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Catherine Ashton (HR) passera-t-elle les auditions sans casse ?

(BRUXELLES2, de retour de Strasbourg) Les entretiens informels de la nouvelle Haute représentante aux affaires étrangères avec les parlementaires se sont succédé, en marge de la session plénière, ces derniers jours. Catherine Ashton a ainsi rencontré tous les groupes politiques: Socialistes, PPE, Libéraux, Verts, etc. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que, à écouter les uns et les autres, le résultat reste très mitigé. Même si dans sa famille politique, les socialistes, les critiques se font discrètes (lire le compte-rendu) - solidarité politique oblige -, quand les langues se délient, les critiques sont plus verves qu'ailleurs. « J’ai été effarée par son manque de connaissances du sujets » avoue une députée. « Elle a un manque de vision politique de ce que pourrait être la politique étrangère» balance un second. « Elle n’a aucun intérêt » cloue le troisième.

Certains députés (Libéraux, Verts) pointent aussi du doigt son refus d'annoncer sa politique en matière étrangère. Plusieurs groupes (Libéraux, Verts) avaient, en effet, demandé qu'elle présente un programme écrit, comme l'avait fait Barroso en septembre. Refus de  l'intéressée. A juste titre, défend Catherine Trauttmann (chef de la délégation des socialistes français) « Si elle arrivait en disant : j’ai une politique extérieure, elle se faisait "flinguer". Il y a une part de prudence qui est indispensable. » Et d'ajouter : « Catherine Asthon n'est pas flamboyante c’est le moins qu’on puisse dire. Mais c'est quelqu'un qui travaille à bien repérer sa charge de travail. J'aime bien son honnêteté, qui consiste à dire qu'il y avait des personnes au moins aussi bien placées qu’elle, qu'elle avait fortement à travailler, qu'elle sera attendue sur les resultats ». De même son idée de concentrer la politique de l'UE sur les zones où il y a un consensus a été accueillie avec intérêt. Même si, du coup, elle oublie le rôle primordial du Haut représentant, qui est de rapprocher les positions des Etats membres, de réduire les différences sur les dossiers les plus difficiles, donc... pas les plus faciles !

La prudence de Catherine Ashton masque, en fait, mal de sérieuses failles. Parmi tous les députés que j’ai interrogés, de toutes familles politiques, le constat semble se résumer à un mot: « décevant ». Certains préconisent de lui laisser le temps, d’autres sont plus dubitatifs, quelques uns sont même définitifs dans leur jugement. Cela fait désormais un mois qu’elle a été nommée comme Haute représentante. « Le temps suffisant à un étudiant de réviser quelques fiches et d’enfiler autre choses que des banalités du genre : c’est un sujet important » explique un député. « Par rapport à l’audition du 2 décembre, elle n’a pas progressé » ajoute un second.

Petites bourdes entre amis...

Visite en Bosnie ou pas visite

Apparemment, Catherine Ashton a commencé à semer quelques bourdes. Un matin, ainsi, devant quelques députés, elle annonce qu’une de ses premières visites sera en Bosnie-Herzégovine. Elle annonce qu'elle craint le risque de guerre. Une erreur stratégique et tactique, connue de tous les spécialistes : si les tensions sont persistantes en Bosnie-Herzégovine, le risque de guerre est pour l’instant tenu (comme le montre les rapports des militaires européens d’Althea, lire le dernier rapport). Certains députés lui déconseillent de s’y rendre, expliquant qu’elle pourrait bien tomber dans un piège tendu par les Bosniaques, spécialistes des coups fourrés politiques. Quelques heures après, elle corrige le tir, dans un entretien avec d’autres députés… Il n’empêche le mal est fait. Les groupes politiques ne sont pas, en effet, vraiment étanches au Parlement: tout le monde parle avec tout le monde. Témoin : la conversation que nous avons eu entre quelques députés PPE et Verts au détour d’un couloir.

Priorités africaines

Autre lacune, pour l'Afrique, elle détaille 4 pays sur lesquelles elle veut se concentrer : le Congo, la Somalie, le Zimbabwe, l’Afrique du Sud. Intéressant, si les deux premiers pays sont une évidence de politique étrangère, on peut se demander pourquoi l’Afrique du Sud, qui n’est pas, automatiquement, une urgence en matière étrangère, alors que le Soudan et le Tchad (pourtant zone  chaude), la Guinée, voire le pourtour méditérranéen … ne sont pas mentionnés. Son idée de concentrer la politique étrangère de l'UE là où il y a des consensus est accueillie avec intérêt. Même si, du coup, elle laisse de coté une des fonctions initiales du Haut représentant : favoriser le consensus entre Etats membres sur les points difficiles.

Des ministres plénipotentiaires de l'UE

Au détour d'une audition, C. Ashton lance une idée, apparemment lumineuse : nommer des ministres des Affaires étrangères comme ses plénipotentiaires dans certaines régions du monde. « Pourquoi pas, par exemple, envoyer le ministre espagnol Moratinos qui connaît bien le Proche-Orient dans cette région » explique-t-elle. L’idée paraît séduisante. Mais elle recèle des dangers diplomatiques, comporte un sacré mélange des genres et est sinon contre la lettre au moins contre l'esprit du nouveau Traité. Une hérésie s’insurgent certains députés, comme Dany Cohn-Bendit. On va avoir un découpage par zone : l’Afrique aux uns, l’Inde aux autres. C’est à l’inverse même d’une politique étrangère européenne. Moratinos au Moyen-Orient pourrait difficilement se démarquer de sa fonction d’Espagnol pour porter le discours de tous les Européens sur un sujet pour le moins brûlant (cf. la discussion sur Jerusalem Est au dernier Conseil des Affaires étrangères, le 8 décembre). Ce serait également peu convenant vis-à-vis de la présidence tournante. De plus, cette fonction – qui représente de près à celle d’un représentant spécial - implique une certaine indépendance - ne pas avoir d’autres mandats - et du temps disponible - à quoi servirait un envoyé spécial par éclipses ? - ; ce que ne peut faire un homme politique engagé sur son terrain national.

Le "stering board" du service extérieur

Dernière annonce qui a semé un peu l’émoi parmi les députés : la mise en place d’un comité directeur pour le futur service extérieur qui comprendra des responsables de la Commission, du Conseil, des Etats membres. Et c’est tout : pas de membres du Parlement européen. Autant dire un casus belli.

L'organisation, point faible...

Dans ces « erreurs », mes interlocuteurs pointent trois problèmes. « C’est une personne qui n’a pas de background, pas d’administration. Comment voulez-vous qu’elle s’en sorte ? » explique un spécialiste Chrétien-démocrate des affaires étrangères. Ensuite, dans sa  gouvernance, elle a commis l’erreur tactique de s’entourer de son cabinet du Commerce. Des personnes habituées à travailler sur des dossiers de technique économique se sont ainsi retrouvées projetées dans un horizon diplomatique, où les enjeux sont autrement plus diversifiés. « Ce n’est pas vraiment malin » commente un spécialiste de la politique étrangère. Ainsi quelle n’a pas été la surprise d’un membre du cabinet d’Ashton d’apprendre au décès d’un militaire en Bosnie-Herzégovine qu’il devait « gérer çà aussi ». Eh oui… Apparemment la nouvelle Haute représentante a aussi passé pas mal de temps à son organisation interne.

Les "Solana boys" laissés de coté

Enfin, sans doute le plus grave, elle n’a pas maintenu les liens que Solana avait su créer avec une série de représentants personnels, spécialistes d’un domaine. Si le dispositif Solana peut sembler un peu brouillon à quelqu'un qui arrive de la Commission - où c’est plus structuré et hiérarchisé -, ce dispositif avait un mérite : « faciliter la circulation des informations ». C'est cela l'essentiel de la diplomatie, et non le respect des procédures. Ainsi, les « représentants personnels » de Solana ne savent pas toujours s’ils seront des « représentants personnels » d’Ashton. Une erreur sans aucun doute. Ce type d'organisation est très utile témoigne un proche de ces représentants. « Cela permet de s'affranchir de la hiérarchie pour porter un sujet directement et rapidement à la connaissance du Haut représentant. »

Passera-t-elle les auditions ?

L’accord entre les groupes PPE – S&D ainsi que les libéraux semble tenir bon. Même si le Parlement semble à la recherche d'une victime expiatoire, au moins pour marquer son territorire. « On regarde qui va flancher, qui est bon, qui est le maillon faible de cette Commission. Mais cela se fera lors des auditions? Pas avant » explique Catherine Trautmann. Personne n’a vraiment envie d’enclencher les hostilités, alors que la Commission est en rythme provisoire, que le Parlement est en "panne législative". Les Parlementaires ne sont plus, depuis nombreux mois, alimentés en travaux législatifs, sinon des projets secondaires ; et moulinent ainsi quelques rares projets, des questions orales et d’autres débats qui s'étirent en longueur. « Il faut en finir avec ces questions institutionnelles et passer aux choses sérieuses : la crise économique, nos rapports avec le reste du monde… » tonne l’un. Un sentiment partagé par nombre de députés européens. C’est, en fait, la seule chance de Catherine Ashton. Sans cela, ses soutiens seraient minoritaires. Dans les groupes Verts, Gue, PPE comme libéral, son passage n’a pas rencontré les suffrages des spécialistes « Affaires étrangères ». La politique est aussi affaire de chance...

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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