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Récit de Géorgie 7: sur la route avec une patrouille de l’EUMM

(B2)La première tâche des observateurs est de vérifier que les conditions prescrites dans le plan de cessez-le-feu « Medvedev – Sarkozy », conclu le 12 août, sont bien respectées. Depuis le retrait des forces russes de la zone de sécurité, ils veillent surtout au respect de la libre circulation des populations, à l’absence d’armes prohibées dans les rangs des policiers géorgiens, à la présence des militaires dans leurs casernes, et se renseignent sur les différents incidents qui leur sont signalés.

NB : Tous les témoignages recueillis dans ce reportage l'ont été sous le sceau de l'anonymat sauf un long entretien avec le Général Janvier (cité dans ce cas). C'était une des conditions mises par mes interlocuteurs. Théoriquement d'ailleurs, les observateurs ne peuvent parler que de "leur situation personnelle, âge, origine, ... et encore s'ils le désirent" m'a précisé un responsable de la mission. "en aucun cas ils ne peuvent parler sur ceux qu'ils voient ni ce qu'ils peuvent constater. Même Off. En revanche libre à vous de les suivre dans votre véhicule et de voir ce qu'ils voient" a-t-il ajouté. Ordre/conseil (presque) scrupuleusement respecté...  NB : pour la simplicité des témoignages, je parle d'un officier quand il s'agit d'un responsable (sans que cela puisse dénoter l'appartenance à un corps militaire ou civil).

Aller sur le terrain pour ramasser de l'information

Dans un pays où la rumeur est reine, le seul moyen d’avoir une information est en effet d’aller sur le terrain. Chaque matin, près de l’Abkhazie ou de l’Ossétie, dans chacun des Field offices (Zugdibi près de l'Abkhazie, Khaskhuri près de Gori), plusieurs patrouilles partent explorer un secteur, une route, un check point. Sur place, les observateurs prennent contact avec les autorités, les responsables des checks points, les civils, afin de tirer un maximum d’informations, de pouvoir les recouper et les analyser. Une cellule spécifique au Quartier général est chargé de ce travail. La qualité et l’objectivité de l’information sont un élément précieux pour permettre une claire appréciation politique de la situation.


Hotel Victoria, Gori - gendarmes français en briefing avant
départ - © NGV

Départ en patrouille vers le check point de Tskhinvali.Le principe est de mixer les équipes, les nationalités, et les profils : un expert civil, des policiers, des gendarmes. Chaque patrouille comporte deux véhicules. A la fois pour assurer la sécurité (si une voiture est touchée ou simplement en panne). Mais aussi pour assurer l'objectif de la mission. "Une patrouille est toujours mixte, au niveau de la nationalité au moins et des expériences également. Et nous allons de plus en plus les mixer. C'est un atout" précise le général Janvier, adjoint au chef de mission. Les véhicules sont blindés, pour parer à tout problème. La situation reste en effet tendue, surtout à proximité de la frontière. Plusieurs policiers géorgiens ont déjà été victimes de tirs ou d’attentats par engin explosif improvisé.

Ce jour-là, plusieurs patrouilles partent de l'hôtel Victoria, siège du Field Office de Gori.  Il n’y a pas de chef en tant que tel. Ni de grade. "Nous ne sommes pas dans une mission militaire" me précise un officier. Mais, comme il faut bien un chef. Le principe acquis "c'est que le chef du premier véhicule prend la direction de la patrouille". Ce matin, nous partons dans la montagne, loin. Ce sont les Polonais qui sont devant avec leur AMZ au look très militaire. Les Français suivent avec leur Panhard bleu. Direction : Perevi, chez les Russes. Ils ont emporté de quoi coucher sur place (hôtel 0 étoiles, c'est à dire sans chauffage ni électricité). La route, chaotique, n’est pas vraiment faite pour rouler vite. Et ce qui à vol d’oiseau représente 60 kms oblige à un détour assez large, qui prend minimum 4 heures aux véhicules tous terrains. Cette route a raison de notre véhicule (nous sommes dans une voiture séparée, obligation de l'EUMM qui ne veut pas de journaliste dans ces véhicules, logique, mais peu pratique). Et la peur se lie sur le visage de notre traductrice qui panique, passe maints coups de fils à son patron, son cousin pour finir par me dire "on ne va pas plus loin, c'est trop dangereux". Anecdotique ? Non... révélateur d'un sentiment de fébrilité et de crainte chez certains géorgiens, du moins ceux de Tbilissi, alors qu'il n'y a aucun danger, surtout... derrière les deux blindés de l'EUMM. On rebrousse en chemin, laissant l'ours en cage veiller sur le bord de la route, au bord de la gargotte...

Patrouille suivante. Qu'à cela ne tienne, retour à Gori, on prend la patrouille suivante. Il y en régulièrement, en général, deux ou trois le matin, départ 8 heures. Et deux, l'après-midi. départ : 16 h. Le nombre de véhicules, de patrouilles varie selon l'actualité, et les ordres. Une certaine autonomie est laissée à chacun. L'OHQ donne des directives générales. Mais le Field Office apprécie la situation localement. Mais le chef de patrouille a aussi une large autonomie pour décider où il veut aller. Là c'est une patrouille Bulgaro-polono-française, dirigée par un expert civil (ancien du Ministère de la défense tout de même) : un Mercedes et un Amz. Direction inconnue. On suit. En fait on remontre vers le check point de Tskhinvali. Premier objectif : éviter les nids de poule et la circulation hasardeuse. Ici c’est la plaine. Nous sommes dans un pays de pommiers.

Au premier village, à Karaleti, un troupeau de vaches, la patrouille passe entre deux troupeaux. Quelques maisons détruites. Les habitants regardent avec attention ces véhicules militaires dont ils n’ont pas l’habitude. Pour distinguer à qui ils appartiennent. Effectivement la question de la visibilité de ces véhicules (dépareillés) se pose (lire sur les "enjeux et défis"). Certains enfants saluent la patrouille. On circule lentement le village. Et on poursuit la route. Tirdznisi : quelques maisons sont déjà en reconstruction, fenêtres neuves posées, charpente. Cela va vite à reconstruire. On est dans l’ancienne "buffer zone" et si rien n’est visible de véritablement traumatisant, pour peu qu’on prête attention, on aperçoit des maisons sans toit, brûlées, derrière les arbres, au minimum 3-4 par village ou hameau. Ici ce sont beaucoup de paysans. On vit de la petite agriculture. Éventuellement on va travailler sur la ville. Brsteletsi, Ergneti : davantage de maisons détruites, une sur trois environ, ou brûlées.

On arrive en vue du check point. Les consignes de sécurité sont strictes. Surtout quand la vision n'est pas claire (comme souvent dans la région, à l'approche de la tombée de la nuit). Se garer assez loin du poste, approche de préférence à pied, avec un signalement très clair, chasuble bleue marquée de l’UE et béret bleu, démarche lente, pour éviter tout quiproquo.


Les "quatre mousquetaires" montent vers le Check Point © NGV

Prise de contact. Question d'un des Observateurs. Comment çà se passe ? "Tout se passe bien. Hier ils nous ont jeté des pierres". Les deux postes sont distincts de quelques dizaines de mètres. Les deux drapeaux sud ossètes et russes flottent ensemble sur le poste. "Ce matin, aussi, on a entendu des explosions. Au loin, comme des tirs d’entraînement". Il  y a un peu de provocation en permanence. Les policiers géorgiens en tenue de combat et fusil mitrailleur – la tenue normale- sont dans des préfabriqués. La conversation roule ensuite sur le temps, le quotidien : "Tiens on a vu vos collègues hier dans une jeep blanche". Étonnement de nos observateurs : "Ce n'était pas l'OSCE ?" Réponse : "Oui c'est çà l'OSCE", acquiesce le policier, souriant (l'a-t-il fait un peu exprès pour taquiner nos observateurs...). (*).


Prise de contact observateurs et chef du check-point © NGV

Les Observateurs regardent. Ils sont en pays de connaissance. Et visitent régulièrement le poste. Ils n'iront pas plus loin aujourd'hui. Ils doivent aller ailleurs. "L’OHQ vient de
signaler des tirs sur A
. Vu la tombée de la nuit, ce n'est pas très recommandé", expliquent-ils. Visiblement ils n'ont pas envie d'accompagnateur. Cette fois...

Les « policiers » géorgiens. Les « policiers » géorgiens sont là en fonction. Des unités spéciales, me dit-on. Mais au premier coup d’œil, difficile de distinguer qu’ils sont policiers. Habillés tout en kaki, avec casque, fusil M4 américain le plus souvent (l’AK 47 quand il s’agit de policiers plus ordinaires). Les Observateurs de l'EUMM peuvent exiger les cartes d’identité des policiers. Pour vérifier qu’ils ne soient pas militaires. Ils peuvent également entrer dans les postes de police pour vérifier qu’il n’y a pas d’armes lourdes. Mais finalement, comme l’avouera plus tard, un observateur « Nous sommes bien obligés de leur faire confiance. Ils sont présentés comme des policiers, et ont des cartes de policier ». Les militaires géorgiens n’ont, en effet, pas le droit d’approcher la frontière. Et les armements lourds sont interdits dans la buffer zone. Les Observateurs vérifient régulièrement ce point. Au besoin la nuit...


policiers géorgiens au check-point © NGV

L'intérêt des patrouilles de nuit. Cela peut paraître anachronique. Mais il ya des patrouilles de nuit. Pourquoi ? "D'abord c'est notre mandat, être là 24 heures sur 24" m'explique le général Janvier. Ensuite "Patrouiller la nuit est intéressant. On peut voir des choses qu'on ne voit pas le jour, faire des observations intéressantes". Comme ce mouvement constaté par des observateurs de l'EUMM, en pleine campagne, une certaine nuit à 23h30, de 7 obusiers de 122 mm géorgiens, en dehors de la zone adjacente, mais pas loin tout de même des limites de l’Ossétie...

Des patrouilles jusqu’en Ossétie du sud. Les forces patrouillent normalement jusqu’au check point géorgien, ou jusqu’à la limite administrative, parfois au-delà pour prendre contact avec le check point russe, ossète ou abkhaze. Vers l’Abkhazie, cette prise de contact est restée pour l'instant limitée. « La première fois que nous sommes arrivés en Abkhazie, ça s’est bien passé. Les Russes étaient un peu surpris de nous voir, mais pas mécontents, nous avons pu poussé 200 mètres plus loin au check point abkhaze. Depuis nous ne l’avons pas refait. » Vers l’Ossétie, les contacts sont plus courants. Régulièrement, les équipes d’observateurs passent de l’autre côté, selon des règles bien établies. Le commandement russe ou l’autorité de facto du ministère de l’Intérieur ossète est prévenu auparavant, afin d’éviter tout quiproquo. Mais les observateurs ne se sont pas « enfoncés » plus avant sur les routes de la région. Ce qui serait possible techniquement. Car parfois le check point russe ou ossète est plusieurs kilomètres plus bas, pour des raisons de praticité et stratégiques également. Le principe a donc été fixé - en interne, au sein de l'EUMM - : « ne pas s’enfoncer de plus d’un kilomètre dans le territoire ». La prudence est de règle... La situation est très volatile. De fait si les checks point russes sont visités régulièrement, ceux tenus uniquement par les Ossètes le sont moins. « Autant les contacts avec les Russes sont bons, autant avec les Sud Ossètes, c’est plus difficile » assure un expert du terrain. « Les troupes russes sont des troupes régulières, elles sont disciplinées et se tiennent bien (généralement). Les Russes nous ont conseillé eux-mêmes d’éviter les Sud Ossètes.»


Check point ossète-russe près de Tskhinvali (vu du coté géorgien)
© NGV

Procédures. Il n'y a "pas de "règles d'engagement (au sens habituel du terme). "Nous ne sommes pas dans une mission militaire et cela impliquerait une confrontation. Notre approche est purement civile." explique le Général Janvier. Mais il existe néanmoins des procédures de sécurité, de reporting, de signalement des incidents, etc. Si des règles ont été bâties au départ, on construit aussi un peu en marchant. Tous les jours, "on innove et on améliore les procédures" complète un officier.

Tous les jours, un rapport part ainsi à Bruxelles, complété d’une synthèse hebdomadaire et d’une synthèse mensuelle. En cas d’incident grave, un rapport spécial est immédiatement établi. De même, en cas d’accident mettant en cause un observateur, un coup de téléphone est immédiatement passé à la permanence du Capacité de conduite et de planification civile (CCPC) à Bruxelles et au cabinet du Haut représentant, Javier Solana, pour le tenir au courant. Les observateurs signalent également à l’autorité à l’origine de l’incident (Russes, Ossètes ou Abkhazes, Géorgiens) le problème afin qu’ils puissent agir. Tous les jeudis, une réunion générale a lieu au quartier général avec tous les ambassadeurs en poste (UE, États-Unis…) et les organisations internationales présentes (ONU, OSCE…) pour faire le point.

La mission s'installe dans la durée.
Un an tout d'abord (peut-être prolongée). En tout cas, certains observateurs français qui étaient partis pour une durée limitée (4 mois pour les Français) se sont vus proposés de rester plus longtemps, le temps de cette première année. Et nombre d’entre eux se sont portés volontaires pour prolonger ainsi.

(NGV)

(*) Mise à jour : en fait d'OSCE - je l'ai appris plus tard -, il s'agit plutôt de Pierre Morel, l'envoyé spécial de l'Union européenne pour la crise en Géorgie qui se rendait en visite auprès des autorités de facto de l'Ossétie du sud, et utilise à cet effet les véhicules blancs de l'OSCE

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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