B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Actu BlogPiraterie maritime

Les pirates repassent à l’attaque avant le réveillon: 2 prises (Maj)

(BRUXELLES2) Cela faisait deux-trois semaines que les pirates étaient assez calmes dans le Golfe d'Aden. On était plutôt dans une phase de "déstockage". Ce n'est plus le cas depuis Noël où on assiste à un "réveil" des pirates...

GolfeAden-BE0910.jpg
Vue du Golfe à partir de la frégate belge Louise Marie (crédit photo : Marine belge)

Depuis début décembre, plusieurs navires ont, en effet, été libérés, par les pirates pour un gain global qu'on peut estimer à au moins 10 millions $. Il en a été ainsi du navire grec MV Ariana, le 10 décembre, libéré contre une rançon de 2,5 millions $ ; du navire chinois De Xin Hai, libéré dimanche (27 décembre) contre une rançon de 4 millions $ (il avait été capturé le 19 octobre entre les Seychelles et les  Maldives), et, en dernier lieu, du Kota Wajar, un navire battant pavillon de Singapour, libéré lundi contre une rançon de 4 millions $ (il avait été capturé le 15 octobre, très au sud de la zone habituelle, au large de Mombasa, Kenya). A sa libération, le Kota Wajar a reçu l'assistance (médicale, vivres, eau...) de la frégate canadienne Fredericton (qui fait partie de la force de l'OTAN).

Le "réveil" des pirates

Mais plusieurs succès sont, aussi, à mettre au compte des pirates. Lundi, coup sur coup, deux navires ont été capturés dans deux lieux différents, prises confirmées par le QG d'EUNAVFOR Atalanta (l'opération européenne anti-piraterie) à Londres.

Au large des Seychelles

Un vraquier d'un armateur grec, le Navios Apollon a été capturé alors que le navire faisait route vers l'Inde. Le navire venait de Tampa en Floride (USA) et transportait des fertilisants selon son armateur (Navios Maritime Partners), cité par les agences grecques. Il comprenait 19 hommes d'équipage (un capitaine grec et 18 Philippins). Selon un procédé devenu classique, une dizaine de pirates à bord de deux skiffs ont réussi à monter à bord, à 240 milles nautiques au nord-nord-est de l'île de Victoria (Seychelles). Le bateau a, maintenant, été repéré par un avion de patrouille maritime d'EUNAVFOR à 180 miles au nord des Seychelles faisant route vers la Somalie.

Dans le corridor protégé du Golfe d'Aden

C'est un chimiquier, battant pavillon britannique, le St James Park qui a été capturé, également lundi, avec 26 hommes à bord (6 Indiens, 5 Bulgares, 3 Philippins, 3 Russes, 3 Turcs, 2 Roumains, 2 Ukrainiens, 1 Polonais, 1 Géorgien). Le navire, qui allait d'Espagne en Thaïlande, a été dérouté et a mis, lui aussi, le cap sur la Somalie et est suivi à distance par les forces EUNAVFOR. Il était enregistré dans la base maritime de l'UE, MSCHOA. Il naviguait dans le corridor surveillé par les forces  multinationales (IRTC) mais n'était pas escorté. Selon la CTF-151, il n'aurait pas actionné le système d'alarme à temps pour permettre une intervention d'un navire militaire (voir ci-dessous).

StJamesPark-Eunavfor091229.jpg
Le St James Park a été repéré près du port somalien d'Hobyo, refuge des pirates, par Eunavfor (crédit photo : Eunavfor)

A noter : Les gardes-côtes yemenites ont annoncé, par ailleurs, la saisie d'un cargo de pêche, le Al Mahmoud 2, qui avait quitté le port d'Aden le 18 décembre. avec un équipage de 15 personnes à bord (tous yemenites), selon l'agence Sabanews. Le navire aurait été saisi, au large des côtes du Puntland (Somalie), autour de Noël.

Un premier échec dans le corridor pour les forces anti-pirates : plusieurs explications

L'attaque du St James Park est à commenter particulièrement car c'est le second équipage ou navire britannique aux mains des pirates (avec le couple Chandler) mais, surtout, car elle intervient dans une zone particulièrement surveillée par les forces multinationales. Le corridor du Golfe d'Aden a un succès, indéniable, il faut le reconnaître : aucune attaque réussie n'a, en effet, eu lieu dans ce corridor durant les six derniers mois. « Si le nombre d'attaques pirates dans cette zone est resté identique (102 attaques en 2008, 101 attaques en 2009), le taux de réussite a, lui, chuté de 65% à 17% », commente ainsi un responsable de la CTF 151.

Une alerte radio trop tardive

« Quand le MV St James Park a été attaqué, deux navires de guerre étaient prêts à réagir. » explique la CTF 151. « Mais, malheureusement, le St James Park n'a pas eu la possibilité d'actionner le système d'alerte radio. Les navires de la coalition n'ont donc pas été avertis de l'attaque avant que les pirates aient pris possession du navire ». Ce n'est qu'ensuite que « le Security Alert System (SSAS) a été actionné. Un navire (américain) de la CTF-151, l'USS Chosin (CG 65), a pu alors confirmé, lors d'un échange radio, que les pirates avaient bien pris le contrôle du navire. » (1).


UssChosincg65-Us.jpg
USS Chosin (CG 65) crédit photo : Us Navy

Les fêtes de fin d'année

On peut aussi avoir une autre explication. Avec les fêtes de fin d'année, il y a moins de navires de guerre  disponibles, notamment occidentaux (UE, Otan, CTF), dans la zone. Et plusieurs d'entre eux étaient en réapprovisionnement dans les ports, ou terminaient un accompagnement de navires marchands récemment libérés. L'attention était donc un peu plus relâchée. Ce qui, combinée à une "erreur", technique ou humaine, de l'équipage du St James ainsi qu'à l'affinement des techniques des pirates peuvent, aussi expliquer cette prise.

NB : ce sont les Russes et Chinois qui assurent actuellement surtout l'escorte et le transit des navires dans le corridor (les Chinois jusqu'à début janvier, les Russes ensuite).

L'affinement des techniques pirates

Il semble, en effet, que les pirates tirent profit de la libération de certains navires et de la mobilisation d'autres, pour multiplier les attaques dans des lieux excentrés, désertés par les marines. En cela, ils utilisent de bonnes vieilles techniques de contrebande: étirer le champ de leur action, attirer les forces de police en un lieu, pour attaquer en un autre. Je peux, bien sûr, me tromper... Mais ce qui semble sûr c'est que les pirates disposent d'un réseau d'informateurs dans plusieurs ports africains ou arabes : Mombasa (Kenya), Djibouti, Aden (Yemen)... au point que la force européenne EUNAVFOR a dispensé plusieurs recommandations aux navires qui font escale dans ces ports, d'être très discrets, notamment dans l'usage de la radio de bord (VHF).

(1) "When M/V St James Park was attacked, two warships were in a position to respond, but regrettably it appears that the M/V St James Park was unable to provide an alert via bridge-to-bridge radio. Coalition ships were not alerted to the attack until the SSAS signal was activated by the crew after the ship was pirated. (...) After receiving a signal from the M/V ST James Park's Ship Security Alert System (SSAS), USS Chosin (CG 65), operating as the flagship to Combined Task Force 151 (CTF 151), was able to confirm via bridge-to-bridge radio that pirates had taken control of the vessel."

Au bilan 2009 (encore provisoire, il reste deux jours !)

Selon le QG d'Atalanta, jusqu'aux dernières prises de Noël, le bilan est de 8 navires et 213 personnes aux mains des pirates.Selon l'ONG Ecoterra, basée au Kenya, le bilan est légèrement différent, il y avait jusqu'à la prise de lundi : 10 navires et 11 équipages (le yacht britannique Lynn Rival, abandonné par les pirates, a été récupéré par la Navy) et 228 personnes (dont le couple britannique Chandler). Explication de cette différence : Ecoterra a enregistré la prise d'une barge inconnue et le navire de pêche yéménite.

Avec les dernières prises, on dénombre ainsi entre 11 et 12 navires et 273 personnes aux mains des pirates, dont - d'après mon décompte - une vingtaine de ressortissants de l'Union européenne = 2 Britanniques (le couple Chandler), 10 Grecs, 5 Bulgares, 3 Roumains, 1  Polonais.

Pour l'année 2009, on dénombre actuellement 44 captures de navires par les pirates. Un bilan somme toute équivalent à celui de l'année 2008 où on avait dénombré 43 captures pour 128 attaques, selon le Bureau maritime international. De son coté, Ecoterra recense : 66 captures sur 223 attaques, en 2009 et 49 captures pour 134 attaques en 2008.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®