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Les députés UK dégainent, leur rapport étrille la stratégie Us-Otan suivie en Afghanistan



(BRUXELLES2) Des Etats-Unis qui mènent une politique "unilatéraliste". Des résultats qui ne sont pas à la hauteur des efforts internationaux depuis 8 ans. Une stratégie militaire basée sur la puissance aérienne qui est une erreur en soi. U
ne Europe très présente mais pas puissante et qui devrait être plus unie. Un soutien à la gouvernance qui est un échec... Si ce n'était l'en-tête, on aurait dû mal à y croire, pensant plutôt à un pamphlet d'opposants à la guerre d'Afghanistan ou à des vues d'utopiste européen en chambre. Que nenni ! Ce document publié, en plein mois d'août, provient de la très sérieuse commission des affaires étrangères de la Chambre des communes britannique (1). Et les députés s'y sont donnés à fond.  On pourrait dire pour reprendre cette phrase de la bataille de Fontenoy (en 1745) : messieurs les Anglais, tirez les premiers". Ils ont dégainé...

Le
tout est dit de façon tranquille, non agressive, avec délicatesse, pourrait-on dire, mais non sans la pointe d'ironie qui tue. Très britannique, en somme. Avec une conclusion édifiante: "La plupart des observations recueillies arrivent à la conclusion que l'engagement de l'OTAN en Afghanistan n'a pas été, du moins jusqu'à présent, un succès". (...) "C'est un moment critique et pour le futur de l'Alliance. Sans une distribution plus équitable des responsabilités et risques (entre les alliés), l'effort de l'Otan sera prochainement inhibé et sa réputation d'alliance militaire, capable d'entreprendre des opérations hors de sa zone, sérieusement endommagé". On comprend ainsi mieux le changement de stratégie américain entamé par le nouveau général McChrystal. Ce n'est pas un épilogue. C'est la dernière chance de vaincre et de garder ses alliés.

L'engagement britannique en Afghanistan depuis 2001 n'est pas mineur. Le Royaume de sa Très gracieuse majesté a dépensé dans ce qui a constitué  plus de 1 milliard de livres dans les opérations militaires et 1,65 milliard £ en aide au développement. Dans le pays, il y a actuellement à peu près 9000 Britanniques  et 210 civils. Depuis mai 2006, le Royaume-Uni est présent dans le sud de l'Afghanistan, dans la province d'Helmand. Un engagement payé au prix lourd (avec celui des Canadiens et des Américains). Le cap des 200 morts a été franchi, à la mi-août.

Le dommage collatéral représente un danger en lui-même. Plusieurs paragraphes sont consacrés à certains sujets assez légèrement tabous dans les milieux officiels, comme les pertes civiles (NB : environ 4 fois les pertes alliées) et le traitement des détenus. Autrement dit les dommages collatéraux. "L'usage de la puissance aérienne et des actes d'une insensibilité culturelle considérable de la part de certaines forces de coalition sur une période longue ont causé des perceptions négatives chez (l'Afghan de la rue) sur l'effort international et militaire en Afghanistan". Les députés approuvent donc le changement de stratégie et de lignes directrices décidées par le nouveau chef des opérations de l'IFAS, le général américain Stanley McChrystal. Les députés "appellent le gouvernement" (britannique) à prendre des mesures "de protection approprié et plus proactives pour protéger les civils dans le futur". Les conditions dans lesquels sont traités les prisonniers et détenus aux mains des autorités afghanes reste aussi une "préoccupation importante" (le traitement des prisonniers détenus par les forces britanniques sera intégré dans le rapport annuel sur les Droits de l'homme).

Le danger d'une charge militaire inégalement répartie. Les "caveats" posés par plusieurs nations de l'Otan sont un problème persistant pour la force militaire. Et le coupable est nommé. "Tandis que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada tendent à voir l'Afghanistan comme une opération de contre insurrection, l'Allemagne et quelques autres (NB : On peut nommer l'Italie, la Finlande, notamment) regardent cela comme une mission de stabilisation". Au point que selon certains observateurs, certaines forces ne représentent que "peu de choses en termes d'action militaire". Le risque est également à un horizon rapide de voir certains pays très engagés militairement partir : les Pays-Bas et le Canada (NB : très engagés dans le Sud, l'un en Uruzgan, l'autre dans la province de Kandahar) ont déjà décidé de ne pas étendre le mandat de leurs troupes, au-delà de 2010 et 2011 respectivement - ce qui pourrait "exacerber les problèmes existants".

Une Europe dispersée qui pèse peu. Les députés estiment (gentiment) que "l'effort de l'UE n'a pas vraiment atteint son potentiel". Pourtant ce n'est pas faute d'engagement. Tout d'abord financier : "depuis la conférence des donateurs de Tokyo en 2001, la Commission européenne a versé environ 200 millions d'euros par ans (1 milliard jusqu'à 2006, + 610 millions pour la période 2007-2010). En comptant les Etats membres et le budget communautaire, c'est ainsi près de 5,2 milliards de $ qui ont été déboursés et 2,3 milliards $ sont programmés pour la période 2008-2011". Coté humain aussi l'engagement n'est pas négligeable : "25 des 27 Etats membres fournissent des effectifs à la mission de l'ISAF. Et ils dirigent 10 des 26 équipes provinciales de reconstruction". Sans compter la mission de police (Eupol) ou les missions temporaires, comme celle qui a eu lieu lors des élections présidentielles. En dépit de cela, l'UE ne pèse peu. Il existe un besoin de davantage de cohérence entre les efforts des Etats membres et de l'UE. Le rapport mentionne l'éparpillement à Kaboul entre le représentant spécial de l'UE, la délégation de la Commission, la mission de police et la présence d'ambassades des 16 Etats membres. Un ministre d'un pays de l'UE me signalait récemment combien il avait été choqué lors de sa visite à Kaboul de voir deux délégations différentes de l'UE dans la capitale afghane : celle de la Commission européenne et celle de l'UE. Avis partagé apparemment par la diplomatie britannique qui estime que l'UE pourrait "améliorer son influence et sa position à l'intérieur de l'Afghanistan en harmonisant son message politique et en usant du soutien logistique et financier pour obtenir des progrès politiques du gouvernement afghan en retour de son assistance"...

Un leadership américain unilatéral responsable partiellement de l'échec. Le comportement des Etats-Unis sous l'administration Bush est très sévèrement critiqué (honnetement je n'ai jamais vu une critique aussi brutale). "Nous estimons que la responsabilité de certains, pas tous, des problèmes en Afghanistan depuis 2001 peut être attribué à la direction de la politique US ces années juste après l'intervention militaire en 2001. Les tendances unilatéralistes des Etats-Unis sous l'administration Bush, et sa concentration sur les objectifs militaires, à l'exclusion d'autres problèmes important stratégiquement, ont donné le ton à la communauté internationale". La situation de sécurité est dramatique. "Particulièrement dans le sud (où une majorité de troupes britanniques sont basées), restera précaire pour beaucoup de temps à venir. Cette instabilité actuelle a un effet dommageable sur les forces de coalition et les efforts engagés dans la reconstruction et le développement". Et le secours ne peut venir des forces de sécurité afghannes.

La réforme de la police, une double erreur. La mise en place d'une réforme de la police - dont l'Allemagne avait la responsabilité avant son transfert à EUPOL - marque le pas. Son évolution trop lente est "décourageante". Pour autant les députés estiment que l'option prise par les Etats-Unis d'assister et former les policiers afghans avec les militaires US est dangereuse. "Le risque est de créer une police de style paramilitaire en opposition avec la force civile comme envisagé originellement et nécessaire pour le futur".

L'échec, coté gouvernance et droits de l'homme. Le constat également n'est pas encourageant. La création d'un système effectif de justice formelle - comme promis dans l'accord de Bonn - est un "échec" et la plupart des Afghans restent dépendants des mécanismes informel, traditionnel. "Huit ans après l'implication de la communauté internationale en Afghanistan, il n'y a virtuellement aucun progrès tangible fait en matière de lutte contre la corruption". Tandis que la proposition de loi sur la famille légalisant le viol dans le cadre du mariage et la
soumission des femmes à la Shia représente un "affront" aux valeurs de décence humaine. Quant à la lutte contre les drogues, pour lequel le Royaume-Uni a accepté d'assurer le "lead" international,
c'est un "cadeau empoisonné". Le succès dans ce domaine dépend d'une série de facteurs qui dépassent les ressources et le contrôle du Royaume-Uni seul. Les députés recommandent donc de confier cette fonction (en gros s'en débarasser) aux Nations-Unis et à l'ISAF, "mieux outillées pour coordonner l'effort international".

En un mot qu'on pourrait dire une sorte de conclusion : "l'effort international en Afghanistan depuis 2001 a eu beaucoup moins de résultat que promis et son impact a été de façon significative dilué par l'absence de vision et de stratégie unifiée, basée sur les réalités de la politique, de la culture et de l'histoire de l'Afghanistan. Certes, la situation actuelle du pays n'est pas que le résultat des échecs de l'Ouest depuis 2001, des erreurs évitables, incluant les réponses réflexes, la fragmentation et les chevauchements, rendent  considérablement plus difficile que jamais l'objectif de stabilisation du pays. "

Rideau...

(1) Intitulé "Global security : Afghanistan and Pakistan" , il peut être téléchargé ici.

NB : Notons au passage combien il est étonnant (et regrettable) que le Parlement européen ne se soit pas penché plus sérieusement pour réfléchir sur cet engagement européen en Afghanistan : ses défauts, les moyens de l'améliorer voire d'étudier des sorties. Car c'est bien cela qui manque. A ce défaut - dû à une incroyable pusillanimité -, il devra être remédié rapidement si cette assemblée entend, comme elle le proclame, exercer ses droits en matière de politique étrangère. Espérons que la nouvelle commission des affaires étrangères du PE saura se saisir de la question de façon plus vigoureuse que l'ancienne.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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