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Atalanta. Six mois après, premier bilan. L’UE à l’abordage…

(BRUXELLES2) La première opération militaire navale de l’Union européenne, chargée de lutter contre la piraterie dans le Golfe d’Aden, a trouvé son rythme de croisière. Ce qui pouvait sembler être une gageure, il y a encore quelques mois – avoir des bateaux de guerre de l’Union européenne sécurisant une portion du globe à plus de 5000 kilomètres de Bruxelles, hors de sa zone « naturelle » —, est devenue une réalité. Même si l’opération dénommée « Atalanta » ou « Eunavfor », n’en est qu’à la moitié de son terme, on peut apprécier les premières leçons de l’expérience et les évolutions possibles.


L'enjeu d'une Europe "Puissance"

 
Première opération aéronavale

Etre la première opération navale de l’UE est, en soi, une innovation. Les concepteurs de l’Europe de la défense n’avaient sans doute pas pensé, il y a dix ans, que l’UE serait en capacité de mettre au point et mener, sans support extérieur (Américains notamment), une opération maritime à plusieurs milliers de kilomètres des côtes européennes. Certes l’Union pour l’Europe Occidentale (UEO), l’ancêtre de la PESD, avait mené des opérations maritimes, durant la guerre du Golfe et au large de la Yougoslavie. Mais le contexte était différent ; il s’agissait davantage de coordonner l’engagement de moyens.

Une opération de police internationale

Cette opération est surtout la première opération de police internationale de l’Union. Un des objectifs officiellement affiché est de protéger les intérêts économiques européens, à savoir la marine marchande, et de préserver ainsi une des voies principales d’approvisionnement de l’Europe (et du monde) en pétrole, gaz, minerais et équipements divers. Il s’agit aussi de préserver les intérêts particuliers des pêcheurs, surtout espagnols et français, très présents autour des Seychelles.

Et les objectifs de Petersberg ?

On est, ici, un peu loin des objectifs définis à Petersberg, il y a presque 20 ans, qui visaient essentiellement au maintien de la paix ou à l’interposition entre deux forces, et beaucoup plus proche de la nouvelle stratégie de sécurité européenne qui vise à lutter contre diverses menaces. On se rapproche ainsi imperceptiblement du « principe d’action » propre à toute puissance ou de la « clause de solidarité collective » inscrite dans le Traité de Lisbonne. On peut le commenter, de façon positive ou négative, mais on ne peut l’ignorer. Ceux qui réclament une Europe de la défense, plus robuste, ne doivent pas s’y méprendre. A la fin de cette mission, un pas sera franchi, tant en termes de capacité militaire que politique. Atalanta remplit ainsi parfaitement l’objectif inscrit à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne « d’affirmer son identité sur la scène internationale ».

Capacité de force globale

Dans une zone mondiale stratégique, « Atalanta » démontre la capacité de force globale de l’UE, structure à la fois militaire et civile, politique et juridique. Même si aucun responsable ne l’avoue ouvertement, l’UE a « doublé » les Américains et l’OTAN. Présents dans la zone depuis 2002, au titre de l’opération « Enduring freedom », ceux-ci participaient déjà à la lutte anti-piraterie, mais sans s’être dotée d’une force spécifique. De fait, l’opération EUNAVFOR a eu un effet d’entraînement, les Américains créant une nouvelle force, la CTF 151, spécialement dédiée à la lutte anti-piraterie et rassemblant essentiellement des navires américains (auxquels se sont associés les Turcs).

Une opération réellement structurée

L’opération « Atalanta » est la seule opération anti-pirates réellement structurée présente dans le Golfe d’Aden (et dans l’Océan indien).

Contrairement aux autres forces qui sont dans la zone, la force européenne est présente en permanence, dispose d’un commandement structuré, avec des liaisons organisées avec l’industrie maritime (le MSCHOA), d’accords juridiques avec des pays tiers qui bénéficient à l’ensemble de ses participants (y compris non membres de l’UE), et bénéficie d’un point d’appui logistique terrestre à Djibouti, grâce à la base française permanente.

Capacités militaires disponibles

Parmi les opérations militaires récentes de l’Union européenne, et même de l’ONU, « Atalanta » est une des seules opérations où ne se pose pas, de façon cruciale, le problème de capacités. « Bien qu’un responsable d’opération souhaite toujours davantage de moyens, nous pouvons affirmer que nous avons les moyens nécessaires » confiait Phil Jones, le chef de l’opération à ses débuts. Et, effectivement, les rotations de bateaux se succèdent sans vraiment de heurt. Au besoin, les navires d’États membres, de passage dans la région soit à titre national, soit au titre de l’Alliance atlantique viennent assurer un renfort ponctuel ou la transition entre les deux relèves.

Une mission qui a bien failli ne pas voir le jour 

Espagne et France à l'avant-garde

Si l’Espagne et la France, conscientisées très tôt par les attaques pirates sur leurs bateaux (pêcheurs, plaisance…), ont poussé rapidement à une opération maritime européenne, de nombreux États étaient plus ou moins réticents (Royaume-Uni et Italie notamment) pour différentes raisons (économiques ou/et politiques). L’opération a ainsi bien failli ne pas voir le jour. Certains États auraient préféré voir l’Otan mener l’opération. Pendant de longs mois, les deux organisations (Union européenne et Otan) ont d’ailleurs préparé, en parallèle, deux opérations. En octobre, encore, lors du sommet de Budapest, l’Alliance entendait lancer une génération de forces pour lancer son opération.

Aux Nations-Unies, le vote de deux résolutions successives, le 15 mai et le 2 juin (1814 et 1816) légitime le recours à une opération internationale en faisant appel à ses États membres. La première demande aux États d’assurer le convoyage des bateaux du Programme alimentaire mondial (PAM). La deuxième autorise le recours à la force (chapitre VII de la charte des Nations-Unies) contre les actes de piraterie et à pénétrer dans les eaux territoriales somaliennes, avec simple signalement au gouvernement transitoire somalien (GFT).

Les préparatifs d’une opération s’accélèrent au niveau européen

Le Conseil des ministres des Affaires étrangères et de la Défense approuve le principe d’une opération, le 26 mai. Et insiste sur la nécessité d’une plus large participation de la communauté internationale à ces escortes. Mais la délicate question du cadre juridique de l’opération (notamment la procédure d’arrestation et de transfèrement des pirates) complique les discussions. Et les 27 n’arrivent toujours pas à se mettre d’accord sur les contours de l’opération. Inscrit à l’ordre du jour de la réunion des ministres des Affaires étrangères, le 22 juillet, les 27 conviennent que le dossier n'était pas mûr. Le 5 août 2008, le concept de gestion de crise est approuvé (par procédure écrite). Mais la crise en Géorgie qui survient quelques jours plus tard mobilise les esprits et les diplomates les semaines suivantes.

Faute de mieux, le 15 septembre 2008, le Conseil décide la mise en place d’une cellule de coordination (EU NAVCO) chargée « de soutenir les actions de surveillance et de protection ». L’action commune de cette cellule est approuvée dans la foulée, le 19 septembre.

Les pirates ne restent pas inactifs

Coup sur coup en septembre, ils s’en prennent à différentes proies : un voilier de plaisance (le Carré d’As), un pétrolier (le Front Voyager), et surtout un navire ukrainien (le Faina), transportant des chars d’assaut et des armes lance-roquettes vers l’Afrique (Kenya ou Sud-Soudan selon les sources). La nécessité d’une action se fait sentir.

Ce sont, en fait, les armateurs — au Royaume-Uni, en Italie, en Allemagne… — qui emportent les dernières réticences. Le poids de la Lloyd et des armateurs britanniques, particulièrement, joue pleinement pour l’opération européenne. Quand Libby Purves, une des éditorialistes du Times, publie un pamphlet accusant le gouvernement d’inaction, la messe est dite. « Nos îles sont plus ouvertes au chantage et au danger qu'à n'importe quel autre moment depuis Henry VIII » conclut-elle.

Le ralliement britannique

Quelques jours après, Londres se rallie officiellement à l’opération européenne. Non sans contrepartie. L’opération sera pilotée du Quartier-général de Northwood (près de Londres) et commandée par un Britannique. Le Contre-Amiral Jones est pressenti. La planification opérationnelle peut vraiment commencer.

Au niveau international, le vote le 7 octobre d’une nouvelle résolution à l’ONU, pave la voie d’une opération de l’UE puisque le Conseil de sécurité salue « la planification en cours d’une éventuelle opération navale militaire de l’Union européenne ». Le 10 novembre 2008, le Conseil approuve l’action commune pour le lancement de l’opération « Atalanta ». L’opération est officiellement lancée le 8 décembre 2009, lors du Conseil des Ministres des Affaires étrangères. Pour une durée d’un an.


Dans ce dossier:

(Publié dans Europolitique)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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