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Poursuivre les pirates, ce n’est pas mon job dit la Commission européenne

ArrestPiratesEquipVisit-Fr100501.jpg (BRUXELLES2) Cela fait bientôt deux ans que les Européens ont décidé de s'attaquer à la question de la piraterie maritime dans l'Océan indien. Deux ans que plusieurs centaines de marins - dont un cinquième d'Européens environ - ont été pris en otage par les pirates somaliens et que quelques millions de $ de rançons ont été versés pour récupérer bateaux et personnel. Dans ce laps de temps, une coordination des moyens maritimes a d'abord été lancée (EUNAVCO), puis une mission militaire maritime et aérienne au large des cotes somaliennes (EUNAVFOR Atalanta).

Plusieurs accords ont été passés avec des Etats voisins pour traiter les pirates. Et plusieurs projets imaginés pour s'attaquer aux causes de la piraterie, en passant par le renforcement la stabilité de l'Etat somalien (mission EUTM Somalia). Mais, depuis deux ans, il y un secteur où aucun progrès n'a été réalisé : l'harmonisation des lois européennes sur la piraterie en la matière.

Veto de la Commission pour étudier ce dossier

Ce dossier a d'abord été sous la responsabilité du commissaire français Jacques Barrot et est maintenant sous la responsabilité des commissaires Malmström (Affaires intérieures) et Viviane Reding (Justice). Mais il n'a pas avancé d'un pouce. J'ai à plusieurs reprises questionné mes interlocuteurs à la Commission. La réponse a été (au mieux !) : "ce n'est pas à l'ordre du jour" et "nous ne comprenons pas le sens de votre question".

En fait, il semble bien selon quelques indiscrétions recueillies que ce projet ait été étudié. Mais pas très longtemps, ni de façon très approfondie. Aucune directive n'a été donné et le hola a très vite été mis au plus haut niveau de la hiérarchie. Traiter et poursuivre les pirates dans l'Etat du pavillon ou des victimes n'est pas très en odeur de sainteté dans certains Etats membres, qui ne veulent pas être soumis à une obligation générale européenne et préfèrent en rester à un traitement "cas par cas", voire pas de traitement du tout.

Signe du désintérêt notable de la Commission : aucun représentant de la direction Justice ou Affaires intérieures n'était présent, jeudi lors du séminaire piraterie organisé par la présidence espagnole au Parlement européen, alors que toutes les autres DG (affaires extérieures, développement, pêche, transport...) avaient délégué un représentant.

Une situation plutôt anachronique alors que l'UE ne cesse de répéter de par le monde combien est grande la nécessité de poursuivre les pirates... Il est peut-être temps de prendre cette question à bras-le-corps.

Faites ce que je dis, pas ce que je fais

Tout d'abord c'est une question de crédibilité pour l'UE. Comment convaincre des Etats africains, comme le Kenya, la Tanzanie, l'Ile Maurice, l'Afrique du Sud — qui ne sont pas très dotés en capacités judiciaire et pénitentiaire — de continuer à poursuivre les pirates pour le premier, de changer leur loi pénale, pour les autres, afin de prévoir une incrimination sur la piraterie large, incluant des faits ne s'étant pas produits dans leurs eaux territoriales ; alors que la grande majorité des Etats membres de l'UE n'ont pas édicté ce principe de compétence universelle dans leurs propres lois (Seuls cinq d'entre eux l'ont fait et, encore, sur les cinq, presqu'aucun ne l'applique !). Dans plusieurs Etats membres, il n'y a pas ou presque pas de législation sur la piraterie, quand la loi ne date pas des siècles précédents (XVIIe siècle pour les Pays-Bas !). Dans d'autres, elle est en train d'être mise en place.

Ensuite, cela me semble être le juste respect de la loi internationale. Selon la convention de Montego Bay, et son article 105, c'est l'Etat qui a procédé aux arrestations qui est compétent. « Les tribunaux de l'Etat qui a opéré la saisie qui peuvent se prononcer sur les peines à infliger, ainsi que sur les mesures à prendre en ce qui concerne le navire, l'aéronef ou les biens, réserve faite des tiers de bonne foi. » C'est l'Etat du pavillon du bateau attaqué ou de celui qui a appréhendé les pirates qui peut être compétent au premier chef. La CEDH a reconnu récemment que la convention de Montego Bay édicte une règle de "compétence universelle".

C'est aussi une question pratique et juridique : avoir un corpus législatif, à jour, opérationnel et pleinement respectueux de la convention internationale. Ce n'est pas le cas actuellement. Seuls quelques Etats qui se comptent sur les doigts d'une main ont une législation à jour, d'autres (Espagne et France) par exemple sont en train de modifier leur loi. Et la Cour européenne des droits de l'homme a été obligée d'intervenir pour fixer une ligne de conduite en matière de respect des droits procéduraux et des droits de l'homme. Une loi européenne donnant des prescriptions minimales sur l'existence d'un délit de piraterie, les modalités de poursuite, de respect des procédures, de règlement des conflits de compétence ou de loi ainsi que de transfert entre les différents Etats membres, paraît nécessaire.

Enfin, il faut rappeler que l'UE a un rôle majeur en matière de transport maritime mondial. Elle contrôle 40% du commerce maritime. Et 9500 navires marchands portent un pavillon d'un des 27 Etats membres.

Que fait donc Viviane !

Ce dossier est désormais du ressort de Viviane Reding, désormais commissaire européenne chargée de la Justice (si mes informations sont exactes car, en fait, chacun se refile la patate chaude). Une Luxembourgeoise qui, malgré ses airs un peu débonnaires, peut se révéler une vraie "casse-bonbon" quand elle a décidé de se saisir d'un dossier. On se souvient de sa fermeté à conduire le dossier "roaming" qui est sans doute une des rares réussites de la première commission Barroso. S'en saisir serait sans doute un sérieux coup de main à sa collègue Cathy Ashton, pour ensuite convaincre les Etats africains de signer des conventions pour le traitement des pirates.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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