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Le ministre Hutton (Uk) soutient l’Europe de la défense. Par raison?


(B2)L'idée d'un Saint-Malo bis - caressé par certains responsables français - n'est plus tout à fait un rêve. Dans une longue interview, publiée aujourd'hui dans le SundayTimes, le nouveau ministre de la Défense, John Hutton, prend la défense de... l'Europe de la défense. Un nouveau plaidoyer britannique qui intervient après d'autres (lire ici), mais cette fois-ci avec la caution gouvernementale.

La Grande-Bretagne doit réintégrer le coeur de l'Europe de la défense
Commentant les projets français de renforcement de l'Etat-major de l'UE ou de la force de réaction rapide, il explique : "Je pense que nous devons être pragmatiques sur ce genre de choses. La où cela peut aider, nous devons en faire partie". Et d'ajouter : "La France est l'un de nos plus proches alliés, militairement. Les Français croient très fermement à ce type de rôle. Si nous pouvons les appuyer, nous devrions le faire". Et s'il fallait être plus clair  : "Je ne suis pas un de ces ennemis de l'Union européenne (qui pensent) que tout ce qui a à voir avec l'Union européenne doit par définition être terrible. Il y a beaucoup d'entre eux autour (de nous). Franchement, je trouve ce genre de point de vue, pathétique".

Une nécessité stratégique. Pour Hutton, il s'agit d'une nécessité stratégique. "Faire partie d'alliances est la meilleure façon de projeter la puissance, de force et de conviction dans le monde entier. Les gens qui ne comprennent pas çà ne peuvent pas comprendre la nature du monde moderne"... On est très proche du discours de Sarkozy sur la rupture et le "nouveau monde". Concrètement, le Ministre n'envisage pas de participer à toutes les opérations de l'UE. Il ne s'agit pas de "compromettre d'autres missions". Mais il a cité l'opération de lutte contre la piraterie au large de la Somalie, comme le "bon exemple" de la manière dont les forces peuvent être utilisées.

Commentaire : une sérieuse évolution sans nul doute.
Cette prise de position est inconstablement importante. A défaut de constituer un revirement total (on a déjà entendu ce type de propos dans le passé non suivi automatiquement d'effets), elle constitue, selon moi, une sérieuse évolution qu'il faudra suivre avec attention. Et en tout cas davantage qu'une simple déclaration de circonstance. Un constat qu'il faut resituer dans un contexte qu'on peut résumer en quelques points.

1° La position britannique vis-à-vis de la PESD est à rapprocher de sa position traditionnelle sur la construction européenne qu'on peut résumer ainsi : d'abord méfiance ou réticence, voire opposition à de nouveaux projets. Puis, quand il y a succès, rattachement à la politique européenne. Le Royaume-Uni a ainsi toujours navigué entre la tentation de l'isolement, la crainte de voir des progrès s'accomplir sans lui et une réelle volonté de participation.

2° L'équilibre des forces existant au sein de l'Union européenne - créé au lendemain de l'intervention américaine en Iraq - est en train de basculer en faveur de la PESD. L'opération au Tchad a été un (des) révélateur(s) de l'effritement de la position britannique. Et l'élargissement de l'Europe a - effet inattendu - démontré que l'UE était capable de monter une opération d'envergure sans un soutien britannique.

3° La position américaine - elle-même - a évolué, le geste de G. Bush à Bucarest en avril saluant la PESD obligeait le Royaume-Uni à évoluer.

4° Le retour de la France dans l'Otan peut faire perdre au Royaume-Uni (un peu) de sa position privilégiée. Concrètement, il va falloir (aussi) partager certains postes dans les commandements de planification. Il supprime également un argument de poids : la "Pesd vue comme un cheval de troie pour miner l'Otan" - reproche certainement infondé mais très présent dans certains discours et qui nourrissait forte méfiance de part et d'autre.

5° Le poids de la réalité économique. La conjonction du coût des opérations en cours, en Afghanistan surtout, lourde d'un point de vue structurel et budgétaire, comme la gravité de la crise financière (et de la crise économique à venir) oblige à des ajustements rapides et certains choix. Le Royaume-Uni a besoin de l'Europe désormais pour sauvegarder sa place financière (comme l'Europe a besoin du Royaume-Uni pour sauvegarder sa position économique). C'est sans commune mesure avec quelques considérations, somme toute idéologiques, sur l'Europe de la défense. Le partage de certains coûts ou investissements va devoir être envisagé.

6° La PESD ne menace pas vraiment l'Otan. Ni le lien Royaume-Uni / Usa. Ces craintes paraissent infondées. A condition que le Royaume-Uni soit au
coeur de cette nouvelle politique et non à la marge. La conclusion est donc évidente : autant être au coeur de la PESD qu'à sa marge, on la contrôle mieux. Comme le dit Hutton le Royaume-Uni ne peut plus maintenir sa position de forces qu'au prix "d'alliances" renforcées.

7° La personnalité de Hutton. On ne peut nier la position "non alignée" de J. Hutton sur le peu d'enthousiasme européen du Premier ministre actuel. Blairiste, Hutton - qui avait dit pis que pendre de Gordon Brown - va ainsi plus loin sans doute que son che sur l'Europe de la défense et retrouve ainsi les accents originaux de son mentor, lors de la réunion de Saint-Malo en 1998.

8° En politique interne. Même si je ne suis pas spécialiste de la question, on peut cerner un avantage à cette position, à première vue. Elle enfonce un coin dans le camp des Conservateurs britanniques, qui avec la crise financière, peuvent apparaître un peu "old fashion". Etre moderne, ce n'est pas être contre l'Europe de la Défense, c'est être pour. Le ministre le dit à plusieurs reprises...

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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