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Des militaires français portent plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme

(B2) L'Adefdromil, association regroupant en France des militaires professionnels, a décidé de porter plainte devant
la Cour européenne des droits de l'Homme, à Strasbourg, estimant que les droits d'association et à un procès équitable, garantis par la Convention européenne des droits de l'homme, sont bafoués. Elle conteste notamment cinq arrêts rendus par le Conseil d’Etat, le 11 décembre 2008 et le 4 mars 2009, qui ont refusé d’examiner ses demandes d’annulation à l'encontre de plusieurs décrets concernant les droits des militaires. A l'appui de son argumentation, elle cite essentiellement deux articles de la Convention : l’article 11 qui garantit la liberté de réunion et d’association et l’article 6 qui garantit un droit à un procès équitable (en raison du rejet des recours de l’Adefdromil qui, selon ses arguments, "la privent de l’accès à un juge" et de la "partialité et du manque d’indépendance du Conseil d’Etat"). C'est la première fois, à ma connaissance, que la France est ainsi attaquée devant la Cour de Strasbourg.

Le champ des discussions possibles. Il faut préciser que l'article 11 de la Convention prévoit que "des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat". La Cour - si elle estime la requête recevable - devra donc surtout préciser le champ de ce qu'on appelle une "restriction légitime" Elle devra ainsi apprécier si le Code de la défense (article 4121-4), et la loi de 2005 (statut général des
militaires), qui interdit l'existence d'organisations professionnelles ayant les caractéristiques d'un syndicat et interdit aux membres en service de l'armée d'y adhérer, est une mesure proportionnée (1). Mais c'est surtout, me semble-t-il, dans le rejet de la recevabilité du recours que l'arrêt du Conseil d'Etat pourrait le plus se prêter à la critique des juges européens. En qualifiant de syndicat, l'association Adefdromil et en lui refusant l'accès à la justice, les juges français se sont engagés sur un terrain délicat, où généralement les juges européens sont pour le moins chatouilleux et intransigeants.

Un (demi) précédent. Il faut noter qu'en décembre 2000, le Comité européen des droits sociaux (chargé de vérifier la
bonne application de la Charte sociale européenne, signée au sein du Conseil de l'Europe) avait été saisi d'une plainte de la Fédération européenne du Personnel des Services publics (FESP), contestant la limitation apportée pour les membres des forces armées aux articles 5 (droit syndical) et 6 (négociation collective) de la Charte des droits sociaux (2), et l'avait rejetée sur le fond. Le Comité - qui regroupe des "experts indépendants" - avait reconnu que les Etats sont autorisés à apporter « n’importe quelle limitation et même la suppression intégrale de la liberté syndicale des membres des forces armées ». Le gouvernement français reconnaissait la suppression du droit syndical mais estimait qu'elle "procède de la conception traditionnelle de la fonction militaire qui impose la neutralité la plus absolue des forces armées et de leurs membres. L’intervention armée exige un respect de la hiérarchie et de la discipline, qui, en France, comme dans de nombreux pays, a été considérée incompatible avec le droit du personnel militaire de former et d’adhérer à un syndicat." Il a ajouté avoir "mis en place des procédures de consultation à différents niveaux, permettant ainsi d’assurer un dialogue social constructif, ce qui, selon le Gouvernement est conforme et va même au-delà".

Le droit syndical des militaires en Europe. Plusieurs pays ont reconnu le droit de se syndiquer pour les militaires,
essentiellement au nord (Danemark, Finlande, Suède), et au centre de l'Europe (Allemagne, Belgique, Pays-Bas). Les syndicats sont en général affiliés à la Fédération européenne des services publics (FESP), elle-même membre de la Confédération européenne des syndicats (CES). Certains d'entre eux - ainsi que la plupart des associations militaires - sont membres d'Euromil.


(1) Signalons, même si le contexte est différent (droit de grève des fonctionnaires en Turquie), un arrêt récent de la Cour (Enerji Yap?, 21 avril 2009) particulièrement ferme ; les juges estimant que le "Gouvernement n'a pas démontré la nécessité dans une société démocratique de la restriction incriminée" et "qu'il y a eu une atteinte disproportionnée à la jouissance effective par le syndicat requérant des droits consacrés à l'article 11 de la Convention".

(2) Le contenu de l'article 5 la Charte sociale diffère légèrement de la Convention puisqu'il reconnaît un pouvoir quasi-total aux Etats de fixer l'application du droit syndical pour les forces armées : "Le principe de l'application de ces garanties aux membres des forces armées et la mesure dans laquelle elles s'appliqueraient à cette catégorie de personnes sont déterminés par la législation ou la réglementation nationale." Tandis que l'article 11 de la Convention parle de "restrictions légitimes". Dans le premier cas, la restriction ressort du seul ressort de l'Etat membre (du moment qu'une loi le prescrive), tandis que dans l'autre elle s'exerce dans le cadre d'une exception à une liberté (souvent plus strictement appréciée par les juges).

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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