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La France en position de blocage sur le nom de Barroso ?

(B2) La nomination d'un président de la Commission européenne a toujours été marquée, ces vingt dernières années, par le blocage d'un des grands Etats membres. Cela a souvent été le fait du Royaume-Uni, ou de l'Allemagne et de la France en sous-main. On verra au Sommet du 18 juin si Sarkozy est à la hauteur de ses convictions ou s'il se déballonne. En tout cas, coté français, on reste clair: il est urgent... d'attendre : le résultat des élections et la majorité qui se dessine au Parlement européen. "Le Conseil de juin servira à donner une "indication en tenant compte de ces élections. Et, ensuite, ce sera au Parlement européen de se prononcer. La procédure démocratique doit être respectée" a rappelé récemment Bruno Le Maire, le secrétaire d'Etat (français) aux Affaires européennes (1).

Les quatre lignes rouges françaises

En soi, c'est un sévère rappel à l'ordre pour Barroso. Le ministre français s'est ainsi refusé à soutenir franchement l'actuel président de la Commission européenne. "Nous estimons que c'est un bon président. Mais ce n'est pas le sujet" a-t-il répondu aux questions des journalistes. "Nous voulons savoir ce que la Commission européenne est prête à défendre comme programme pour les 5 ans à venir. Il sera nécessaire que le président et la future commission s’engagent vers une ligne claire". Et le ministre de préciser ce serait pour la France (et les députés UMP au Parlement) les conditions à un soutien, ses lignes rouges :

1) Elargissement. "L’Europe a besoin de frontières. Nous sommes prêts à accueillir les Balkans, mais ensuite il faut arrêter l’élargissement" ;

2) Politique industrielle, coopération économique. "La concurrence ne doit plus être l’alpha et l‘oméga de la polique économique des Etats membres. Nous avons besoin d’une coopération économique qui crée des emplois plutôt que les détruire" ;

3) OMC. "Il faut une position européenne qui protège nos intérêts au niveau international. Il faut changer de logiciel économique" ;

4) Banques. "La Commission doit présenter un vrai programme de régulation financière."

La France peut-elle aller jusqu'au veto ?

Les quatre points de ce programme sont aux antipodes de Barroso, et de l'esprit dans lesquels il a mené sa Commission durant cinq années. Le ministre français en présentant publiquement ces
conditions, en était bien conscient. Mais tout l'objectif de cette position, très politique, était de montrer que le soutien français à Barroso tient à un fil. Pourquoi ? On peut avoir plusieurs analyses.

1) Le cynisme. Ce ne sont que des paroles, histoire d'occuper le terrain de la campagne électorale et de mordre sur le terrain socialiste (les trois points économiques du programme ne seraient reniés par aucun dirigeant de gauche).

2) Le contenu européen. En plaçant la barre très haut dans le programme (l'arrêt de la politique d'élargissement est à contre-courant totale de la politique anglo-saxonne et de la position de la Commission Prodi comme Barroso), la France oblige la Commission à rénover en profondeur son discours, dans un sens plus favorable aux intérêts économiques et politiques français (par rapport aux intérêts allemands ou britanniques dont on a davantage tenu compte ces cinq dernières années).

3) Le changement de tête. C'est un refus
implicite de Barroso et la menace d'un veto. La France veut un changement à la tête de la Commission. Son manque criant de réactivité durant plusieurs crise : Bolkestein, constitutionnelle, financière, a montré tout le danger d'un "vide politique" à ce poste. Alors que la plupart des têtes valsent en Europe, maintenir le même homme ne serait pas du meilleur signe. Enfin, la position "flexible tendance girouette" de Barroso a montré qu'il n'était pas d'une fiabilité à toute épreuve. Alors que le futur président de la Commission est nommé pour cinq ans, et que les prochaines présidentielles et législatives en France, le laisser en poste pour un second mandat peut se révéler un risque qu'une nouvelle personnalité qui reste à trouver.

4) Une visée tactique : les postes. La France négocie la position de plusieurs de ses représentants avec Barroso au sein de la Commission et n'est pas satisfaite du poste offert. En maintenant l'incertitude et la pression sur lui, elle l'oblige à se ranger à ses vues avec un poste économique de haut rang (Concurrence ou Marché intérieur et fiscalité ou Commerce) ou de très solides compensations (voire les deux à la fois). Il s'agit aussi de montrer aux autres partenaires au sein du Conseil toute la place de voix de la France dans le débat. D'autant que plusieurs dirigeants européens vont sortir plutôt affaiblis de la campagne européenne (Brown est particulièrement démoli, mais aussi Pays-Bas ou même l'Allemagne qui est en campagne électorale). En maintenant l'incertitude sur sa position au Conseil européen, la France oblige ses partenaires européens à tenir compte davantage de la position française et lui octroyer de solides compensations en termes de postes "de pouvoir" (secrétaire général du Conseil ou de la Commission, Haut représentant...).

Au final, on peut estimer que la position française tient un peu de tous ses éléments : le cynisme dans l'équipe Sarkozy et dans la politique en général n'est pas à exclure de même que le besoin d'alimenter la politique par de grandes idées. Mais il s'agit surtout pour les dirigeants français de pouvoir influer durablement sur la politique européenne. S'appuyant sur les bons points et les acquis de sa présidence, la France montre ses biceps. Car l'Europe doit "servir" davantage les vues et les intérêts français que jusqu'à présent - dans son programme, sa direction, et dans la répartition des pouvoirs au sein du Conseil comme de la Commission -.

(1) Point presse avec quelques journalistes lors du dernier Conseil des Affaires générales, le 18 mai.

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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