïti a été la première « real-life experience » de l'application des dispositions du Traité de Lisbonne (alors que toutes les structures de celui-ci ne sont pas encore mises en place). Le rapport préconise donc une ligne directrice, Dans le cas d'une catastrophe de ce type, majeure et multidimensionnelle, c'est le Haut représentant pour les Affaires étrangères, par ailleurs vice-président de la Commission (HR/VP) qui assure le lead politique de la coordination de l'UE (couvrant l'action de l'UE et de ses Etats-membres) et pour représenter l'UE à tous les niveaux. « La présentation de positions unies de l'UE, comme cela s'est passé à la conférence des donateurs pour Haïti à New-York » doit devenir la norme ». En cas de catastrophes "normales", de moindre dimension, qui « ne nécessitent pas un engagement conjoint de toutes les mesures de l'UE », c'est la Commission européenne qui « assure le lead opérationnel en étroite coopération avec le HR ».

9. Et une règle de coordination sur le terrain.

Le « chef de délégation de l'UE devrait jouer un rôle plus central dans la coordination et le partage d'information plus efficace de la famille de l'UE sur le terrain (en incluant les missions des Etats membres) ». Il doit assurer également, à un niveau politique, le contact et la liaison entre l'UE et les autorités locales et les autres acteurs clés internationaux. Si nécessaire Bruxelles doit être capable de rapidement renforcer la délégation de l'UE en lui fournissant matériel et personnel.

10. La visibilité à revoir.

« L'effort substantiel de l'UE n'était pas toujours visible du public européen ou international » (NB : c'est un euphémisme, voir également l'interview avec K. Georgieva). Pour y remédier, le rapport
préconise quelques solutions :

- la présentation des données de l'aide de l'UE de façon globale en incluant les données des Etats membres (NB : c'était un problème lors de l'opération de secours en Haïti) ;

- obliger les partenaires (ONU, Croix-Rouge, ONG...) à afficher le logo de l'UE ;

- avoir un badge UE (double badge éventuellement UE/National) pour les personnels de l'UE et des Etats membres déployés sur le terrain ;

- déployer sur le terrain des experts média et communication.

HaitiSauvetagAmericainFrancais@Us100115
Une rescapée sortie des décombres par une équipe de secours française avec le soutien américain (crédit photo : US Army !)

 

Commentaire : un rapport intéressant mais trop incomplet pour être crédible

Au final, ce rapport est très intéressant. Mais il me semble plutôt assez conformiste, incomplet et peu approfondi, en particulier sur le volet militaire. Il ne permet pas à mon sens de bien tracer les nécessités (NB : je sais, je suis sévère. Mais c'est la réalité).

Ainsi il mentionne l’apport militaire, et son utilité, mais n’en tire pas vraiment de conséquence. Il démontre également une profonde méconnaissance, voire une ignorance totale de la réalité de la PeSDC, notamment son volet civil et ses évolutions récentes. Par exemple, en matière des transports, un des besoins primordiaux rencontrés, il ne mentionne pas la mise en place imminente du commandement aérien européen (EATC) à Eindhoven (en septembre) (3). C’est cependant une partie de la réponse à ce besoin. Un haut gradé m’a confirmé récemment, en effet, la disponibilité de ces moyens tactiques et stratégiques de transport. Ce qui devrait faciliter grandement demain la réponse européenne puisqu'il suffira d’un seul coup de fil, à Eindhoven pour avoir les moyens nécessaires (si les Etats membres le désirent). Une nette avancée !

En matière de visibilité, également je trouve cela assez "léger", pour ce qui a été l'échec majeur de l'action de l'UE en Haïti (4). Un beau loupé pour la com' européenne). Parmi les solutions proposées, certaines sont déjà résolues depuis longtemps dans d'autres enceintes. Ainsi les personnels civils ou militaires de la PeSDC ont déjà un double badge UE/national. Si les militaires y arrivent, pourquoi pas les civils !

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire également

(1) Séisme à Haïti. L’aide européenne: 6 navires, 3000 hommes… En détail

(2) K. Georgieva : nous ne devons pas garder notre drapeau dans notre poche

(3) Feu vert au commandement aérien européen EATC. Une petite révolution

(4) Haïti. Un beau loupé pour la com’ européenne…

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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