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Dilemme pour les Européens: comment répondre « Non » poliment à l’ONU

(BRUXELLES2)  Du bout des lèvres, Javier Solana, le diplomate en chef de l'UE, a reconnu avoir reçu la lettre de Ban Ki Moon, le secrétaire général de l'Onu (voir la lettre), demandant l'intervention des Européens en République démocratique du Congo (RDC, ex Zaïre), avant les renforts à la MONUC. Les 27 ministres des Affaires étrangères, réunis hier (8 décembre) à Bruxelles, avaient (encore) le sujet "Congo" à leur ordre du jour au déjeuner. Le "déjeuner est toujours réservé aux questions difficiles" commente un diplomate.

Les Européens sont bien embarrassés

Comment répondre poliment "non" au secrétaire général de l'ONU ? C'est toute la problématique. Jusqu'ici la plupart des responsables politiques et diplomates européens se réfugiaient derrière des arguments dilatoires : "Il faut d'abord renforcer la MONUC"; "L'Onu n'a jamais rien demandé à l'UE"; "Nous n'avons pas reçu de demande formelle", etc. Maintenant, il est difficile de nier la demande. La lettre de Ban Ki Moon est très claire. Si la réponse est "non", ce serait la première fois, la seule, où l'UE refuserait une demande de l'ONU. Au moment où l'UE défend avec force le multilatéralisme, c'est illustrer toute la différence entre la parole et l'acte... "Si l’Europe – cette aventure politique et morale née de la guerre —, ne répond pas à cette interrogation, Alors qu’est-ce que l’Europe ?" s'indigne, justement, Bernard Kouchner (le ministre français des Affaires étrangères). "Mais malheureusement notre indignation n'est pas partagée par tous les autres pays", reconnaît-il aussitôt.

Les Européens sont bien divisés

Si plusieurs pays emmenés par la Belgique (Espagne, Pays-Bas, Suède, Finlande, Irlande) se sont montrés indignés par la situation et pourraient souscrire à une demande du secrétaire général de l'ONU, au moins sur le principe, éventuellement en envoyant des troupes, il reste "plusieurs" réticences... pour parler diplomatiquement. Concrètement aucun grand pays (Allemagne, France, Royaume-Uni, Espagne) n'est d'accord pour diriger l'opération. Deux pays (Allemagne, Royaume-Uni) ont un veto, par principe, à l'envoi d'une mission de la PESD.
Certains sont très réticents (comme le Portugal) estimant que cela pourrait créer une double chaine de commandement (MONUC et UE), nuisible. Un pays (France) est divisé en interne. Une majorité (pays d'Europe centrale notamment) reste silencieuse, particulièrement la Pologne (qui pourrait être le (seul) pays à même de conduire la mission).

  • L'Allemagne reste opposée à tout. Même si elle ne pense pas participer à une mission PESD, elle devrait tout de même en financer une petite partie, donc obtenir un nouveau mandat du Bundestag... Et les souvenirs de la dernière mission au Congo des Allemands ne sont pas très glorieux, si on en croit certains témoignages  (1)
  • Le Royaume-Uni est plus que réticent, défendant des renforts individuels à l'Onu, et étant en "tension permanente" entre ses troupes en Irak (pas encore revenus) et en Afghanistan (en partance). Ca grogne sérieusement dans les rangs de l'armée britannique (plusieurs hauts gradés l'ont exprimé clairement ces derniers temps). Il n'est pas question d'ajouter une opération de plus...
  • La France a une réponse est ambigüe et plutôt... multiple. L'approche interventionniste du ministre Kouchner est peu partagée, particulièrement au Ministère de la défense. Le ministre de la Défense, Hervé Morin, a - à plusieurs reprises - exprimé qu'il n'y avait pas nécessité d'une intervention autonome. Autre difficulté : la France continue d'avoir des relations difficiles avec le Rwanda voisin (dont ce n'est un secret pour personne qu'elle soutient la rebellion de N'kunda).
  • Seuls les Belges, en fait (en tant qu'ancienne puissance coloniale) sont plus sensibles à la question du Congo. Ils ont ainsi approché les Britanniques, les Français, les Espagnols... A chaque fois, la réponse a été "non merci", "pas maintenant", "nous sommes débordés". Le dernier espoir du ministre des Affaires étrangères belge, Karel de Gucht, repose sur les Italiens - qui vont diriger l'année prochaine un des battlegroups... Mais il ne peut être question

Quelle réponse ?

Les 27 ont donc finalement demandé à Javier Solana, le Haut représentant de l'UE pour la politique extérieure, de "préparer rapidement les éléments de réponses techniques, humanitaires et politiques". Une fomule difficile à trouver. Même utiliser le mot "militaire" a été difficile à prononcer pour les Européens : c'est "technique" m'a répondu, un brin ironique, Bernard Kouchner. Quant à l'étude, elle ne devrait pas durer longtemps. Ce devrait fait "avant la fin de la semaine" a précisé Javier Solana. Et d'expliquer en aparté : « Nous allons voir tous les moyens que nous pouvons fournir : renseignement (que nous fournissons déjà), transport. Voire une petite mission de sécurisation de l'aéroport de Goma. » Mais sans vraiment d'espoir. La mission est difficile pour Solana : comment proposer le minimum de réponse en suscitant l'adhésion des Européens ? Une autre idée pour l'UE consisterait donc à renforcer ses deux missions civiles déjà présentes dans le pays "police" (EUPOL) et "réforme de sécurité" (Eusec), éventuellement en l'étendant à d'autres tâches comme le désarmement.

Pourquoi cette réticence ?

On ne peut s'empêcher de songer qu'au-delà des aspects techniques (disponibilité militaire), politique interne (mandat parlementaire, financement...), se cachent des intérêts géopolitiques. En intervenant, on limite la rebellion. En n'intervenant pas, en laissant la rebellion gagner, on fait pression sur le pouvoir central congolais, du président Kabila junior. On le contraint à certaines réformes, certains ajustements que jusqu'ici il s'est refusé à faire. Un haut diplomate européen n'a d'ailleurs pas caché qu'il fallait "faire pression" sur Kabila, pour qu'il accepte, enfin, une "réforme profonde du système de sécurité". On ne peut s'empêcher aussi de songer que certains Etats (Britanniques par exemple) ne défendent pas aussi certaines arrières-pensées. En "donnant" à la rebellion de facto, le pouvoir sur l'Est du Congo, on autorise une certaine autonomie (à défaut d'une certaine partition) du Congo. Une sorte de zone "tampon" entre le Rwanda (anglophone) et le Congo (francophone). La tentation de scission de l'ex-Zaïre n'en est pas à son premier essai...

Se poser la question de l'utilité des battlegroups ?

Si les Européens n'interviennent pas... Il faudra se poser quelques questions sur le format des BattleGroups (les groupements tactiques d'intervention rapides). A quoi servent-ils ? Est-ce vraiment le format ? Ne sont-ils pas trop politisés ? Le ministre belge De Gucht a d'ailleurs ouvertement posé la question (après les Finlandais et les Suédois) : "Ca existe sur la papier. Mais quand on veut les utiliser... Ce sont des militaires de papier!". Il faut aussi remarquer le silence de l'Otan sur la question. L'Organisation atlantique, d'ordinaire prompte à se saisir de toute opération potentielle, est... condamnée à l'inaction en Afrique. Et sa NRF (force de réaction rapide) n'a également jamais été opérationnelle ni engagée. La question de son utilité mérite également d'être posée (lire : Mais où est donc passée la Force de réaction rapide de l'UE ?).

(NGV)

(1) Ce sont "surtout les Français" qui ont assuré les premières reconnaissances, "nettoyant la ville, les Allemands restant sagement à l'hotel" précise un diplomate européen. La coordination entre les deux quartiers généraux d'opération à Potsdam (OHQ) et sur place (FHQ) "n'a pas été très efficace" reconnait un militaire. La présence de "deux nations-cadres a (plutôt) été source de complication", explique un document de "retour d'expérience" sur Eufor RDC.

Photo : Conseil de l'Union européenne

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “Dilemme pour les Européens: comment répondre « Non » poliment à l’ONU

  • il me paraît abusif de qualifier le Rwanda de pays anglophone. Même si l’anglais a fait une percée fulgurante à la suite du génocide de 1994,  les langues officielles demeurent le français ainsi que le kinyarwanda.

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