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Le service diplo de l’UE, un changement profond de culture…


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(BRUXELLES2 / Analyse) Cathy Ashton a intérêt à rester couverte, et garder son casque et son pilote d'hélicoptère, quand elle reviendra à Bruxelles  (comme sur cette photo prise sur le tarmac de Port au Prince à Haïti lors de la visite aux troupes espagnoles). Pour négocier les contours
et le statut du nouveau service diplomatique de l’Union, et passer toutes les embûches, la Haute représentante aux Affaires étrangères en aura bien besoin.

Une question très politique. La création de ce service est, en effet, un vrai champ de mines que chacun va s'empresser de poser sous ses pieds. Logique. Dans nombre de pays, l'organisation de la diplomatie est un domaine très sensible qui dépend bien souvent du domaine réservé du président (régime présidentiel) ou d'un kern restreint (régime parlementaire de coalition). Il est, en quelque sorte, inséparable de l'histoire de certains pays. Et la nomination d'un ambassadeur est souvent matière à récompenser un fidèle fonctionnaire ou un homme politique d'un certain rang. Les Etats membres vont donc devoir consentir à quelques abandons de souveraineté, au moins apprendre à partager avec les autres. Du coté de la Commission européenne, qui se voit en quelque sorte dépossédée de "ses" délégations, la tentation est également très grande de défendre, autant que possible, becs et ongles, ses prérogatives. Au milieu de cela, il y a ... Cathy Ashton, et son
casque. On peut donc comprendre que la bataille sera rude, non seulement sur les noms proposés mais sur les modalités de nomination, le statut, etc... Pas durant plusieurs semaines mais... durant plusieurs années.

Le jeu en vaut la chandelle. Le service diplomatique sera à terme important. Environ 8.000 personnes devraient travailler sous les ordres de Cathy, sans compter les effectifs des missions civiles et militaires de la défense (plus de 10.000 personnes déployés sur une dizaine de zones sensibles, de l’Afghanistan au Congo). Quand tout sera organisé, l’UE disposera alors d’un des services diplomatique, de défense, et humanitaire les plus puissants au monde qui pourraient lui donner une force de frappe aussi importante que l’Euro l’est en matière monétaire. Mais avant d’arriver là, il y a un intense travail de restructuration administrative et budgétaire tout autant que de négociation
politique à mener. Au point qu'on peut dire qu'avant d'être une super-diplomate, Ashton devra être une super-DRH...

Une super DRH... L’échéance d’avril paraît bien courte pour certains proches du dossier, pour boucler toutes les décisions. Un important travail doit, en effet, être réalisé au niveau du statut des personnels. Les discussions ont commencé assez tard — tout le monde attendait la ratification du Traité de Lisbonne pour entamer vraiment les débats — et les questions sont nombreuses. Quel statut régira les diplomates européens d’un nouveau genre ? A priori, un statut unique. Mais les statuts de la Commission européenne et du Conseil sont déjà différents. Il faut les harmoniser. Quant au personnel venu des Etats membres, il y a là une réelle inconnue : sous quel statut et le contrat les engager ? Jusqu’ici, ils bénéficiaient d’un statut ad hoc, d’expert national détaché, notamment, un contrat limité dans le temps. Une des options sur la table reprenait ce statut, mais les Etats membres veulent être placés sur un pied d’égalité avec les fonctionnaires européens. Ils estiment que ceux-ci doivent, aussi, avoir un contrat limité dans le temps. Le seul hic relevé par les juristes est que le Traité de Lisbonne a introduit un distinguo, subtil mais réel indiquant que le service se compose de « fonctionnaires des services compétents du secrétariat général du Conseil et de la Commission et de personnel détaché des services diplomatiques nationaux ».

Un changement profond de culture. L’action extérieure de l’UE ne part pas de rien. Il y a des délégations dans presque tous les pays (voir ci-dessous). Mais bien souvent, dans nombre de lieux, le travail d’un chef de délégation de la Commission européenne a essentiellement pour tâche de gérer et contrôler l’attribution des fonds par la Commission (pour le développement, le voisinage…), travail différent de celui d’un réel ambassadeur, plus politique. A l’inverse, les représentants spéciaux envoyés par l’UE effectuent un travail éminemment politique et diplomatique, avec une part de gestion réduite. Entre civils et militaires, entre fonctionnaires de la Commission — soumis à une forte hiérarchie et davantage orientés vers la gestion de programme —, et ceux du Conseil — plus petite organisation, habituée à une hiérarchie courte et plus politique —, sans compter les diplomates nationaux, il y a aussi un abîme et des cultures fort différentes qu’il va falloir marier, avec harmonie. Il faudra une certaine dose d’habilité et d’autorité pour mener à bien cette restructuration.

Quelques trous dans la couverture "diplomatique" de l'UE. L’Iran est le principal manque, la Birmanie et la Corée du Nord également (et la Somalie, mais les questions de sécurité empêchent tout établissement). L’Océan indien et le Golfe d’Aden restent particulièrement mal couverts : Bahrein, Comores, Emirats Arabes unis, Koweit, Oman, Qatar, Seychelles !… n’ont pas de délégation. L’Asie centrale comporte quelques pays où la représentation européenne est assurée par un autre pays (souvent d'Europe de l'Est) : Mongolie, Ouzbékistan,  Turkménistan.

(Crédit photo : Commission européenne! Catherine Ashton sur le tarmac de Port au Prince en visite troupes espagnoles du Castilla déployées à Haïti)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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