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Le Kenya n’en peut plus des pirates et demande un “partage” des efforts

(BRUXELLES2) Cela sentait le souffre depuis quelques temps. Le Kenya était saturé de pirates amenés par les forces internationales et était désormais plus réticent à en accepter de nouveaux (1). Plusieurs magistrats l'avaient déjà exprimé à diverses occasions. Maintenant c'est officiel.

Déclaration officielle

Le ministre de l'Intérieur kenyan, George Saitori, l'a affirmé publiquement lors de la dernière réunion d'Interpol à Singapour : la communauté internationale a échoué dans son soutien au Kenya contre la lutte contre la piraterie, forçant le pays à surcharger la capacité de ses tribunaux et services de sécurité. “Le transfert d'un nombre largement disproportionné de pirates suspectés au Kenya pour des procès a surchargé les capacités de nos instances judiciaires et d'application de la loi (2),”  a-t-il déclaré, selon ce qu'en
relate la presse kenyanne. « Pour faire face à la piraterie et les autres menaces, des efforts concertés et volontaires supplémentaires doivent être adoptés pour améliorer la coopération ».

Un effort non partagé

Effectivement, le Kenya en accueillant, à lui seul, plus d'une centaine de pirates dans ses prisons et juridictions s'est engagé plus largement que les Etats européens, ou plus généralement occidentaux, qui rechignent généralement à rapatrier dans leur pays des pirates. Même quand leurs tribunaux peuvent être compétents. Il ne s'agit pas là de problème d'ordre juridique mais bien d'un certain égoïsme juridique. Quelques exemples : l'Allemagne qui a, jusqu'ici, refusé d'accueillir des suspects, même quand un de ses bateaux militaires y a été confronté (le procès des "pirates du Spessart" continue) ou l'Espagne (l'Alakrana constitue une exception davantage lié à l'obstination du juge Garzon et au contexte politique polémique) et même la France (la récente attaque contre le BCR Somme n'a pas entraîné de rapatriement en France, mais cela s'explique pour une raison très judicieuse, politique, éviter de faire trop de vagues au moment où un Français est toujours otage en Somalie).

Le droit d'asile pour les pirates ?

Cela peut paraître incongru. Mais c'est la réalité. La grande question qui se pose pour les Etats européens est : "Et après le jugement ?" Si les suspects ne sont pas condamnés, en effet, que faire d'eux ? Cette question a notamment été très débattue aux Pays-Bas à l'occasion du rapatriement de 5 pirates au début de l'année. Le renvoi en Somalie paraît difficile. Une demande d'asile, selon les critères du HCR, pourrait être fort bien être déposée (et devoir être accordée). Avec les droits afférents, par exemple la demande de regroupement familial. Même si le jugement est prononcé, la peine de prison - s'il n'y a pas d'acte de violence commis personnellement - ne peut pas dépasser quelques années (sans compter les remises de peine). On l'oublie mais la piraterie n'est jamais que du vol à main armé. En gros, du banditisme, accompagné de prise d'otage.

 

(1) lire aussi la poursuite en justice des pirates marque le pas

(2) “The transfer of this disproportionately large number of suspected pirates to Kenya for trial has overstretched the capacities of our law enforcement and judicial agencies. Furthermore, there has not been a commensurate inflow of support into Kenya from the international community, In order to confront piracy and other security threats, concerted and deliberate efforts towards increased international co-operation and collaboration need to be embraced. Similarly, effective international policing strategies must be developed and employed at the national, regional and international levels,”

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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