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Alors ! Une mission militaire pour Haiti ou pas ? explications

(BRUXELLES2) Y aura-t-il une mission militaire à Haïti ? Oui et non pourrait-on dire. Oui dans le sens où il y a un développement de la mission EUCO - de coordination des moyens militaires de l'UE (on pourrait parler d'EUCO II). Non dans le sens qu'il n'y a pas vraiment de "nouvelle mission", et même pas de "mission" du tout (au sens de la PeSDC). En fait, la Commission s'est un peu emmêlé les pinceaux dans la chose militaire (ou a voulu faire un coup de comm' diront les méchantes langues). Comme le résume fort diplomatiquement,  un expert du dossier « la communication de la Commission est un peu embrouillée ». Quelques explications s'imposent...

Un petit "couac" dans la communication. Reprenons le fil des évènements. Hier (jeudi) la nouvelle tombe sur les "téléscripteurs" (sur nos mails) : la Haute représentante de l'UE prépare une nouvelle mission militaire pour Haiti. Comme le confirme une dépêche de Reuters : « L'Union européenne prépare l'envoi à Haïti d'une mission militaire pour fournir avant la saison des pluies, qui débute en mars, des abris aux victimes du séisme du 12 janvier, a annoncé Catherine Ashton, la représentante de la diplomatie européenne » (1).  Interloqué, un porte-parole de la Commission m'aborde et me dit que bon, ce n'est pas tout à fait çà,... Rebelote, cependant, quelques heures plus tard,  un autre communiqué de la Commission tombe, concernant l'aide humanitaire, qui indique : « Together with the upcoming EU military
mission aiming to provide shelter this funding will further contribute to alleviating the suffering of the Haitian people
». Il n'y a pas de doute. Apparemment...

Pas une mission mais une action. En fait, il n'y a pas de nouvelle mission en tant que telle. Simplement l'action de coordination européenne des moyens militaires (EUCO), mise en place fin janvier (lire : Les 27 approuvent la cellule de coordination (EUCO Haïti)) continue son oeuvre. Une première liste de besoins avait été communiquée par l'ONU à l'époque. Entretemps, des agents d'Euco se sont rendus sur place. Et une deuxième liste de besoins vient d'être établie en liaison avec les autorités haitiennes et les Nations-Unies (cf. ci-dessous). Ce n'est pas une mission PeSDC au sens propre mais plutôt une action d’urgence avec des moyens militaires. On pourrait croire que l'on joue sur les mots. Non...

Pourquoi des militaires ? Que vont faire les militaires à Haïti ? Concrètement, le besoin le plus urgent, c'est la mise à l'abri de la population, avec la saison des pluies qui s'avance. Il faut pouvoir reloger plusieurs centaines de milliers de personnes, le rapidement possible. Pour aller vite, il n'y a que des moyens militaires qui peuvent intervenir. Selon mes informations, la liste de besoins, diffusée par EUCO Haiti (faite hier soir) comprend : des besoins de transport, des matériaux, du terrassement, des capacités de construction des moyens sanitaires, de l'ingénierie en bâtiment. On attend encore une confirmation formelle du gouvernement haitien.

Quelle est la différence entre mission et action ? Dans le premier cas (mission), il y a une décision, élaborée en commun, juridiquement approuvée et publiée au JO, avec des règles d'engagement et d'intervention définies par avance (notamment pour répliquer en cas de gagner...), des capacités et un budget sinon commun mais au moins partagé. Le tout sous un commandement intégré européen : un commandant de force qui une certaine latitude d'action (notamment pour réagir en cas d'urgence ou de légitime défense), un commandant d'opération (qui donne notamment l'autorisation d'appréhender un individu, exemple pirate en Somalie, ou de tir), et en dernier lieu, la Haute représentante de l'UE qui (dans tous les cas) est avertie. En cas de dérapage, c'est la responsabilité de l'UE qui peut être engagée (au sens propre : budgétairement parlant). Dans le second cas (action), chaque Etat vient avec ses troupes, son modus vivendi, ses
règles d'intervention. Mais simplement pour éviter une duplication de moyens et une "impression" d'anarchie, l'Union européenne centralise les demandes et besoins des uns et des autres et les retransmet à tous. Ainsi un avion britannique ou belge pourrait transporter des moyens de secours slovaque ou polonais et les bateaux espagnol ou français être mis à disposition des autres. En gros, utiliser intelligement les forces et jouer groupé plutôt que divisé.

Quelques commentaires

Sur la communication. On reprochait hier, à la Commission européenne de ne pas faire suffisamment de communication. Aujourd'hui, on ne pas quand même pas de lui reprocher d'en faire un peu trop. En réalité, c'est plus simple, la Commission a un peu de mal à appréhender la chose militaire, nouvelle pour elle. En soi, ce n'est pas grave. Mais tout de même, il s'agirait de ne pas renouveler l'exercice et d'être un plus sérieux. Car, autant, on peut faire de la communication sur les autorisations d'OGM (en manipulant un peu l'information, la déformant au besoin). Autant en matière militaire, c'est un peu plus délicat ou un peu plus dangereux. Et il faut faire attention aux termes employés. A ce tarif, là, on peut se retrouver en guerre avec le Costa Rica pour un petit dérapage verbal...

Une mission d'un nouveau genre: EULOG ? Si on pousse la réflexion un peu plus loin, au-delà des mots (mission, action...), cette "action" inaugure un nouveau mode de fonctionnement. A coté des missions militaires de la PeSDC, proprement dites, on va plus souvent que par le passé recourir aux militaires pour diverses missions de soutien — missions de sécurité civile, missions d'aide humanitaire, missions d'évacuation de citoyens... C'est la conséquence même de l'intégration voulue par le Traité de Lisbonne où l'UE dispose de plusieurs volets d'intervention (humanitaire, financier, ... et militaire). Ce, sans nécessairement déclencher toute "l'artillerie" lourde du mécanisme actuelle
(décision, IMD, Conops, Oplan...). Mais en ayant une coordination plus légère. Il faudra mettre en place une nouvelle logique de fonctionnement - concept, organisation, etc... -, des règles d'intervention, et choisir un terme de communication plus adapté pour ces missions plus "logistiques" que d'interposition, de formation ou de maintien de la paix. Pourquoi pas une opération logistique,  EU LOG (comme logistique) en abrégé ?

(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Le collègue de Reuters que je connais bien est un être sérieux et expériementé et n'aurait jamais écrit cette dépêche sans confirmation du coté de Catherine Ashton, dont il est un compatriote.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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