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L’unanimité pour la politique étrangère de l’UE, un bienfait ?

(BRUXELLES2, Analyse) Quand on défend l’approfondissement l’Union européenne, il est de bon ton de dire que la majorité qualifiée est un signe de progrès et que l’unanimité est un signe de régression. Je suis prêt de partager cet avis pour tous les sujets d'ordre économique et social. Mais, après quelques années de pratique de la PESC/PESD (politique étrangère, politique de défense), ce propos mériterait d’être nuancé pour ce domaine.

Défense et illustration de l'unanimité. Autant, en effet, en matière fiscale, l’unanimité est source de retard — tout simplement car, d’un
côté, nous avons un marché unifié, de l’autre, une fiscalité morcelée qui favorise ainsi la concurrence déloyale — ; autant, en matière de politique étrangère, nous sommes dans une situation différente. Car les Etats européens n'ont ni une histoire ni une géographie ni une dimension politique communes. Les histoires des pays sont si différentes, si morcelées, qu’il est difficile d’imposer une règle de majorité qualifiée sur certaines questions tenant à l’identité nationale ou la politique étrangère. C’est ainsi qu’aucune règle de majorité n’est  satisfaisante dans ces matières. Un Etat si petit, soit-il, a le droit de refuser de céder quand des raisons stratégiques, d’identité nationale forte sont présentes.

Le danger de la majorité qualifiée. Si l’intervention américaine en Iraq avait eu lieu non pas en 2003 mais en 2004, quand les nouveaux Etats membres de l’Est étaient présents, une majorité qualifiée aurait pu se dessiner en faveur de l’intervention, au risque de provoquer une crise encore plus grave au sein des 15 ou des 27. Autre exemple : l’entrée de la Macédoine dans l’Union européenne est pour la Grèce un problème d’identité national, s’estimant héritier de la Macédoine d’Alexandre. On peut gauser cet aspect, historique. Il ne peut cependant être nié. Et tous les Grecs le partagent. Peut-on passer sur le corps de la Grèce et lui imposer ce changement ? Poser la question donne la réponse...

Dernier exemple, très actuel : la crise au Moyen-Orient et la résolution du conflit israélo-palestinien. D’une république Tchèque  pro-israélienne à une Espagne ou une Autriche plus pro-arabe, les positions des différents Etats membres couvrent toute la palette possible des opinions. Au point que l’UE pourrait apparaître comme un interlocuteur adapté. Si le poids de l’UE demeure, dans la région, pourtant mineur, ce n'est pas tant à cause des modalités du choix de la décision ou des divergences d’intérêt mais à l'absence ou la limitation des
moyens de pression sur chacun des interlocuteurs (et au poids traditionnel des Etats-Unis dans la région que les 27 n'entendent pas contester).

Un remède à l'unanimité : la pratique de l'abstention constructive. La règle d’unanimité, si elle a causé des ravages dans le passé, fonctionne bien aujourd’hui. Elle oblige ainsi à la recherche du consensus, à durcir ou assouplir une position, pour tenir compte des intérêts de chacun. Des Etats qui ne sont pas foncièrement d’accord avec une opération extérieure ou une position, l’expriment  éventuellement mais ne bloquent pas la mécanique décisionnelle.

Premier exemple : l’opération militaire au Tchad. Ce n’est pas un secret que l’Allemagne n’était pas follement enthousiaste de cette opération. Elle ne l’a pas pour autant bloquée.

Idem pour la mission Eulex au Kosovo, plusieurs Etats, comme l’Espagne ou Chypre, étaient opposés à la reconnaissance de cette ancienne province de Serbie, pour des raisons à la fois nationales et idéologiques. Ils ne se sont pour autant pas opposés à la mise en place d’une mission « Etat de droit » dans ce pays (NB : le nom même de la mission est cependant suffisamment éloquent pour se passer de commentaires sur la façon dont l’UE appréhende ce nouveau bout de territoire…).

Enfin, ce devrait être le cas, cette semaine, avec l'adoption de l'opération d'entraînement des soldats somaliens. Certains Etats demeurent réticents (la Belgique notamment). Mais le premier feu vert devrait être donné mardi (article à suivre).

Il y a des ratés" cependant... On a un exemple récent : la situation au Kivu en RDC où l’unanimité a bloqué l’envoi d’une opération. Il n’est pas dit non plus qu’une majorité aurait pu être réunie : de nombreux pays membres étaient très réticents et même entre spécialistes  militaires ou civils du dossier, les avis divergeaient (lire sur ce point l’interview du général Bentegeat).

L'unanimité, une source de force ? On assimile aussi la règle de la majorité comme la possibilité de donner plus de force à l’UE. Or, c’est parfois le contraire qui se passe. L’unanimité force, parfois, à avoir une position plus forte. Exemple : au moment de la crise russo-géorgienne en 2008, si on était passé à un vote à majorité, la position de l’UE sur la Géorgie aurait-elle été aussi sévère sur la Russie ? Non ! C’est parce que certains Etats (Baltes surtout, Pologne, Suède et Royaume-Uni dans une moindre mesure) ont exigé, estimant que leur politique étrangère était celle-là, qu’il fallait être intransigeant avec la Russie, alors que certains Etats (Italie, Allemagne en tête) étaient plutôt coulants.

Des aménagements pourtant nécessaires. Pour autant, certains aménagements à cette règle d’unanimité devraient être rendus possibles par une pratique souple de la coopération renforcée ou de la coopération structurée permanente. Nous aurions alors l’unanimité dure et l’unanimité souple qui puisse permettre à un petit groupe d’agir sur la question.

(NGV)

 

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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