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Où logera le futur Haut représentant ? Comment sera créé le Service d’action extérieure ? 1ères vues


(BRUXELLES2)

La question peut paraître anodine. Mais le lieu où siégera le nouveau Haut représentant (HR) pour la politique étrangère (tel que prévu par le Traité de Lisbonne, quand il sera en vigueur) est éminemment politique. Le HR est un "objet" non encore identifié, assez hétéroclite : un peu Commissaire, un peu Ministre (puisqu'il préside le conseil des Affaires étrangères), et toujours diplomate en chef de l'UE et
chef de la Défense de l'UE. Placer le Haut représentant au "Berlaymont" (siège de la Commission européenne), est ainsi difficile, car il est aussi président du Conseil des Ministres. Le faire siéger au "Justus Lipsus" (siège du Conseil de l'UE), est aussi exclu également, il est commissaire à plein temps. Quant au "Lex", c'est le bâtiment normalement dévolu au Conseil européen.

Entre ces bâtiments, à part la rue de la Loi (à quatre voies) et ses hordes de voiture qui partent à l'assaut de Bruxelles, il reste un bâtiment,
le "Charlemagne", tout en verre, judicieusement placé, près du Berlaymont mais relié par le souterrain du métro aux autres bâtiments du Conseil. S'il abrite aujourd'hui plusieurs services de la Commission (dont la DG relations extérieures, DG Relex pour les intimes, et la DG Commerce ou DG Trade selon son appellation raccourcie), dans le temps, sur le même emplacement (le batiment a été reconstruit), il abritait ancien bâtiment du Conseil (de 1971 à 1995) et du Conseil européen. Tout un symbole ! Ce serait aussi logique : le Haut
représentant siégerait auprès de ses troupes, les diplomates du futur service d'action extérieure.
Reste à faire valider cette option par tous les
ambassadeurs. Car, de ce fait,
le Haut représentant validerait une autonomie et une indépendance qui renforceraient son caractère "d'homme fort" de la Commission. Le choix du bâtiment n'est donc pas aussi anodin qu'il a l'air.

(photo : Le batiment Charlemagne © NGV)


Un service d'action extérieure à créer de toutes pièces.


Une administration nouvelle. Personnage emblématique du Traité de Lisbonne, le Haut représentant pour la politique étrangère de l'UE (selon la dénomination officielle ou Ministre des Affaires étrangères de l'UE, pour faire court) disposera, en effet, du service européen
d'action extérieure. Rassurez-vous malgré le nom, il ne s'agit pas d'une DGSE européenne. Mais tout simplement du nouveau service diplomatique de l'UE. Ce nouveau service - en fait une nouvelle administration - devrait réunir les fonctionnaires venus de la Commission européenne, du secrétariat général de l'Union européenne et des Etats membres. Et quelques autres services. Autant dire une révolution ! Car tout est à construire : définir la stratégie, le statut du personnel, le calendrier de mise en place, constituer les équipes et bâtir un esprit collectif, etc. Faire travailler ensemble des diplomates qui se côtoient toujours, se concurrencent souvent et s'épaulent rarement dans un même esprit n'est pas évident. On ne sera pas donc étonné que la mise en place de ce service prenne un peu de temps. C’est un nouveau travail de dix ans qui s’engage !

 

Mise en place progressive. La mise en place de ce service devrait se faire donc de manière progressive. Par petites touches. Il s'agit de construire d'abord le noyau du service. Celui-ci devrait logiquement être constitué à partir des différentes unités de la Commission : DG relations extérieures en charge de la politique étrangère, mais aussi d'éléments de la DG Développement qui gèrent toutes les relations avec les pays ACP. Viendraient s'y ajouter certaines directions ou unités du Conseil - par exemple la nouvelle direction civilo-militaire qui doit se créer - et des agents des Etats membres. La question du statut de ce personnel risque d'occuper de longues heures (journées, semaines, mois...) de négociation. Aussi dans un premier temps, le dispositif des Experts nationaux détachés (END) pourrait être retenu. Les fonctionnaires des différents Etats membres font, sous ce statut, des missions à l'intérieur des institutions européennes (entre 6 mois et 4 ans), le salaire restant payé par le pays d'origine, les frais d'installation et autres étant payés par l'institution d'accueil.


Périmètre du service pour la gestion de crise. C'est un sujet difficile. Si pour les fonctionnaires de la Commission, c'est d'une certaine façon une "restructuration" de plus — on procède "direction" par direction", "unité" par "unité" — la question est plus délicate pour les structures de la PESD et du Conseil. Actuellement, c'est simple : elles ont le même patron. Le Haut représentant qui est également le secrétaire général (patron) du Conseil de l'UE (la structure intergouvernementale qui représente les Etats). Demain ce ne sera plus le cas, il faudra choisir. Rattaché au nouveau Service ou non ? Pour la nouvelle direction civilo-militaire qui doit se créer, c'est la deuxième solution qui prévaut. Pour le Sitcen - centre de renseignement de l'UE - ce devrait aussi, en bonne logique, être le cas. Mais il importera de préserver le secret des informations. Pour les militaires ? C'est plus délicat. L'Etat major de l'UE et, encore plus, le Comité militaire de l'UE pourraient garder leur autonomie. Pour ce qui est du COPS, qui est une instance intergouvernementale, il devrait continuer de siéger au Conseil. Mais, comme pour le Conseil des ministres des Affaires étrangères, il devrait être présidé par un délégué du Haut représentant (le Haut  représentant adjoint ?). Enfin quid de tous les groupes de travail (GPM groupe politico-militaire, CCACM comité pour les aspects civils de la gestion de crise...) ? Qui va les présider ? la présidence tournante ou un membre du SEAE ? Les questions, on le voit restent nombreuses.


Où seront les premières ambassades de l'UE. Les délégations de la Commission européenne devraient servir d'ossature au SEAE dans les pays tiers; il en existe dans quasiment tous les Etats du monde. Le cas échéant sur le modèle de ce qui est pratiqué déjà en Fyrom (Macédoine), dans l’Union africaine et bientôt en Afghanistan, les éléments diplomatiques de l'Union européenne (délégations et représentant spécial) fusionneraient pour ne former qu'une seule délégation de l'UE (on parle de double headed, le représentant spécial étant chef de la délégation de l'UE). Cette fusion pourrait continuer dans tous les pays ou zones où est déployée une mission PESD ou a été nommée un représentant spécial de l'UE. A ces délégations uniques de l'UE, pourraient ensuite se greffer des éléments d'Etats membres (experts nationaux détachés...). Mais il ne semble pas question, pour l'instant de supprimer les ambassades nationales. Les résistances sont, en effet, nombreuses.


Touche pas à mon ambassade. Comme le confiait récemment le secrétaire d'Etat français, aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, il y a les « allants » et les « réticents ». Pour lui, les Français sont "allants". Ce n'est pas l'avis de tout le monde à Bruxelles. Il est également de notoriété commune que les Britanniques sont "réticents". Mais ils ne sont pas les seuls ! Les réticences sont multiples. En fait, dans tous les pays, les alias des "Quai d'Orsay" freinent des quatre fers cette innovation. Même les Finlandais - par exemple qui sont plutôt des "allants" en matière européenne - ont publiquement averti. Ils souhaitent conserver leurs ambassades et représentations. Ainsi le secrétaire général du ministère des affaires étrangères Pertti Torstila a rappelé que l’UE ne promeut toutefois les intérêts nationaux des Etats membres. Déjà entre Nordiques, les coopérations, quand elles existent, "ne sont pas exemptes de problèmes" explique-t-il. Difficile d’imaginer que des Suédois promeuvent les exportations finlandaises. En même temps, il n'est pas interdit de penser que cela permettra aux petits Etats ou aux Etats non représentés dans un pays de pouvoir entretenir à la délégation de l'UE, un chargé d'affaires sur certaines questions, à un moindre coût. Une solution d'autant plus intéressante qu'on sait que de nombreux pays (Belgique, Pologne, Roumanie…) se sont engagés dans une réduction de leurs frais de présence à l'étranger (notamment en matière de locaux).

 

Lire également note Benelux sur le service d'action extérieure - l'avis du Parlement européen (à venir)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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