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Le plan BanKiMoon de réorganisation de la Minuk

(B2)BanKiMoon, le secrétaire général de l'Onu a soumis au Conseil de sécurité un rapport complet précisant à la fois les modalités de réorganisation de la Minuk et les conditions de transfert de certaines activités à Eulex (la mission européenne "Etat de droit") comme l'état des avancées politiques, économiques et juridiques du Kosovo. Le rapport rappelle « la neutralité de l’Organisation des Nations Unies à l’égard du statut du Kosovo ». Une phrase qui satisfait les Serbes, surtout de l'intérieur qui s'opposent au nouvel Etat et pour qui « la Minuk est le seul interlocuteur civil légitime au niveau international », mais irrite les Kosovars qui s'opposent au plan de réorganisation de la Minuk et veulent son départ complet. Sans le mentionner, le Conseil de sécurité a donné, le 26 novembre, ce qui ressemble à un "feu vert" à la mission Eulex, en saluant "l'intention de coopérer (de Belgrade et Pristina) avec la communauté internationale".

Le principe est le suivant : « EULEX exercera ses fonctions dans le domaine de l’état de droit selon certains principes : 1) elle respectera strictement les dispositions de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, et opérera sous l’autorité générale de l’ONU et dans le contexte de la neutralité de l’Organisation à l’égard du statut du Kosovo. 2) Elle rendra régulièrement compte à l’ONU. 3) Son déploiement dans tout le Kosovo, qui sera coordonné avec la MINUK, s’effectuera en étroite consultation avec les parties prenantes concernées, compte tenu de la situation et des préoccupations. » (Nb : les chiffres ont été rajoutés pour faciliter la lecture).

(NGV)

Nb : au 31 octobre, 52 pays avaient reconnu le Kosovo en tant qu’État indépendant, et le Kosovo avait ouvert des représentations dans 10 pays, les Serbes.

Plan en six points de réorganisation de la Minuk

« Du fait des orientations radicalement différentes adoptées par Belgrade et par les responsables politiques issus de la communauté albanaise du Kosovo après la déclaration d’indépendance,
les conditions dans lesquelles la MINUK peut s’acquitter de son mandat ont évolué. »
De ce constat, Ban Ki Moon tire une série de conséquences.

En juin, il avait présenté un rapport présentant en six points, la réorganisation dela MINUK. Il en détaille maintenant les modalités dans les six secteurs concernés - permettant surtout au nord
du Kosovo de fonctionner de manière un peu autonome par rapport à Pristina, en restant sous l'autorité de la Minuk.

I. Police. Une chaîne de commandement autonome est mise en place pour la police serbe du Kosovo et un contrôle de l’ensemble du pays reste effectif. 1° Un policier serbe du Kosovo « doué
de l’expérience requise » sera nommé comme chef par le Représentant spécial de l’ONU. Et il fera rapport au chef de la police internationale au Kosovo. 2° Des contrôleurs de la police
internationale seront déployés dans tous les postes et sous-postes, dans toutes les régions et tous les départements. Ces contrôleurs dépendront d’une chaîne de commandement indépendante. Ils
seront chargés d’assurer la primauté du droit et de veiller à ce que les policiers issus de minorités reçoivent un traitement équitable et à ce que leurs conditions de travail soient protégées
conformément à la réglementation applicable.

II. Douanes. Si le Kosovo fonctionnera comme « un territoire douanier unique », des agents internationaux des douanes, désignés conformément à la résolution 1244 (1999) du Conseil de
sécurité, seront réaffectés aux Gate 1 et 31 (bordure de la frontière avec la Serbie). « Dans la mesure du possible, ils seront déployés suivant la conception européenne de la gestion intégrée
des frontières, ce qui pourrait supposer la juxtaposition des postes frontière ». « Ils appliqueront le code des douanes du Kosovo ». La question de « la répartition des recettes provenant des
droits de douane prélevés aux points d’entrée 1 et 31 » doit encore être discutée mais ils « devraient également servir au développement des populations locales ».

III. Justice. « Le fonctionnement du tribunal dans le nord de Mitrovicë (Mitrovica) a été en partie rétabli, sous le contrôle de la MINUK » note le rapport. « Pour une période de 60 jours
au maximum ». « Ultérieurement, des juges et des procureurs locaux seront nommés conformément à la résolution 1244. « Dans la composition du tribunal, il sera tenu compte de la diversité ethnique
du Kosovo et des compétences territoriales. (sous entendu, zone serbe = juges serbes du Kosovo)

IV. Transports et infrastructures. Un comité de coordination technique sera créé par le Représentant spécial de l'ONU en vue de régler les grandes questions relatives à l’infrastructure
(routière et ferroviaire, et approvisionnement en eau et en électricité), aux flux du trafic et aux échanges commerciaux ainsi que sur des questions pratiques comme l’homologation des
qualifications.

V. Frontières. la KFOR, en sa qualité de force militaire internationale, continue, dans le cadre de son mandat, d’assurer la sécurité dans tout le Kosovo, y compris en ce qui concerne les
frontières, avec le concours d’autres organisations internationales.

VI. Patrimoine serbe. La protection internationale de l’Église orthodoxe serbe doit être et sera maintenue. Et le rapport de tracer une feuille de route : veiller à l’application des
dispositions relatives à la protection des principaux sites de l’Église orthodoxe serbe, mener des activités visant à assurer le bien-être des moines et des religieuses, telles que l’exonération
de la taxe sur la valeur ajoutée, des droits d’accise et des droits de douane pour l’Église orthodoxe serbe, définir les modalités de la reconstruction des sites de l’Église et régler la question
du rapatriement des objets archéologiques.

Transfert à Eulex en pratique

Le transfert de la Minuk à Eulex a déjà commencé de façon très concrète. Trois exemples.

Véhicules. le 18 août, les deux missions ont signé un accord portant sur la vente de l’excédent de matériel et de véhicules de la MINUK. La « mise en oeuvre de cet accord se poursuit ».

Locaux. Les bureaux dont la MINUK n’a plus l’usage sont actuellement mis à la disposition d’EULEX. La MINUK a relogé son personnel dans les locaux de son siège administratif mieux adaptés
à la taille et aux besoins actuels de la Mission et libéré le complexe du centre de Prishtinë (Pri_tina). Elle a également quitté les locaux des bases logistiques régionales dont elle n’a plus
besoin. Elle a donc pu fournir des bureaux à EULEX sans compromettre ses opérations.

Enquêtes judiciaires. Selon un « accord opérationnel sur l’accessibilité et la divulgation des enquêtes judiciaires et actions en justice connexes », le Département de la justice de la
MINUK doit faciliter l’accès des procureurs d’EULEX aux dossiers traités par leurs homologues des tribunaux internationaux et spéciaux. L’accès à certains documents judiciaires concernant des
enquêtes pénales est fourni à la composante policière d’EULEX conformément à un accord analogue, conclu en septembre. Un autre accord opérationnel est sur le point d’être conclu de façon à
permettre à EULEX de consulter les dossiers de la Division de l’appui judiciaire international.

Réactions des Kosovars et des Serbes

Position des Kosovars : rejet du plan de réorganisation mais coopération avec Eulex

Pristina a, en effet, dans une courte déclaration indiquer qu’il « rejette le document en six points dans son intégralité. » Les Kosovars précisent cependant être « favorables à un déploiement
rapide d’EULEX au Kosovo (mais) conformément au mandat prévu dans la Déclaration d’indépendance, à la proposition détaillée sur le règlement de la question du statut du Kosovo, à la Constitution
de la République du Kosovo, à la législation du Kosovo, à l’action commune de l’Union européenne du 4 février 2008 et à l’invitation que les institutions du Kosovo ont adressée à EULEX ». Et ils
coopéreront avec la mission européenne « en vue de son déploiement sur tout le territoire du Kosovo, sur la base du mandat énoncé dans (ces) documents »

Position des Serbes : acceptation du plan mais opposition au nouvel Etat (surtout pour les Serbes du nord du Kosovo).

Les Serbes - surtout ceux au nord du Kosovo - « rejettent fermement toute autorité ou symbole des institutions du Kosovo » note le rapport. Dans le nord du Kosovo, l’opposition est encore plus
radicale. « Quatre structures municipales parallèles serbes fonctionnent selon les dispositions législatives régissant l’autonomie des collectivités locales de la Serbie ». Et les « responsables
politiques serbes du Kosovo dans le nord continuent de s’opposer à l’implantation du Bureau civil international, prévue dans la proposition Ahtisaari (non approuvée par le Conseil de sécurité). «
Ils continuent également de s’opposer au déploiement de la Mission État de droit menée par l’Union européenne au Kosovo (EULEX). Ils affirment que leur position ne variera pas, quelle que soit la
voie choisie par Belgrade. » 308 policiers serbes refusent toujours de travailler. Le tribunal de Mitrovice/Mitrovica a rouvert le 3 octobre. Malgré tout, depuis l’indépendance, « il y a eu
plusieurs incidents interethniques mineurs ».

Examen des avancées du pays sur la voie démocratique et la protection des minorités

Le rapport de Ban Ki Moon se livre ensuite à un examen, sujet par sujet, des avancements : vie démocratique au Kosovo (encore trop peu ouvert aux serbes), protection des minorités, composition de
la police (10% de Serbes du Kosovo), du personnel pénitentiaire (avec obligation de recrutement pour pallier au départ de Serbes), liberté de circulation (assez respectée), retour de minorités
(trop limité), droits de propriété (il reste près de 4300 biens abandonnés), protection de l’église orthodoxe (incidents en diminution)…

Le rapport indique également certains problèmes anachroniques, comme celui des douanes au nord du Kosovo. Ainsi, depuis fin février, le service de douane de la MINUK est resté absent aux gate 1
et 31 (serbie), « ce qui a entraîné un manque à gagner pour les États serbe et kosovar estimé à 2 millions d’euros de droits de douane et de taxes sur la valeur ajoutée par semaine. La
contrebande sévit, notamment pour ce qui est du carburant, entraînant d’importants profits illicites pour le crime organisé ».

Télécharger le rapport de BanKiMoon

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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