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L’Evertsen libère 13 pirates faute de pays d’accueil, un bug ?

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(crédit photo : marine néerlandaise)

(BRUXELLES2) Comme annoncé sur mon fil  twitter, les 13 suspects qui avaient été appréhendés, le 2 décembre, par la frégate néerlandaise Evertsen, ont été remis en liberté. Le ministère de la Défense néerlandais l'avait annoncé jeudi. C'est maintenant chose faite. Les marins néerlandais ont remis le bateau des somaliens à l'eau, au large des cotes somaliennes au nord. Durant deux semaines, les responsables néerlandais et européens ont tenté d'approcher les pays environnants (lire : L'Evertsen va louper la dinde à cause de ces "satanés" pirates). Las ! Le dernier pays approché, le Kenya, a refusé la prise en charge. Du coup, l'équipage de l'Evertsen n'arrivera pas à temps à son port d'attache, Den Helder, à Noël. Ce sera plutôt pour le Nouvel an...

Un bug pour l'opération EUNAVFOR Atalanta ?

Certains responsables néerlandais le pensent. Ils ont ainsi mis en cause, directement, les responsables européens de n'avoir pas fait leur travail. Le ministère de la Défense a ainsi publié un communiqué dans lequel il dit « regretter que l'Union européenne n'ait pas réussi à trouver une solution » (lire ici). Le ministre de la Défense, Eimert Van Middelkoop, regrettant ainsi « qu'aucun pays n'est disposé à poursuivre les pirates ». Personnellement, je trouve ce propos un peu "gonflé" (pour rester poli ...). 

Gonflés les Néerlandais !

Il y avait, en effet, un pays qui pouvait juger les pirates : les Pays-Bas tout simplement (1). Selon les lois de la mer, et le règlement d'Atalanta (l'Action commune), c'était même le "premier" sur la liste. Seulement les Pays-Bas ont décliné leur compétence, très vite. Pour des raisons, compréhensibles, mais un peu égoïstes : ils n'ont notamment pas envie de devoir donner l'asile ensuite aux Somaliens, une fois qu'ils auront exécuté leur peine. Et il y avait peut-être aussi certaines questions de preuve. Accuser ensuite les Européens et les Africains de manquer de solidarité est, somme toute, un peu inconvenant. Les Néerlandais pouvaient, également, fort bien, comme les Français, reprendre leur pavillon national et livrer les suspects à la justice du Puntland (région autonome de Somalie), par exemple. Seulement ils n'en ont pas eu l'idée... (ou le courage ... ). Enfin, la situation à bord commençait à être critique : les Somaliens avaient ainsi entamé une grève de la faim, selon le ministère de la défense néerlandais. Tous ces rappels pour montrer que pointer un doigt accusateur sur quelqu'un est assez facile en la matière. Les accords qu'a l'UE ne sont pas parfaits. Mais ils ont permis de traduire près d'un suspect arrêté en justice sur deux, ce n'est pas mal. Plus délicat est, maintenant, de parfaire ces accords et de trouver une solution.

Une solution, quelles solutions ?

1. A très court terme, l'autre solution aurait été de confier à un autre bateau les pirates qui auraient, en fait, effectué le travail que ne voulaient/ne pouvaient pas exécuter les Néerlandais. Sans qualifier moralement cette solution (-:)), elle présentait un grave inconvénient, d'ordre juridique : la rupture de la légalité, ce qui pourrait constituer un vice de procédure devant un tribunal.

2. A plus long terme, les Néerlandais, comme d'autres pays (la Russie notamment), ont proposé d'établir un tribunal international pour juger les pirates. Cette solution séduisante à première vue rencontre de nombreux inconvénients, d'ordre procédural - quel droit appliquer à ce tribunal ? - financier - qui va payer ces juges, etc... - et d'équité - pourquoi juger seulement les pirates et pas également les pollueurs, les pêcheurs dans l'illégalité, etc... De plus, cela va à l'inverse du droit de la mer, qui consiste plutôt à faire adopter par chaque Etat une législation adaptée et à sanctionner la piraterie (1).

3. Dans les prochaines semaines, il ne reste donc plus qu'à convaincre les pays de la région de continuer à accueillir les pirates, éventuellement en convaincre d'autres. Le Kenya - qui a déjà plus de 100 suspects dans ses geôles en attente de jugement - est, peut-être, fondé à refuser d'autres arrivées et à demander une assistance supplémentaire aux Européens.

4. A plus long terme, il ne reste donc plus aux Européens qu'à s'engager, rapidement, dans une action de stabilisation de la Somalie. Pour qu'au moins, au Somaliland et au Puntland, les deux régions les plus stables, on puisse envisager une action plus approfondie contre la piraterie (3).

(1) Rappelons également qu'il y avait un deuxième navire sur place, lors de l'interpellation : un navire canadien de l'OTAN qui... a laissé faire les Néerlandais. Tout simplement, car il savait, lui, ne pas pouvoir traduire ces suspects en justice. L'UE a des accords que l'OTAN n'a pas.

(2) Ajoutons - si mes informations sont exactes -, que les réunions aux Nations-Unies sur la question du cadre légal de la répression de la piraterie ne suscitent pas vraiment d'abnégation. La plupart des pays européens n'ont même pas daigné répondre au questionnaire adressé par l'organisation internationale.

(3) La piraterie n'est, en soi, qu'un "petit" problème au regard des autres dont souffre la Somalie : exode intérieur, famine menaçante, risque de terrorisme exacerbé.

(NVG)

 

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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