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G. Merritt: l’Europe prend conscience de la PESD… grâce à Bush?

(article publié dans Europolitique) Gilles Merritt est directeur de Security Defence Agenda (SDA) – un des principaux think-tanks européens sur la défense et la sécurité -. Il est aussi secrétaire général de Friends of Europe, après avoir été directeur du Philip Morris Institute for Public Policy Research (PMI) et journaliste au Financial Times. Son expérience de l’Union européenne et de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) est donc précieuse.

• Comment voyez-vous l’évolution de la PESD ?
Ces cinq dernières années, on a vu un développement important, presque émotionnel, chez les Européens. Ils ont compris qu’il était temps de prendre leurs responsabilités au niveau mondial. D’une certaine façon, le comportement de l’administration Bush, avec son unilatéralisme a largement aidé à cette prise de conscience. C’est paradoxal. Mais Bush a, en fait, poussé à consolider l’intégration européenne. Les Européens ont saisi ainsi que les Etats-Unis ne vont pas agir, ou que la manière dont ils agissaient n’était automatiquement pas la nôtre. La politique de défense et de sécurité est ainsi devenue une des grandes priorités, un des grands soucis de la politique européenne, alors qu’il y a huit-neuf ans, on n’en parlait pas, sinon de façon théorique ou négative.

• Objectif réussi alors ?
Non. Le défi reste énorme, le déséquilibre entre les efforts franco-britannique, d’un côté, et le reste des pays, de l’autre, est invraisemblable et intenable. La Défense est le seul grand secteur d’activité européen où il n’y a pas de mécanisme de solidarité qui vienne contrebalancer les différences entre chaque Etat. Ce sera un des sujets à creuser pour les années à venir. Autre sujet : on a bien avancé sur les grandes lignes politiques, les grands concepts ; mais au niveau industriel, de l’interopérabilité des forces, des problèmes pratiques de capacité, il y a encore peu de résultats. Nous avons eu beaucoup de blabla, des gouvernements qui font des promesses. Mais peu d’avancées. Nous n’avons toujours que 2% des gens en uniforme opérationnels, qui peuvent être envoyés sur un théâtre d’opération (hors de l’UE). Et ce sont toujours les Français et les Britanniques qui en fournissent l’essentiel.

• Comment changer la situation ?
Il faut vraiment mettre les gouvernements, qui n’en font pas assez, devant leurs responsabilités. Ce sera délicat. Mais tous les sondages démontrent que la défense et la sécurité sont une priorité soutenue par le citoyen. Le moment est venu de dire très clairement : la situation actuelle n’est plus tenable.

• Le nouveau paquet défense est une avancée cependant ?
Ce n’est pas suffisant. Comme sur Galileo, le résultat du paquet défense est la moitié de ce qu’on attendait, de ce qui était nécessaire. L’Europe est encore un nain par rapport aux Etats-Unis. Nous sommes loin d’être compétitifs. Galileo, par exemple, c’est un gage d’autonomie et un potentiel très puissant pour la défense. Il faut redoubler d’effort, restructurer, concentrer l’investissement. C’est une question délicate bien sûr. Car chaque gouvernement voit ce marché comme un instrument de stimulation économique. Donner de l’emploi et de l’activité à un pays voisin, même de l’UE, n’est pas facile à assumer en terme politique, surtout en période de récession. Nous avons intérêt à ce que la Commission européenne hausse le ton. On a l’impression que l’Europe a un peu honte de son industrie de guerre...

• Comment voyez-vous le rôle joué par Solana comme Haut représentant ?
Javier Solana a très bien joué sa carte. C’est un personnage très fin, très conscient que les chancelleries des grands pays membres n’attendaient qu’une chose : qu’il mette un pied là où il ne devait pas. Le Quai d’Orsay, Downing street, l’Auswaertiges-Amt (Nb : les ministères français, britannique et allemand des Affaires étrangères) n’attendaient que ce prétexte pour torpiller tout. Les grandes diplomaties n’ont jamais aimé l’idée d’un Haut Représentant qui éclipse leurs propres diplomates et politiques.

• Vous voulez dire que l’impression d’un Solana, un peu effacé, était incontournable ?
Oui. Cette action en marge de la lumière était une condition de son existence avant d’être celle de son succès. Le risque était grand que s’il critique trop les Etats membres, s’il soit trop fort, tout s’effondre. Ne pas avoir fait de grosse erreur qui a permis le développement d’une politique européenne, est, pour moi, aussi important que ce qui a été fait. Peu à peu, Solana s’est ainsi imposé comme un des interlocuteurs importants dans la diplomatie internationale.

• Le poste est-il toujours aussi menacé ?
Non. Nous sommes parvenus à un stade où la PESD est à un niveau tel, qu’un retour en arrière ne me semble pas possible. C’est d’ailleurs étonnant d’observer qu’en matière de défense – alors que d’ordinaire dans l’UE, on fait deux pas en avant et un pas en arrière - il n’y a pas eu, depuis dix ans, d’échec retentissant, de pas en arrière. Cela a toujours été un petit pas, mais en avant.

• L’élargissement a joué son rôle ?
Oui. L’élargissement a joué un rôle dans cette crédibilité de Solana. Mais ce sont surtout tous les pays européens qui ont compris que, seuls, ils ne pouvaient plus assurer la sécurité de leurs citoyens. C’est le reflet de la globalisation, avec la montée de la Chine (et de l’Asie), le retour de la Russie... Nous sommes devenus des petits pays dans un monde très instable que les incertitudes de la politique américaine ne nous abritent pas, ou plus. Un pays n’est plus capable d’agir seul, même l’Allemagne ou la France ! Et cela est compris instinctivement par tous.

• Qui verriez-vous à la tête de l’Europe demain ? A commencer, par le Haut représentant. On parle du chef de la diplomatie suédoise, Carl Bildt, de l’actuel secrétaire général de l’Otan, Jaap De
Hoop Scheeffer ?

Carl Bildt a un désavantage. Il vient d’un pays, la Suède, qui est neutre, même si cette neutralité est bizarre. Mais à son compte, il a été très actif dans les Balkans, avec beaucoup de succès, de soutien.

• Et à l’Otan ?
Je verrai bien Radek Sikorski (Ministre des affaires étrangères polonais). C’est un homme qui n’a pas eu froid aux yeux lorsqu’il s’est agi d’expliquer le bouclier anti-missiles. Ce serait un bon signal politique.

• A la Commission, Barroso semble le candidat  naturel ?
Si Barroso est confirmé, çà devient un mandat de 10 ans, sans vraiment de mandat politique. C’est une dérive. Ce serait intéressant plutôt de voir s’il n’y a pas d’alternative possible...

 (NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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