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Six mois après. Y-a-t-il une diplomate en chef à la barre ?

AshtonConfPress2CmeMinAffEtr@UE100510(BRUXELLES2) Six mois depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, plus de six mois après sa nomination, c'est un peu le temps de prendre la température de la nouvelle politique étrangère de l'UE et de l'effet de la nouvelle Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. Autant dire que le résultat n'est pas très glorieux. Si vous êtes d'humeur maussade aujourd'hui, ne lisez pas les lignes qui vont suivre, elles ne pourraient que vous enfoncer dans le doute. En effet, quand vous interrogez diplomates, militaires, experts tous terrains, les principaux mots qui reviennent sont : inaudible, inconsistant, invisible... (1).

Pourtant ce n'est pas faute de bonne volonté, ni de déplacements en tous sens de la nouvelle Haute représentante de l'UE... Catherine Ashton a ainsi pris son bâton de pèlerin et s'est rendu à Washington, en Bosnie, à Haïti, au Kenya, aux Seychelles... Elle a assuré la présidence du conseil des Affaires étrangères, s'est rendu à l'OTAN deux ou trois fois (elle  manque rarement une réunion de l'Alliance atlantique!), aux Etats-Unis une fois, à Kiev aussi. Bref elle fait le job. Mais voilà, rien de plus. Au contraire. Plusieurs occasions d'affirmer haut et fort la parole européenne ont été perdues (Haïti, Iran...). Les absences répétées de la Haute représentante commencent à être difficilement justifiables. Ses "loupés" font jaser.  Explications...

Initiatives : degré zéro

Six mois après l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne la politique étrangère de l'UE pâtine... "Aucune initiative notable n'a été lancée" explique un expert de ces dossiers. Propos confirmés par plusieurs intervenants. La mise en place du service diplomatique (service européen d'action extérieure) semble accaparer toute l'attention de la Haute représentante (2). Mais là aussi cela traîne. Les parlementaires se lamentent d'être un peu délaissés et, surtout, de voir traîner certaines propositions.

En attendant, les autres dossiers restent en plan. La coopération structurée permanente pâtine, laissée aux mains des Etats membres. La clause de solidarité (pourtant innovation majeure du Traité de Lisbonne) qui requiert une initiative de la Haute représentante et de la Commission n'est toujours pas appliquée. Le fonds de lancement n'est toujours... pas lancé ! Bref aucune des changements du Traité de Lisbonne n'a été mis en application.

Quant aux innovations possibles (création d'un centre commun de gestion de crises...) et au sens de l'audace, autant dire qu'ils sont rangés soigneusement au fin fond d'un coffre fort. Dont on a oublié où il se situait et dont on a perdu le code....

Des prises de paroles décalées

Exemple type : la Thaïlande. Les troupes gouvernementales chargent les chemises rouges, les ambassades prudentes ferment. Du coté de la Haute représentante, rien.
24 heures après le dernier roulement de charge, alors que les barricades sont déjà démantelées et les morts enlevés (plus d'une quarantaine de morts, plusieurs centaines de blessés), surgit un communiqué tenant du néant, appelant au "dialogue en vue de régler la crise actuelle par des moyens pacifiques et démocratiques, et de rétablir la stabilité et l'ordre dans le pays". Un peu tard.

Autre exemple : la Flottille pour Gaza. La première réaction de Cathy est un peu sous-calibrée. Elle appelle à une enquête interne des autorités israéliennes, propos qui ne rencontre pas l'unanimité au sein des Etats-membres, loin de là. Un second communiqué, plus tard, corrige le "tir". Propos qui est également déplacé d'un point de vue du droit international : les bateaux se trouvent dans l'espace international, battent pavillon divers, et les personnes sont pour certaines de nationalités européennes.

Un silence radio souvent étonnant

Le déplacement au Kenya, en Tanzanie ou aux Seychelles est important - au moins pour la concertation régionale dans l'Est de l'Afrique et la continuité de l'opération anti-piraterie (dans son volet "traitement judiciaire des pirates". Mais les suites de ce voyage restent obscures. La communication à la presse est limitée au minimum. Et les Etats membres ne semblent guère mieux traités. Autre exemple : Au sommet UE-Balkans, Ashton est bien là mais s'éclipse avant la fin. Son absence à la conférence de presse étonne mes confrères balkaniques qui posent la question à Stefan Füle, commissaire chargé de l'Elargissement. Celui-ci, un peu gêné, justifie par des "problèmes d'agenda".

Sécher, un principe de base

On connaissait déjà l'absence de Palma de Majorque lors de la réunion des ministres de la Défense. On croyait cette époque révolue. Catherine Ashton l'avait promis, juré. Elle serait là désormais. Las  Au sommet d'Istanbul sur la Somalie, les 21-23 mai, c'est le pâlichon commissaire au développement, Andris Piebalgs, qui est dépêché. Résultat : la contribution de l'UE passe à la trappe. Elle n'a ainsi été diffusée par les organisateurs de la conférence sur son site internet que 10 jours plus tard (quand l'encre du sommet était depuis longtemps passée). Et l'Union européenne est à peine citée dans la déclaration finale (seule EUNAVFOR est remerciée).

Au sommet UE-Pakistan, vendredi dernier, alors que sa venue était inscrite sur l'agenda, la diplomate en chef de l'UE n'est pas là. « Elle est à Londres ... » Le Pakistan, sixième puissance mondiale en termes de population, avec l'arme nucléaire, stratégiquement placé entre la Chine et l'Iran, et en conflit larvé avec son puissant voisin indien et où la guerre menée en Afghanistan s'étend, n'est donc pas un sujet de politique étrangère... En revanche, rassurez-vous, Catherine Ashton a toujours le temps d'aller aux réunions de l'OTAN. Même une réunion des ambassadeurs COPS-NAC trouve grâce à ses yeux. Elle a dû sans doute se tromper d'organisation...

Rumeurs et psalmodies

Résultat. La petite déception des premiers jours avalée, l'enthousiasme des premiers mois s'est éteint. Les diplomates européens, aujourd'hui, ont comme un "vague à l'âme". Ils ne se sentent pas d'impulsion claire. Du scribaillon au représentant spécial, le doute et la lassitude commencent à habiter les couloirs. « On ne sent pas la présence d'un chef. » explique l'un d'eux. « Les troupes dépriment » ajoute un autre. En interne, les principaux responsables ont le sentiment d'être délaissés, peu consultés, pas écoutés, et ont de plus en plus mal à expliquer et justifier la politique étrangère européenne. « Catherine Ashton gouverne toute seule et est isolée » précise l'un d'eux. Et un autre de résumer, un sentiment semble-t-il, très partagé : « Le bateau est à la dérive ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Et encore... je suis gentil et très poli

(2) Souvent on me répond que l'absence du SEAE est handicapante pour l'action de la Haute représentante car elle n'a pas de services.
Cette assertion me semble largement erronnée. Car de nombreux services sont à la disposition de la Diplomate en chef de l'UE (DG Relex, secrétariat du Conseil, Etat-Major de l'UE...) qui ne demandent qu'à agir et être coordonnée par la HR sans attendre la fusion structurelle voulue par le Traité de Lisbonne.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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