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Comment ont été rédigées les conclusions du Conseil sur la Géorgie

(B2) Les conclusions du Conseil européen, spécialement convoqué le 1er septembre, sont un modèle de haute couture. Une déclaration assez ferme - malgré les apparences - mais pas outrecuidante pour les Russes. Prenant des mesures immédiates, elle préserve cependant l'avenir. Le tout en trois heures à peine de débat. Pour un sujet hautement difficile, c'est pas mal... On ne peut plus parler de "division" des Européens, ni de leur "faiblesse". Ces conclusions sont, en effet, d'un niveau assez fort par rapport à ce qui pouvait être entrepris.


Il faut dire que la préparation de ce sommet a été particulièrement intensive. Les diférents paragraphes des conclusions ont été, testés, examinés et réécrits avec certains "Etats sensibles" (Royaume-Uni, Pologne, Baltes, Italiens, Allemands...), explique un diplomate français. Le téléphone a beaucoup sonné dans les capitales... Les ministres des affaires étrangères de sept pays de l'Est s'étaient ainsi donné rendez-vous pour une conférence téléphonique du groupe des "amis de la Géorgie" (les trois baltes - Estonie, Lituanie, Lettonie -, la Pologne, la Hongrie, République tchèque, Slovénie) afin d'accorder leurs violons. Quand Nicolas Sarkozy arrive au Conseil européen, il a donc un texte de conclusions tiré au cordeau près, qui donne aux uns et aux autres.

La seule modification qui sera faite sera l'ajout, à la fin du texte, de la suspension des réunions du partenariat Ue-Russie "tant que le retrait militaire ne sera pas effectif" et l'envoi à Moscou (et Tbilissi), le 8 septembre, de la troika européenne (Nicolas Sarkozy pour la France et présidence de l'UE, José-Manuel Barroso pour la Commission européenne, Javier Solana, haut représentant de l'UE pour la politique extérieure et de défense). Un ajout qui ne tient rien au hasard, le paragraphe était prévu au départ - Sarkozy l'a lu en préambule du Conseil - mais il a été jugé bon de l'ajouter, à la volée. "C'est çà la négociation" précise un diplomate. "Il faut bien que le texte final ne soit pas tout à fait le texte présenté".

Ce qui n'est pas précisé, c'est que ce rendez-vous a reçu l'assentiment des Russes qui ont promis aux Français de se retirer d'ici la fin de la semaine. Sarkozy a eu un entretien téléphonique avec Medvedev la veille du sommet. Nb : au passage, Nicolas Sarkozy a reçu un "mandat" de ses pairs pour "poursuivre les discussions en vue d'une intégrale de l'accord en six points". Ce qui n'était pas non plus prévu dans le texte originel.

Exemples de cette haute couture.

Pour satisfaire d'un coté des Allemands, Italiens, Grecs (*) ou Espagnols qui désirent fort peu froisser les Russes, on parlera du "conflit ouvert qui a éclaté en Géorgie" et de "réaction disportionnée" des Russes et non "d'action disproportionnée". Sous entendu, ils n'ont fait que réagir (à une attaque des Géorgiens). Mais tout cela est sous entendu. Rien n'est mentionné sur ce qui a précédé la "réaction" (§1).

Pour faire plaisir aux Baltes, Polonais et Britanniques, on rappelle que de "telles actions militaires ne sont pas une solution et ne sont pas acceptables" (§1) et que les principes du droit international, notamment "l'intégrité territoriale" doivent être respectés. Et, surtout on demande aux "forces militaires qui ne se sont pas encore retirées sur les lignes antérieures au déclenchement des hostilités (de) le faire sans délai". Cela concerne surtout les Russes mais ce n'est pas mentionné (§4).

Le point de l'équilibre est atteint avec cette déclaration sybilline sur le fait que "chaque Etat en Europe a le droit de déterminer librement sa politique étrangère et ses alliances" (Sous entendu la participation à l'Otan). Mais "il est également légitime que les intérêts de sécurité de chacun soient pris en compte" (§3).

Les points "durs" du texte

La condamnation de la reconnaissance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du sud est forte. Non seulement, les 27 estiment que "cette décision est inacceptable", mais ils appellent également les autres Etats "à ne pas reconnaître ces indépendances proclamées". Le Conseil européen demande aussi à la Commission "d’examiner les conséquences concrètes à en tirer" (§2).

Un ultimatum : le retrait militaire. Les 27 ont assorti leur demande de respect de l'accord de cessez-le-feu d'un ultimatum très clair : "Tant que le retrait des troupes sur leurs positions antérieures au 7 août n'aura pas été réalisé, les réunions en vue de la négociation de l'accord de partenariat (UE -
Russie) sont reportées
" (§11). La mission de la troika le 8 septembre a précisé le président aura pour objectif de vérifier le retrait. "Jusqu'à là toutes les réunions sont reportés a précisé Nicolas Sarkozy lors de sa conférence de presse. Il faut préciser que ce report, cette suspension ne concerne que la négociation de l'accord de partenariat et non toutes les autres réunions. Et que la prochaine réunion était prévue ... le 16 septembre. Donc la suspension n'est que virtuelle. Nicolas Sarkozy et les 26 autres chefs d'Etat et de gouvernement n'ont plus qu'à croiser les doigts pour espérer que d'ici là, les Russes tiennent leur promesse et se retirent sur les "lignes antérieures" (c'est à dire en Ossétie du Sud et en Abkhazie).

Une évaluation des mesures possibles. Au surplus, les 27 ont demandé à la Commission  et au Conseil, les deux instances exécutives de l'UE, "d'examiner attentivement et en profondeur la situation et les différentes dimensions de la relation UE-Russie" (§11). Un bilan de cette évaluation sera faite avant le sommet Ue-Russie, le 14 novembre, qui est le premier vrai rendez-vous officiel avec les Russes depuis le début de la crise.

On peut donc parler plutôt que de mesures de "gel des relations", comme certains l'ont relaté, d'une "mise sous surveillance" comme le mentionnait un diplomate français. C'est plus exact.

L'approche positive


Après le rappel des faits et les condamnations, les 27 ont surtout préféré envisager la situation de façon positive :

1) Arrimer davantage la Géorgie à l'Europe (§6) : aide à la reconstruction, avec convocation d'une conférence internationale, préparation d'accords de libre-échange ou de faciliation des visas (il était en effet assez extraordinaire - pour ne pas dire anormal - que les Russes ainsi que les Ossètes qui avaient des passeports russes puissent bénéficier d'accords de facilitation de visas et pas les Géorgiens qui n'avaient pas un tel accord). C'était une demande de la Pologne et de plusieurs pays de l'Est qui ont, en arrière plan, l'idée de renforcer surtout les relations avec l'Ukraine, plus stratégique pour eux.

2) S'engager dans un "partenariat oriental" avec les pays orientaux et de la Mer noire (§7). Une proposition déjà mise sur la table les derniers mois mais que les 27 désirent désormais mettre au top des priorités. La Commission doit présenter un projet de partenariat en décembre et le Conseil européen l'adopter en mars prochain (sous présidence tchèque).

3) Renforcer la présence européenne dans la région, par une série de mesures de crises (§5 et §8): nomination d'un représentant spécial "conflit en Géorgie" (§8) et envoi d'une mission civile de défense.

4) Diversifier ses sources d'énergie (pour se rendre moins dépendant des Russes). Il faut "intensifier les efforts européens en matière de sécurité de l'approvisionnement en énergie" dit le Conseil européen qui demande à la Commission et aux 27 d'examiner "les initiatives à prendre (...) en matière de diversification des sources d'énergie et des routes d'approvisionnement" (§9). Une demande particulièrement soutenue par les Britanniques.

5) Raisonner  la Russie. C'est un véritable appel qui lui est lancé. "Il n'y a pas d’alternative souhaitable à une relation forte, fondée sur la coopération, la confiance et le dialogue, sur le respect de l’Etat de droit et des principes reconnus par la Charte des Nations Unies et par l’OSCE" (§10)

Anecdote : à la sortie du Conseil, l'ambassadeur russe auprès de l'UE donnait force commentaires à tous les journalistes qui le voulaient. Si sa déclaration paraissait un peu forte : "Nous allons aussi revoir toutes nos modalités de coopération avec l'Union européenne" déclarait-il notamment. Mais on avait du mal à croire ce qu'il disait. Et lui-même semble-t-il avait du mal à le croire. Le soulagement semblait assez visible du ton somme toute modéré des 27. Qui lui évitait ainsi de hausser trop le ton.

(NGV)

Crédit photos : conseil de l'Union européenne : 1- Sarkozy - Merkel (Allemagne) - Brown (Royaume-Uni ; 2-Kouchner - Sarkozy - Pöttering (Parlement européen) ; 3- Berlusconi (Italie) - Jansa
(Slovénie)- Ancip (Estonie)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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