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Les interventions allemandes, de crise en crise ?

(B2)"les acteurs allemands du développement doivent parfois reconnaitre que leur savoir-faire actuel est insuffisant". L'étude réalisée par Aline Leboeuf et d’Andreas Mehler pour l'Institut français de relations internationales (IFRI) mérite un coup d'oeil. Sévère pour nos voisins allemands, elle critique notamment le concept de "sécurité et développement" (très à la mode en ce moment) et des règles d'engagement qui restent trop rigides, à leur goût.

Une notion limitée par l'histoire du recours à la force. Alors que certains peuples, comme les Britanniques, acceptent plus aisément un recours ponctuel à des modes d’actions coercitifs, une majorité de citoyens allemands a préféré des modes d’actions civils ou une position de type maintien de la paix. Cette différence notable trouve ses origines dans l’histoire. Depuis 1945, et la fin de la 2e guerre mondiale, l’Allemagne est dans l’obligation de mener une politique étrangère pacifique. Cependant, une évolution importante a eu lieu en matière d’intervention extérieure dès la fin de la guerre froide.

Une évolution au fil des années. C’est ce qui est appelée la « stratégie des petits pas ». Les gouvernements allemands successifs ont ainsi fait preuve d’un engagement « militaire progressif ». Après une décision de la Cour constitutionnelle de juillet 1994, les domaines d'élargissement de la Bundeswehr s'élargissent. Les déploiements de la Bundeswehr dans un cadre onusien, à condition qu’ils soient préalablement approuvés par un vote du Bundestag sont autorisés. Mais un certain nombre de « barrières » à un engagement plus actif demeurent : freins constitutionnels, appareil de défense centré sur la défense du territoire, opinion publique hésitante vis-à-vis du déploiement des forces allemandes à l’étranger, nombreux caveats ou restrictions d'emploi des forces (cf. plus loin).

Engagement progressif. Mais dispersé.
Le choix d'un engagement "militaire" progressif répond "non seulement à des impératifs internes - accroître les marges de manoeuvre de la politique étrangère allemande - mais aussi externes". il s'agit d'abord de réduire les pressions qu'exercent les partenaires de l'Allemagne sur sa politique extérieure, en démontrant l'effort allemand. L'Allemagne espère ainsi pouvoir refuser plus facilement de participer à une intervention, sans devoir en payer le coût politique (cf. l'Irak)." Il s'agit aussi de rendre l'engagement visible mais discret : ... être vue par l'extérieur comme "puissance civile" ou géant pacifique permet d'engranger prestige et influence (soft power) notamment auprès de pays voyant en elle un "interlocuteur de confiance". En multipliant les participations allemandes à diverses opérations de prévention des crises et de maintien de la paix, le gouvernement allemand a cherché à habituer l'opinion publique à l'idée que la sécurité de l'Allemagne et la poursuite de sa politique de responsabilité requièrent une présence sur tous les continents". Une "stratégie impressionniste", selon la terminologie d’Aline Leboeuf, qui a pour conséquence des forces armées allemandes présentes partout mais avant tout symbolique. En mai 2005, l'Allemagne était ainsi présente dans 45 des 58 missions de l'ONU, de l'UE, de l'OTAN et de l'OSCE. Mais le nombre d'hommes et femmes "déployés" est presque toujours insignifiant (entre 1 et 16) et se limite souvent à des actions civiles (assistance logistique, aide humanitaire), sauf en Afghanistan et en ex-Yougoslavie. Trois ans plus tard, en 2008, la situation reste similaire.

De nombreuses restrictions, culturelles. Cette « culture de la prudence », selon les termes de Franz-Josef Meiers, est une spécificité allemande en matière de gestion de crise. Pour limiter au maximum les risques d’exposition des militaires allemands un ensemble de règles ont été établies. Les forces armées allemandes doivent appliquer la législation allemande en vigueur jusque sur les camps des des terrains d’opérations comme en Afghanistan (ISAF). Par exemple : la stricte application du code de la route peut parfois conduire à l’installation de radars ou l’envoi de techniciens pour vérifier que le contrôle technique des véhicules utilisés a bien été effectué. Idem pour le tri des ordures.... Ces règles sont considérées  par certains comme des restrictions portant atteinte à l’efficacité des troupes allemandes.
NB : d'autres sources m'ont indiqué que les militaires allemands avaient aussi des "caveats" assez stricts. Les militaires allemands ne peuvent pas quitter leurs bases après la tombée de nuit. Une ambulance doit toujours les accompagner, par conséquent ils n’organisent pas de patrouilles à pied, risquées mais efficaces.

Evacuation médicale... et sections spéciales sont deux "niches" où les Allemands ont acquis une vraie spécialité. Le complet développement du Service de santé avait un objectif au départ : assurer aux soldats allemands la même qualité de soins qu'en Allemagne. Le pays dispose d'une palette d'interventions, notamment 4 kits permettant d'équiper des Airbus A310 multiroles et les transformer en avion d'évacuation (un seul avion, selon les auteurs, est équipé en permanence), complété par des Transall et hélicoptères CH53. Deuxième pôle de spécialité allemand : les forces spéciales. Cela peut paraître contradictoire avec la "culture de la prudence" mais répond à un impératif : avoir une force permettant d'évacuer les citoyens européens sans dépendre des alliés. La réflexion née dans les années 1990, est basée sur certaines "mauvaises" expériences (Congo Kinshasa 1991, Rwanda 1994, Népal). Les Kommando Spezialkräfte (KSK) sont créés en septembre 1996. Ils comptent aujourd'hui environ 1000 personnes. Les KSK interviennent - pour la première fois - en juin 1998 enBosnie pour arrêter un criminel de guerre, Milorad Krnojelac. Puis le Bundestag autorise leur envoi (100 hommes) en Afghanistan. Elles participent à l'arrestation de certains suspects - qui seront internés ensuite à Guantanamo - mais globalement demeurent prisonnières de certaines règles d'engagement. Autorisés seulement à riposter, les KSK ont ainsi dû laisser échapper les hommes
recherchés.

Point original du dispositif allemand sécurité / développement : le ZIF. Le Zentrum für Internationale Friedenseinsätze a vu le jour en juin 2002 et peut être un modèle pour la réserve d'experts civils européens. Il se compose d’experts civils allemands prêts à intervenir dans une zone de conflit. Il donne aux experts civils une formation civilo-militaire et assure le retour d’expérience (RETEX). Les opérations de paix sont analysées pour améliorer les pratiques en la matière dans le domaine civil. Malgré la création de cet outil - avec les PRT (Provincial Reconstruction Teams) -, il existe, selon le auteurs, «un manque notable de clarté et surtout de différenciation entre les tâches des militaires et des civils (qui) peut poser un problème majeur : au lieu d’une coopération entre les militaires et les civils, il pourrait exister une compétition ». Or, l'un ne va pas sans l'autre, sans sécurité suffisante, pas de reconstruction,
soulignent-ils.

Télécharger l'étude.

 (NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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