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[Analyse] Arctic sea: quelques mises au point. Et début du roman feuilleton…

(BRUXELLES2) L'odyssée de l'Arctic sea, avec à bord ce qui ressemble plus à une bande de pieds nickelés qu'à une équipe de "pirates" organisés", laisse rêveur. Chacun y va de ses versions. Je n'ai pas la version officielle ni même la version secrète. Mais quelques éléments d'information, et de réflexion.

Ce navire de la marine marchande battant pavillon maltais a été attaqué par les pirates en pleine mer baltique fin juillet (lire : L’odyssée de l’été : l’Arctic Sea, premiers épisodes), a disparu ensuite sans laisser de traces pendant plusieurs jours, avant d'être retrouvé près du Cap Vert.

Quelques éléments de réflexion

1° La Commission européenne - que j'ai interrogée - persiste et signe et ne voit rien à changer à ses déclarations du mois d'août. Oui il y a bien une « seconde attaque au large du Portugal, après celle au large de la Suède ». Et il ne s'agit « pas d'un acte de piraterie classique », selon le porte-parole du commissaire au Transport (1).

Pour être sûr, j'ai demandé à un expert européen, de me définir ce qu'est un "acte de piraterie classique". Et voici la la définition qu'il m'en a donnée, précisant que tous les éléments étaient aussi importants l'un que l'autre : « 1° un acte crapuleux, 2° pour s’emparer d’un navire et/ou cargaison ou personnel, 3° dans l'intention d'en tirer un avantage financier ». Même si la Commission se refuse à commenter l'enquête en cours, menée... par le parquet russe, sa version contredit les déclarations russes actuelles.

2° Les deux versions livrées dans la presse qui circulent actuellement : l'une des Russes, avec une attaque de pirates aux motivations vaguement écologiques, l'autre avec l'intervention du Mossad pour arrêter une livraison de missiles Sam S 300 à l'Iran, ne sont pas convaincantes. Elles laissent davantage de questions posées qu'elles en résolvent. Qui était les membres de la première équipe ? Pourquoi les Suédois laissent faire ? Qui étaient les membres de la deuxième équipe ? Quand est arrivée à bord l'équipe de pieds nickelés à bord du navire ? Pourquoi la trace du navire a officiellement été coupée ? Pourquoi l'ordre de retrouver le navire a-t-il été donné avec autant de solennité ? Pourquoi autant de moyens russes mobilisés au grand jour ? Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour vider le bateau de l'équipement "non officiel" qu'ils contenaient (s'il en contenait) ? Etc...

3° Tarmo Kouts qui est à l'origine de l'information sur le Mossad est en fait surtout un député estonien, membre du parti "Pro Patria and Res Publica" et auteur (avec deux autres députés : Kurt Bodewig, Aristotelis Pavlidis) d'un rapport sur la piraterie pour l'Union pour l'Europe Occidentale (UEO) (et non pour l'Union européenne). Ancien chef d'état-major des armées (jusqu'à août 2006, avec le grade de vice-amiral) et surtout ancien responsable des gardes-côtes d'Estonie, cette expérience lui donne une certaine compétence. En revanche, il n'a été chargé d'aucune mission européenne. Propos confirmé de façon nette, tant du coté de la Commission européenne que de l'Union européenne.

Quelques faits importants

1° Une première équipe prend pied à bord du bateau. Elle y reste 12 heures. « Parlant mal l'anglais », ils disparaissent ensuite, s'évanouissant dans la nature. Sans que les autorités suédoises ni finlandaises (le bateau appartient à une société finlandaise et transporte du bois finlandais) réagissent. Si cette version est réelle, cela suppose que cette équipe appartient à un pays, sinon membre de la zone Otan, au moins très proche des Alliés.

2° Le navire n'aurait jamais été perdu de vue par les autorités maritimes des différents pays européens, comme le montre l'information communiquée par la Commission européenne, fin août, mentionnant une attaque au large du Portugal. Une information puisée à bonne source, apparemment directement des services de surveillance maritime des pays concernés. La "disparition" du navire après le passage de la Manche et le signalement au Cross de Brest (France) serait alors une "feinte". Mais pour échapper à qui ?

Kaliningrad aurait été le port d'embarquement du matériel "de contrebande" (des armes Sam d'après les dernières informations  communiquées à destination de l'Iran). Un embarquement réalisé par la mafia russe. En solo ? Cela paraît peu possible. Vu la configuration de Kaliningrad. Il paraît certain qu'au moins un des services de la sécurité russe n'ait pas été impliqué dans l'opération, ou au moins au courant.

Là s'arrêtent les faits et commence le roman. Ou plutôt les romans. Comme j'aime aussi les romans d'espionnage ou policiers, voici quelques pistes pour des auteurs en mal d'imagination.

Quelques pistes d'interprétation

Première piste : une divergence au sein de l'appareil russe de sécurité. Une partie des "services" soutient l'exportation des produits prohibés. Une autre cherche à la torpiller. D'où les deux abordages. Et la décision de Medvedev d'envoyer, de la façon la plus solennelle, les navires de guerre, sonne comme un message clair : vous vous heurterez à nous si vous continuez.

Seconde piste : le contrat avec l'Iran. La Russie est bien décidée à ne pas livrer les missiles Sam à l'Iran. Mais elle est plus ou moins liée par le contrat de fourniture. Ce qu'il faut, c'est respecter le contrat. Mais ne pas livrer. L'empêchement doit être suffisamment public pour laisser supposer que le contrat a été respecté.

Troisième piste : l'intervention d'un service allié. La première attaque - au large de la Suède - est menée par un service allié (le Mossad... ou plutôt un autre). Il s'agit d'envoyer un avertissement net aux Russes qu'ils prennent l'affaire en charge : le bateau est sous surveillance. Nous savons ce qu'il transporte. Maintenant occupez-vous de l'affaire, et au plus haut sommet de l'État.

Quatrième piste : l'intervention d'un service russe. La deuxième attaque, au large du Portugal, est menée par les services russes "loyalistes" avec pour charge de mener le bateau hors des grands circuits internationaux. Donnant suffisamment de temps aux navires et moyens aériens russes pour se "positionner".

Feuilleton à suivre...

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Les questions de piraterie maritime sont à la Commission européenne essentiellement de la compétence du Commissaire aux Transports. Un règlement du 31 mars 2004 sur la sûreté maritime prescrit en effet certaines mesures pour prévenir le terrorisme et la piraterie notamment.

Lire aussi :

Mis à jour sur la forme pour clarifier les différents éléments

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “[Analyse] Arctic sea: quelques mises au point. Et début du roman feuilleton…

  • Bonjour,

    En relation avec l’affaire de l’Arctic Sea, voici un autre scénario.

    L’Arctic Sea transportait une marchandise que le Mossad croyait avoir “acheté” en Russie.

    Une équipe du Mossad aborde l’Arctic Sea.

    L’OTAN au courant de l’opération du Mossad laisse l’Arctic Sea poursuivre sa route.

    Suivi par les services russes compétents, l’Arctic Sea est intercepté et libéré par la Marine russe.

    Benjamin Netanyahu va à Moscou pour prendre en compte la liste des conditions à remplir par Israël pour oublier cette opération.

    A noter que selon ce scénario, la DGSE a coopéré avec les services russes.

    S’il n’y avait pas eu le Mossad dans l’affaire, l’OTAN aurait intercepté le navire. Le matériel aurait été exhibé avec les discours russophobes traditionnels. Or dans cette affaire, l’OTAN se regarde les pieds et Benjamin Netanyahu se précipite à Moscou. Moscou qui s’est félicité de la coopération des services secrets français dans la lutte contre le terrorisme. Seulement dans cette lutte ?

    Cordialement,

    Ilya Kanak

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