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La réforme du secteur de la sécurité au Congo en péril?

(nb : une erreur de mise en ligne s'est produite, voici l'article complet) "L'échec annoncé de la réforme du secteur de sécurité (RSS) au Congo", c'est l'analyse de Sébastien Melmot, qui vient de rédiger une note publiée à l'Ifri - l'institut français des relations extérieures. Ce haut fonctionnaire spécialiste des questions de gouvernance sécuritaire dans les zones de conflits met en avant "les ambiguïtés, les limites et les contradictions" de la RSS au Congo. Cette politique qui "fait désormais partie du «kit de paix» au même titre que la transition sous contrôle international, les élections, l'élarabotion d'une nouvelle constitution ou la conférence des donateurs" est restée une "politique importée qui rencontre une forte résistance et subit la contrainte des enjeux de pouvoir à la fois nationaux et internationaux".

1er leçon : une politique importée et non appropriée.

Un manque de volonté du pouvoir. Il y a "une absence d'impulsion, de coordination et de vision des autorités nationales en matière de politique de sécurité". La RSS congolaise est incomplète et déséquilibrée. Deux services de sécurité importants – les renseignements civils et militaires et les services chargés du contrôle des frontières – sont hors de son
champ. Le secteur de la défense n'a toujours pas de cadre de concertation entre les bailleurs et les autorités nationales. Le nouveau cadre législatif du secteur de la sécurité est à l'état d'ébauche.

Plutôt équiper que réformer. De façon générale, "les autorités congolaises ont adopté une attitude d'évitement vis-à-vis de la demande de RSS". Tout simplement car le Congo "préfère se doter d'équipements et d'une force armée plutôt que de la réformer". Ainsi, 2007 a "été une année blanche dans la réforme de la RSS, les dirigeants congolais préférant consacrer leurs efforts à intervenir contre la milice de Jean-Pierre Bemba en mars, ou mener une campagne militaire au nord-Kivu, de septembre à décembre."

Les résistances internes. La réforme de la chaîne de paiements - séparation entre la chaîne de commandement et les responsables financiers des régimes - a été "mal vécue par une hiérarchie militaire habituée à s'immiscer de façon intéressée dans les budgets de fonctionnement".

Le trompe l'oeil financier. De même, "la dissimulation des effectifs militaires (les chiffres oscillent entre 120 et 175 000) et du budget réels de la Défense, dont les opérations s’effectuent pour une large part hors procédure budgétaire ordinaire, ne facilite pas un débat technique et sincère sur un aspect central mais non-dit de la RSS au Congo : le financement du secteur de la sécurité à un niveau adéquat."

2e leçon : un engagement limité de la communauté internationale

Le sous financement par crainte de corruption. "Les pays donateurs ont été incapables de mobiliser les sommes nécessaires pour financer la réforme. Et ils restent opposés à l'aide budgétaire en raison du mauvais état du système financier congolais". De la corruption ambiante en quelque sorte : "Le Trésor public est à la fois poreux et exsanghe".

La réintégration des milices sans contrôle. L'intégration dans la police et dans l'armée de chefs de milices ainsi que d'une partie de leurs troupes n'a pas été assortie de "vérification de leur passé criminel et de "vetting" (interdiction d'exercice en fonction des agissements antérieurs). Témoin: "le comportement actuel des forces armées sur le théâtre d’opération du Nord Kivu. A Nyanzale, zone sous contrôle gouvernemental, les violences sexuelles sont évaluées à environ 600 cas par mois et la « criminalité en kaki » se développe à Goma".

3e leçon : la concurrence des organismes internationaux et le double jeu des Etats

Mais "l'absence de coordination qui règne au sein du gouvernement congolais contraste à peine avec le semblant de coordination qui est de mise au sein de la communauté internationale, toujours prompte à demander aux autorités nationales ce qu'elle n'est pas capable de faire elle-même".

il existe une "forte concurrence entre donateurs et institutions internationales" dont l'un des enjeux principaux est "d'exercer un pouvoir d’influence sur les autorités congolaises, voire directement sur leurs forces de sécurité. L’ONU et l’UE sont dans une situation d’émulation pour jouer le rôle de leader en matière de RSS", entre les missions EUPOL – Kinshasa et EUSEC RD Congo, d'un coté, et la MONUC, de l'autre. La "question du leadership international n'a jamais été tranchée". "Pour l'ONU, il en va de la justification d'une partie de son mandat de maintien de la paix tandis que, pour l'UE, il en va de l'affirmation et de la consolidation de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD), sachant que plusieurs Etats membres estiment
avoir un rôle à jouer en Afrique et en matière de sécurité. Cette émulation concurrentielle entre l'UE et l’ONU se traduit par une "absence de coordination sincère et crée un appel d’air pour des « cavaliers solitaires », à la recherche d’un pouvoir d’influence à Kinshasa et/ou dans des forums internationaux
".

Les jeux personnels de plusieurs pays. "L’Angola, l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure et plus récemment, la Chine et les Etats-Unis mènent leur propre coopération militaire en dehors de tout cadre de référence collectif et de manière opaque". "Ces coopérations bilatérales ne s’intègrent pas dans la logique d'un appui collectif et coordonné à la RSS mais relèvent plutôt de la coopération militaire classique". Une coopération "recherchée par le gouvernement congolais qui, dès le début de 2007, a indiqué clairement sa préférence pour le bilatéralisme plutôt que le multilatéralisme dans le secteur de la sécurité". Ainsi la Chine a livré plusieurs équipements militaires. Tandis que les Etats-Unis ont proposé de former des éléments de la force de réaction rapide du Ministère de la défense. A signaler également le Japon qui soutient la création d'une police des frontières congolaises en finançant un projet de l'Organisation Internationale des Migrations.

La tentation du "cavalier seul" n'épargne pas les Européens. Ainsi, "tout en participant à EUPOL-Kinshasa et EUSEC RD Congo, plusieurs pays européens maintiennent une coopération bilatérale volontariste (la Belgique dans le domaine de la défense ou la France dans le domaine de la police) ou développent une coopération trilatérale (pour le plus grand bénéfice de l'Afrique du Sud). Les Pays-Bas, par exemple, appuient les initiatives de l'Afrique du Sud en RDC dans le domaine militaire tandis que la Grande-Bretagne appuie les initiatives du même pays dans le domaine policier".

(NGV)

(IFRI, Focus stratégique, n°9, septembre 2008) Pour télécharger le rapport.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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