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Giles Merritt: Uk et Fr doivent s’impliquer dans le service diplomatique, sinon c’est mort

(BRUXELLES2) Pour l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, j'ai eu l'occasion de discuter quelques minutes avec Giles Merritt. Britannique, ancien correspondant du Financial Times, il est aujourd’hui secrétaire général des Amis de l’Europe (Friends of Europe), un des thinks tanks (cercles de recherche) les plus en vue à Bruxelles, il est, sans doute, un des meilleurs connaisseurs du pouvoir européen. Une version raccourcie de cette interview est parue aujourd'hui dans Ouest-France, centrée davantage sur l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et du nouveau pouvoir. Mais naturellement notre conversation a roulé également sur des sujets qui nous tiennent à coeur...

Haut représentant, service diplomatique, politique étrangère,
Europe de défense, Cathy Ashton, Javier Solana

Avec le Traité de Lisbonne arrive un nouvel Haut représentant aux affaires étrangères, confié à une Britannique, Catherine Ashton. Une révolution ?

Non. Je ne crois pas qu’il faille espérer de grand changement rapidement. Son premier travail, et le plus difficile, sera de mettre en place, le service européen d’action extérieure. Ce que j’appelle plutôt le « service diplomatique européen », c’est plus compréhensible. C’est important, qu’à Londres et Paris, Foreign Office comme Quai d’Orsay, se livrent de plein cœur à la création de ce service, n'aient pas de réticences, ne mettent de freins ou de crocs-en-jambes, envoient leurs meilleurs éléments à Bruxelles. Il faudra regarder de près les noms des diplomates, prêtés ou transférés à Bruxelles. Sont-ce des responsables importants ou des légers. Quand les Français et les Britanniques se seront impliqués, les autres suivront. S’ils ne s’impliquent pas, c’est mort par avance. Il sera impossible à la Commission européenne de créer un service diplomatique tout seul.

Mort d'avance ! Vous êtes un peu rude. Il existe déjà les délégations de la Commission européenne ? Et puis il n'y a pas que les Français et les Britanniques

Non. Ce n’est pas le métier de la Commission européenne. Elle n'a pas l'expertise nécessaire. Les délégations sont plutôt – le meilleur mot qu’on puisse dire - légères. Certains fonctionnent très bien. D’autres sont de vrais désastres. En fait, les délégations ne sont pas des postes diplomatiques la plupart du temps, elles ont un rôle plutôt techniques, pour gérer les subventions mais surtout pour expliquer et appliquer la réglementation européenne (commerce, marché intérieur, concurrence…). Elles font un travail de juristes, pas de diplomates. Maintenant il y aura de vrais ambassades de l'UE. Pour cela, il faut une expertise un peu différente. Et cette expertise se trouve dans les Etats qui ont le meilleur réseau diplomatique.

A vous entendre, la création de ce service diplomatique va prendre beaucoup de temps et d'énergie ?

Oui. Il faut remanier les relations entre Commission européenne et Conseil, très compliqué, éviter les chausse-trappes avec les Etats membres. Le travail de lancement du service diplomatique ne laissera pas beaucoup de temps pour la création des politiques externes. Ça ne viendra que dans une deuxième phase. C'est pour cela que je pense qu'il ne faut pas attendre de grands changements ni de révolution de ce poste.

Et Ashton, personnellement, vous la connaissez ?

A peine. Je n’ai rien entendu contre. Mais j'ai surtout entendu très peu. Le dossier commerce extérieur – avec Doha en suspens, n’a pas été, ces derniers temps, un dossier vraiment très actif. Elle n’a pas de "track record". Elle n’a pas eu l’occasion de faire ses preuves. Elle l’a maintenant. Et très vite…

Vous ne semblez pas enthousiaste ?

Ce n'est pas une question d'être enthousiaste ou d'être sceptique. Il ne faut pas spéculer avant de l'avoir vu à l'oeuvre.

Quels seront ses dossiers prioritaires en matière de politique étrangère, ses dossiers tests ?

L’Iran, l'Afghanistan - avec les relations avec Washington - et le Moyen-Orient seront des dossiers tests. Bien que sur ce point, je crois que ce sera plutôt d'abord le travail de Van Rompuy car il y existe d'abord de sérieuses divergences entre Européens qu'il faut résoudre avant de pouvoir intervenir. Il y a aussi, et surtout la Russie. Solana avait tout à fait raison quand il disait que cette relation avait été négligée par l’Otan et aussi par l’UE. Nous avons toute une série de questions en
jeu : l'énergie, la sécurité, avec également toute une région d’instabilité autour de l’Afghanistan, le Caucase, les ex-républiques soviétiques, jusqu'aux confins de la Chine. Cela ne peut pas être négligé.

Au niveau de l'Europe de la défense...

Les relations entre Europe de la défense et l’Otan ne peuvent pas non plus être laissées de coté. Il faut qu’elle s’y lance le plus vite possible. Si on les laisse de côté, ce dossier va pourrir. Et ils n'est pas très sain déjà.

La nouvelle Haute représentante aura un agenda chargé. N'est-ce pas trop pour une seule personne ?

Ça fait beaucoup effectivement. Car, à coté de tous les problèmes pratiques de ce nouveau service, il y a des dossiers très "live". Mais je pense qu’il y a des gens qualifiés, comme Robert Cooper (1) pour continuer à gérer tout çà. Ce que je ne comprends pas encore sera le rôle du Secrétaire général du Conseil, De Boissieu. Ça fait partie de la zone artistique dont je parlais tout à l’heure. Et De Boissieu est un... artiste à sa manière

Javier Solana s'en va discrètement. Comment l'avez-vous apprécié ?

Son grand atout est qu’il n’a pas commis d’erreur. Il aurait pu en commettre (des erreurs) qui auraient mis en difficulté l’idée de la politique commune dès le début. Il ne s’est pas permis cela. Il a été très prudent. Et du coup cela a permis de progresser. Je crois qu'Ashton continuera comme çà. Elle est entourée de la même équipe.

(1) Cooper est le directeur général de la DG E (relations extérieures) du Conseil. Il s'est notamment beaucoup impliqué dans le dossier iranien

Traité de Lisbonne, Nouvelles institutions, présidence fixe du Conseil européen, rôle renforcé du Parlement européen, intervention des parlements nationaux, nouveau centre du pouvoir, démocratie du consensus

Le traité de Lisbonne crée un poste permanent, de président pour le Conseil européen, confié pour 2 ans et demi au Premier Ministre Belge, Herman Van Rompuy. Comment voyez-vous son rôle ?

Il sera plutôt un chairman qu’un Président - au sens français du terme -, un conciliateur plutôt qu’une star. Il aura pour rôle d’être l’architecte du consensus, de l’Europe qui parle d’une seule voix, de créer cette parole européenne. Ce qui manque aujourd’hui. Il ne paraît pas question qu’il soit la voix lui-même. Il y a beaucoup de sujets où les Européens ont un avis divergent : l’environnement, la réglementation des marchés financiers, la question fiscale, l’avenir de l'Euro… De ce point de vue, Herman Van Rompuy est l’homme de la situation. Il a du caractère et une expérience assez étonnante en Belgique. Le nombre de dossiers où nous n’avons pas vraiment de politique et de position européennes est important. Van Rompuy a du « pain dans les planches ».

Ce ne sera donc pas vraiment le visage de l'Europe dans le monde

Personnellement, je voyais plutôt le président du Conseil européen comme un personnage, se baladant partout dans le monde - à Pékin, à New-York... - représentant et personnifiant l’Europe. Dans sa version actuelle, il sera beaucoup plus à Bruxelles ou dans les Etats membres, en essayant de concilier les différents points de vue. Ce qui, d'une certaine façon, est aussi nécessaire: on peut se demander à quoi cela sert-il effectivement d'aller représenter l'Europe si on n'a pas accord à 27 à affirmer. Cela aurait pu d'ailleurs être assez dangereux comme système.

Et la présidence des Conseils de ministres continue de tourner ?

Oui. Le traité de Lisbonne a prévu que la présidence des réunions de chefs de gouvernement et d’État soit permanente. Mais, sauf pour les Affaires étrangères, la présidence des conseils de ministres continue de changer tous les six mois. Ainsi, après la Suède aujourd’hui, l’Espagne prend la présidence en janvier. Ensuite ce sera la Belgique, au deuxième semestre 2010. Et ils pensent à une présidence très européenne. Ce sera alors, je pense, le vrai "test case" pour résoudre une question qui n'a pas encore été abordée : comment la présidence permanente va travailler avec les présidences tournantes ? Il reste toujours un flou artistique sur la répartition des pouvoirs...

Le Parlement est renforcé. Mais il n'a toujours pas le pouvoir d'initiative ?

Non. Et, pour le moment, on n’en prend pas le chemin. Car, pendant encore dix ans, nous serons en train de digérer Lisbonne, de créer de nouvelles relations, de nouveaux mécanismes, il n’est donc pas réaliste d’avoir de nouvelles modifications institutionnelles avant. Mais le Parlement européen devient un peu plus adulte: ce n'est pas vraiment les compétences qui s'ajoutent, on prête d'attention à certaines dispositions juridiques. Ce qu'il sera intéressant d'observer, sera de voir l’atmosphère dans les semaines à venir, pour l'audition et la confirmation des nouveaux commissaires. Est-ce que le Parlement européen sera difficile ou différent de ce qu’il a été dans le passé ?

Autre innovation, les Parlements nationaux auront aussi leur mot à dire ?

Je vois çà un peu avec un œil britannique (sourire). Je pense à Westminster (la Chambre des communes). Quand je vois que les députés britanniques ne savent rien de ce qui se passe à Bruxelles, je suis plutôt sceptique sur ce rôle des Parlements nationaux. D'un autre coté, il est indispensable que les élus nationaux se sentent un peu plus impliqués. Comment faire ? je n’ai pas d’idée. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour que les Parlements nationaux jouent un rôle important.

Où sera alors le vrai pouvoir ?

C’est une très bonne question. Vous savez, comme souvent au niveau européen, il y a un certain flou artistique. Dans mon esprit, c’est aussi positif. On est loin du « Bruxelles impose », dénoncé par certains. Ce flou artistique permet de laisser une place à la discussion, à la négociation, pour permettre aux différents interlocuteurs d’être écoutés. Ce n’est pas la démocratie directe. C’est une forme de sensibilité politique qui équilibre le système de décisions. Ce que les Américains appellent check et balance (limitation des pouvoirs).

N’est-ce pas un peu anti-démocratique ?

Non. C’est une forme de démocratie. Ce n’est peut-être pas tout à fait le modèle républicain français ou fédéral allemand. C’est un modèle sui generis. D'un coté, on critique l'UE de n'être pas assez démocratique, de l'autre on lui reproche d'être lent et compliqué. Mais être à 27 et décider en démocratie est lent et compliqué. La recherche d’un consensus n’est pas forcément anti-démocratique. Au contraire…

Propos recueillis par Nicolas GROS-VERHEYDE.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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