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Conflit à Gaza. L’occasion perdue des Européens

(B2) On pouvait avec enthousiasme se dire qu'après la Géorgie, une page était tournée. La politique étrangère européenne était sur les rails. Elle devenait adulte. L'exemple du Congo en décembre (et le refus d'engagement des Européens malgré une demande de l'ONU) avait sonné comme un avertissement. L'inaction sur Gaza le démontre aujourd'hui. Quelle occasion perdue pour l'Europe, divisée, qui n'a pas d'emprise sur les protagonistes, laisse faire Israël, ... et s'aligne sur les Etats-Unis.

Cinq constats :

1) Une Europe indéniablement divisée politiquement. Le schisme palestino-israélien est un des plus fragmentaires qui existe (davantage que la fragmentation devant la Russie). Et la première déclaration tchèque sur la position "défensive" d'Israël a plutôt jeté de l'huile sur le feu.

2) Une absence d'emprise sur les protagonistes. Difficile de discuter avec les parties au conflit quand on s'est interdit de parler avec l'une d'entre elle, avec le Hamas. Sans entretenir des relations diplomatiques de haut rang, d'autres voies auraient plus être trouvées. C'est d'ailleurs un des problèmes de l'UE.  Quant aux moyens de pression sur Israël, à partir du moment où les Etats-Unis la soutiennent, ils sont limités. L'Europe n'a pas voulu activer les habituels moyens de pression diplomatiques - suspension des discussions, des accords en cours...  Une simple déclaration non de la Commission mais d'un commissaire estimant que le renforcement des relations avec Israël n'était pas opportune. Ce qui est assez limité.

3) De façon générale, la réaction est très limitée par rapport à Israël. Il a fallu le bombardement de batiments sous drapeau de l'ONU pour susciter une réaction... petite (1). Le bombardement de cliniques médicales danoises, sous drapeau de la Croix-Rouge, n'avait pas suscité de réaction. Les rapports successifs de l'ONU sur la situation humanitaire de l'ONU (lire système de santé au bord de l'effondrement) tout comme les déclarations du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) n'y ont rien fait. On a l'impression qu'en fait, Israël a les mains libres. Entrer dans Gaza, mater le Hamas, voire essayer de le déstabiliser, cela semble une bonne chose. A condition de ne pas faire trop de dégâts voyants, et d'agir de façon limitée dans le temps (quelques semaines). On ressent une impression désagréable que l'Occident donne une caution implicite dans une lutte plus globale contre l'extremisme arabe.

4) Une inexistance politique. C'est très net. Certes le Haut Représentant, Javier Solana, a joué son rôle. Plusieurs pays ont mené plusieurs missions (française, allemande et espagnole notamment (lire la diplomatie s'active). Mais, mis à part un "petit tour" dans la région, la présidence tchèque de l'Union européenne a été plutôt discrète. Au final, l'UE, en tant qu'instance politique, a été plutôt inexistante. Au mieux, elle a joué les arbitres de touche, levant uniquement le drapeau quand la balle dérape hors du terrain de jeu. Ce faisant, les Européens ont perdu une belle occasion. Durant plusieurs semaines, ils avaient la capacité de s'immiscer dans le processus de règlement de la paix au Moyen-Orient, de jouer un rôle autrement que d'envoyer quelque aide humanitaire et de payer les dégâts.L'UE a fait le minimum. Attendant que le nouveau président des Etats-Unis soit en place et donne le là.

5) Un alignement sur la position des Etats-Unis. Cette position minimaliste ne doit pas faire illusion. Il ne s'agit pas d'impréparation (les Tchèques sont bien préparés, surtout pour le Proche-Orient), ni parce qu'un "petit" pays préside (la Belgique aurait été aux commandes, la position aurait été différente). Non... C'est une question de haute politique. Pour le gouvernement tchèque, les Européens n'ont pas à intervenir sur une zone stratégique pour le Américains. Pour la présidence tchèque de l'UE, l'Union européenne n'a pas à avoir de politique étrangère autonome distincte de celle des Etats-Unis. Le débat est là. Pas ailleurs...

(NGV)

(mis à jour)

(1) Plus précisément deux attaques de l'ONU. La première ayant eu lieu le 8 janvier sur une école de l'UNWRA puis des camions de l'ONU tuant un agent. La deuxième, le 15 janvier, a suscité une réaction rapide de la Commission européenne (le commissaire Michel), de Paris, Londres et Berlin, rapidement. Mais il a fallu attendre 19h50 pour une réaction de la présidence tchèque de l'UE limitée au strict minimum.

NB : Après les accusations de médecins norvégiens d'emploi de nouvelles armes, on peut lire avec profit, sur le blog de JD Merchet, une explication détaillée sur l'utilisation et l'effet des bombes DIME.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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