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Gestion de crise PSDCReportage

Le battlegroup belge à l’entraînement, petit pays, grande ambition

(BRUXELLES2) 10h35 : la tente de commandement du Battlegroup déployé dans « Blueland » sur l’Ile Colibri au large du Sénégal bruisse… Un hélicoptère militaire vient de se crasher sur une maison. La radio crépite. Il faut faire vite. Le génie de combat et une équipe médicale sont aussitôt envoyés pour sécuriser la zone. Les autorités politiques au plus niveau sont prévenues (Ministre, Etat-major, Solana…). Afin d’éviter toute dégradation de la situation, sur place, une cellule Cimic (civilo militaire) est dépêchée… Bien entendu, il s’agit d’un EXERCICE.

Les trois contraintes d’un Battlegroup

Nous ne sommes pas en Afrique. Mais à Beauvechain, sur la base aérienne du 1er Wing (à 40 km de Bruxelles). Et cet « incident » est un des nombreux qui se sont déroulés cette semaine de façon fictive. Objectif : aguerrir et entraîner le Battlegroup (groupement tactique ou EUBG) de l’Union européenne – dirigé par les Belges et composé de Français et Luxembourgeois - qui sera d’astreinte à partir du 1er juillet 2009. Pendant six mois, il devra ainsi être prêt à répondre à toutes sortes de crises, dans un délai de 10 jours, n'importe où dans le monde, dans un rayon de 6000 km.

C'est bien cela le défi d’un Battlegroup de l’UE - explique le Colonel Jean-Paul Deconinck, qui dirige l’exercice et le Battlegroup (*) -. « Nous avons trois contraintes : 1) le temps – un délai très court pour être opérationnel dans le théâtre après la décision politique. 2) la mission n’est pas connue. On essaie donc de préparer un paquet de forces pour faire face à tout type de mission. 3) Les moyens de transport stratégique  disponibles – ce qui peut poser problème. (Donc) nous avons intérêt à être bien préparés ». Parce qu’il est cependant nécessaire de se fixer des priorités, les Belges ont choisi de mieux travailler sur une région d’intervention, « le Centrafrique » par exemple...

Scénario : la Belgique transposée en Afrique

Le scénario de l'exercice concerne un pays fictif « Blueland » - qui a les formes de la Belgique - situé dans une île – dénommée « Colibri » - placée aux larges de l'Afrique. Où il existe des troubles techniques. L’ONU a décidé de mettre en place une force d’interposition. Et demandé l’assistance de l’Union européenne dans un premier temps. Dans ce pays « on parle anglais. Et il y a deux patois : le français et le néerlandais »... La température y est tropicale, de 28°. Enfin... presque. Il suffit d'imaginer côté chaleur et soleil. Pour l'atmosphère tropicale, en revanche, le côté humide, est assuré. Même dans les tentes, un petit filet suinte. Et il n'est pas question de laisser traîner quelque chose par terre, les flaques d'eau diverses sont nombreuses (dans la réalité). Le système de QG belge est rustique. Des tentes montées sur arceau. Mais fonctionnel, malgré l'eau ambiante. Toute l'électronique et l'électricité fonctionnent. Avantage de cette rusticité. Un nombre très réduit de palettes pour embarquer tout çà. Cela a été une condition d'emploi explique un des responsables. « Nous avons voulu limiter le nombre de containers pour permettre le déploiement du QG en moins d’une semaine ». Et la rapidité du déploiement : quelques heures pour monter une tente.

Un Exercice d’Etat-major avant tout

Cet exercice concerne surtout l'état-major de terrain - le FHQ - mais aussi l'état-major d'opération - situé au Mont-Valérien (Saint-Cloud/Suresnes, près de Paris). Les Belges ont décidé de « jouer » l’exercice dans toute sa longueur, en procédant à quelques « sauts dans le temps » pour permettre d’appréhender toutes les phases d’une opération. Des conseillers politiques (assurant la liaison avec le cabinet de De Gucht, le ministre des Affaires étrangères) et légaux sont présents. Au début de l’exercice, le 4 février les Belges sont donc allés à Paris à l’OHQ pour concevoir le concept (Conops) plan d’opération (OpPlan). En même temps, a été déployé à Beauvechain, un OLRT (une équipe de reconnaissance) pour récolter un « maximum d’informations et aider à finaliser les plans ». « On a projeté le « Harpoon » - en fait un embryon du QG – avec mission d’établir les premières liaisons sur le théâtre et d’effectuer les premières missions ».

ISTAR déployé grandeur nature

C’est aussi l’occasion de tester en grandeur nature les communications (le nerf de la guerre moderne) et les moyens de reconnaissance. Ainsi l’unité Istar (intelligence, surveillance, target, acquisition, reconnaissance) – unité franco-belge - est déployée en son entier. Les « informations nous arrivent de différents capteurs » explique le responsable de l’unité. « Toutes les unités déployées envoient des rapports. Avec les patrouilles, on travaille dans la population ». Il y a un homme par compagnie pour la liaison. Les informations remontent aussi par les contacts avec les différents responsables politiques et militaires de « Blueland » (autorités politiques, chefs rebelles…) Mais Istar dispose aussi de ses propres capteurs : un escadron de reconnaissance sur Pandur, un bataillon de surveillance du champ de bataille (BSR) avec radar, les drones (des CL 289 français) et « moyens de guerre électronique ». Dans cette tente, sont à la fois planifiées les différentes informations nécessaires et analysées celles qui arrivent du terrain, la « think tente ». Au besoin, des cartes digitales, papiers, ou des calques plastiques, « très pratiques pour s'adapter aux situations », peuvent être réalisées (avec le concours français).

Structure du Battlegroup
Le Battlegroup est structuré autour d’un bataillon (800 hommes – 2 compagnies belges et 2 compagnies françaises) et d’un Etat-major de force, sur le terrain (FHQ) de 180 hommes. Il est réparti à 2/3 – 1/3 = 1450 Belges et 750 Français avec un élément luxembourgeois (pour la purification d’eau). Sont intégrés différents moyens de soutien de combat : sept hélicoptères A-109, une batterie de mortiers 120 (Fr), trois pelotons de génie de combat (Fr), deux équipes EOD (anti-explosifs, Fr et Belgique), un peloton Mistral + C2 de défense aérienne (Belgique/France), un peloton de CBRN (décontamination, reconnaissance), des détachement sde « Military police » et de Traffic control et les indispensables cellules PsyOps (opération psychologique, nom plus moderne pour la traditionnelle propagande) et Cimic (civilo-militaires). Il faut ajouter les éléments de soutien : service médical et Medevac (évacuation médicale) et de CIS (Communication information systems). « On essaie de rester déployable en restant dans un environnement sécurisé, c’est çà (aussi) le challenge » explique Deconinck. Pour les Belges, ce Battlegroup est aussi un défi technologique. C’est la première fois que le nouveau blindé Pandur ainsi que certains véhicules seraient utilisées en opérations extérieures (Opex).

2200 hommes, cela peut paraître peu
... au regard de certains Battlegroups, plus lourds. Les Allemands, par exemple, avaient jusqu’à 3600 personnes. Mais « ils avaient tout intégré » explique le Général-Major Testelmans. « Chaque nation adapte son Battlegroup en fonction de son planning ». Les Belges ont choisi un concept « plus léger » en mobilisant au besoin des moyens supplémentaires. Des moyens de support aérien – transport tactique, moyens de combat air sol des F-16 ou des Tornado par exemple – et des moyens maritimes. « Il faut bien voir que pour déployer une force de 2200 personnes et 670 véhicules, il faut 4 Airbus A 310 et 8 C130, 3 Antonov et 5 navires. »

L’engagement belge sur la PESD

Pour la première fois, les Belges prennent le lead d’un Battlegroup (**). Ce qui n’est pas le moindre des défis. Avoir la direction du Battlegroup, c’est non seulement composer l’essentiel de la force et en cas d’alerte « générer la force et être le point de contact avec le niveau politique » mais aussi auparavant, « concevoir les entraînements, entraîner et certifier la force, préparer le concept des différentes unités (Medevac, CIS…)… ».

Pour le Général-Major Testelmans, chef de la composante terre de l’armée belge (photo © NGV) : « La Belgique comme petit pays veut être un partenaire fidèle de la Politique européenne de défense. La crédibilité c’est le mot clé, se vérifier d’abord par une bonne préparation, un entraînement, un système de certification valable. Le QG est très léger. On a voulu absolument limiter le nombre de containers. Tout le QG est déployable en une semaine. »

Une force de 1000 hommes peut faire la différence

« Je suis convaincu que 1000-1550 personnes bien entraînées rapidement déployables peuvent faire la différence. On l’a prouvé dans d’autres contextes en Côte d’Ivoire (avec les Français), au Sierra Leone (avec les Britanniques). Et on aurait pu le faire en Iturie… » « Au niveau militaire, c’est crédible » assure-t-il. Et de reprendre, « on aurait pu faire une mission au Congo. Le Battlegroup allemand était là. » Mais « politiquement cela a bloqué ». « Pour la crédibilité il faut deux paramètres : le militaire et le politique ». « Nous nous sommes prêts. Si on ne nous déploie pas, ce n’est pas de notre compétence » ajoute-t-il.

Un coût non négligeable

Coût « net » du déploiement du Battlegroup pour les Belges : 40 millions d’euros si le Battlegroup est en opération sur 4 mois. Un coût important qui montre la valeur de l’engagement de la Belgique. « Nous voulons montrer qu’un petit partenaire, fiable, est capable de jouer un rôle dans cet embryon de la politique européenne étrangère et de sécurité » explique Testelmans. Cela met cependant en lumière toute la problématique du financement des opérations de gestion de crise à l’échelle européenne. « Certains pays considèrent le Battlegroup comme une loterie à l’envers, si tu as de la malchance, tu paies ». NB : Il faut ajouter, à ce coût, la participation du mécanisme de solidarité européen, « Athena » et celles des autres pays.

Deux ans de préparation et le dernier en juin

Préparer un Battlegroup demande « deux ans de préparation ». Deux exercices pour le FHQ ont déjà eu lieu en mai et décembre 2008 (CPX), complétés par des séminairs. Mais à Beauvechain, c’est le premier exercice en commun. Quant aux unités, outre l’entraînement quotidien, il y a eu déjà plusieurs exercices : à Salisbury au Royaume-Uni (pour les Belges) et à Grafenwohr (multinational). Le dernier exercice - de qualification du Battlegroup - aura lieu le 8 juin prochain, toujours à Beauvechain, mais associant tout le monde, Etat-major et unités. Avec débarquement maritime (au port de Zeebruges) et aérien (à Melsbroek, l’aéroport militaire de Bruxelles). Et déploiement sur le terrain. Soit plus de 1000 personnes en action. A suivre...

(Nicolas Gros-Verheyde)


(*) Le commandement de l'EUBG

C'est le Colonel Deconinck (be) qui dirige l'EUBG. Il est assisté du colonel français Aubry (fr), de l'Etat-major de force n°3 (Marseille). Diplômé de l’Académie royale militaire à Bruxelles, et affecté au 3e régiment de lanciers (bataillon de chars), le col. Deconinck rejoint en 1989 l’école des blindés. Il a servi notamment comme G5 (plans) au Bataillon de la force multinationale nord au Kosovo en 2000 (« secteur » français), est nommé commandant du 1er/3e régiment de lanciers en septembre 2003. Il prend le poste de chef de la branche personnel du département « opérations et formation » à l’Etat-Major et est, depuis avril 2008, commandant de la 7e brigade de Marche-en-Famenne.

(**) La Belgique a participé à deux Battlegroups déjà en 2007, sous lead français, en 2008 sous lead allemand

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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