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Ossétie-Géorgie: les 27 décidés à agir. Ce qui s’est dit à Bruxelles

(BRUXELLES2 au Justus Lipsius) La présidence française de l'Union n'avait pas vraiment prévu de conclusions au départ pour le Conseil exceptionnel des Ministres des Affaires étrangères des 27, qui s'est déroulé le 13 août. L'objectif était plutôt de rendre compte des différents rendez-vous dans la région.

Lors des réunions préparatoires, du Cops (comité de politique de sécurité) et du Coreper (ambassadeurs de l'UE), qui s'étaient déroulées la veille, le 12 août, les discussions n'avaient d'ailleurs pas pris comme base de conclusions communes. Mais la précipitation des évènements sur le terrain, ainsi que les nombreuses voix dissonantes qui se faisaient entendre au niveau européen ont changé la donne. C'est surtout l'accord obtenu des deux belligérants, à Moscou par Nicolas Sarkozy, et à Tbilissi par Bernard Kouchner sur six principes d'un cessez-le-feu (appelons principes plutôt que plan de paix) qui ont permis d'avoir un contenu à une déclaration commune (lire : Ossétie-Géorgie: les six principes du cessez-le feu). Rédigé dans la nuit et au petit matin par les diplomates français (aidés des Européens), un texte a ainsi pu être présenté au Conseil des ministres des Affaires étrangères réunis de façon exceptionnelle en ce plein mois d'août à Bruxelles.

Tout le monde était là (ou presque)

En plein mois d’août, la réunion extraordinaire des Ministres des Affaires étrangères, avait effectivement quelque chose de surréaliste. Dans des bâtiments déserts, pour cause de congé estival, tous les Ministres étaient là, ou presque. Seul l'Italien Frattini (qui avait préféré rester en vacances, aux Maldives) était absent (mais il était remplacé par son secrétaire d'Etat, Enzo Scotti, vieux routier de la démocratie chrétienne) ainsi que le Maltais. L'Irlande était représentée par son ministre du Développement, Peter Power. L'objectif était clair : avant tout montrer au public (aux belligérants et au reste du monde) un front uni européen (ou au moins un semblant d'unité).

Objectif : Faire taire les dissonances

Si le résultat – des conclusions « communes » - pourrait prêter à sourire, il ne faut pas s’y tromper. Ce texte de deux pages (télécharger ici) a au moins un mérite : non pas faire taire les différences de points de vue mais au moins faire baisser d’un ton les dissonances les plus criantes. Entre d’un coté, un ministre Britannique, David Milliband, qualifiant à l'entrée du Consil de « crime de guerre » l’action des Russes, les Baltes ou Polonais toujours prêts à en découdre (oralement) avec les Russes; et de l’autre coté, des Allemands ou Italiens prêts à passer l'éponge aux Russes, il y avait effectivement, à l’entrée de séance, un hiatus. Mais, hors des caméras, chacun s’est voulu plus conciliant. En fait, de nombreux coups de fils s'étaient échangés entre les principales capitales, notamment entre Paris et Berlin, pour aplanir les éventuelles difficultés. Comme l'avait expliqué le ministre des Affaires étrangères, Karel Schwarzenberg, avant son départ pour Bruxelles: "C’est un moment où l’Europe doit véritablement adopter une résolution commune. Il est absolument inutile que tous les pays affichent des positions différentes. Et Ursula Plasnik, ministre autrichienne, faisait un rappel au passé : "Nous n'avons pas intérêt à répéter la tragédie politique et humaine des Balkans dans le Caucase".

Une discussion plus facile que prévue

Chaque Ministre a bien entendu expliqué sa sensibilité du problème. Milliband a ainsi expliqué calmement la nécessite de respecter le droit international. Les Baltes ont demandé à ce que la ministre des Affaires étrangères géorgienne - qui traînait dans les couloirs du Conseil - soit reçue au Conseil (demande refusée, ce n'est "pas la coutume" (2) a répliqué Kouchner et ce serait aussi manqué à notre souci "d'impartialité"). Le Polonais Sikorsky a réitéré une demande de convocation d'un Sommet européen (chefs
d'Etat et de gouvernement) exceptionnel, provoquant un silence de tous les membres de la salle (ce qui équivaut à un refus unanime).

Mais la discussion sur le texte des conclusions a été "assez simple et facile", d'après un diplomate présent dans la salle. Et rapide également : trois heures de Conseil pour approuver des conclusions, c'est tout simplement, à 27, la possibilité pour chaque pays d'exprimer son point de vue et de demander quelques changements. Certains points qui figuraient en fin de texte ont ainsi été ramenés en tête (comme le rappel des principes de l'indépendance et de la souveraineté de la Géorgie). Une demande notamment de Milliband, le Britannique. D'autres ont été accentués. Comme la demande d'une mission internationale "rapide" (une demande belge particulièrement).

L'idiotie des Géorgiens, la brutalité des Russes

Plusieurs Ministres ont estimé que le jeu joué par le gouvernement géorgien était « idiot » comme l’a résumé le Belge Karel de Gucht. « Une vraie connerie » a précisé, en aparté, un autre. Mais la réaction « disproportionnée » des Russes et le « jeu dangereux » mené a été pareillement critiquée. C’est ce souci de l’équilibre qui a prévalu. En évitant de pointer trop un doigt accusateur vers les Russes. Pour Frans Timmermans, le secrétaire d’Etat néerlandais aux Affaires européennes, « il est inutile de se poser en accusateur ; il importe en premier lieu de mettre fin au conflit. Nous sommes en train d’éteindre l’incendie ».

Dans le texte, les 27 rappellent ainsi, d'un coté, le « plein respect » de la souveraineté et de « l’intégrité territoriale » de la Géorgie, sans incriminer nommément les Russes. De l’autre, ils reprennent les six principes, agréés par les deux belligérants, lors de la mission de médiation menée sur place par Bernard Kouchner et Nicolas Sarkozy.

Une intervention européenne (limitée) sur le terrain

Les 27 se sont surtout montrés prêts à « s’engager » davantage pour soutenir la paix, « y compris sur le terrain ». Le format de cet engagement reste cependant très flou « Observateurs » ou « Contrôleurs », « peu importe le nom » a commenté Bernard Kouchner, lors de la conférence de la presse qui a suivi le conseil (écoutez la vidéo). De forces de maintien de la paix, il n'en est pas question pour l'instant, de même que l'intervention d'un des Battlegroup - la force de réaction rapide de l'Union européenne (1). Ma question a fait sourire et lever les yeux au ciel Kouchner.

Trop tôt. "Une étape après l'autre" a expliqué Bernard Kouchner. "L’important est pas à pas d’arracher ce territoire à la guerre et de mettre fin aux atrocités (...) il faut que les troupes de chaque camp s’écartent, retournent dans leur baraquements ou repassent la frontière (pour les Russes). Il faut ensuite garantir le cessez-le-feu. Puis (on verra pour les) discussions politiques". Dans l'immédiat, il s'agirait donc davantage de "renforcer les corps des observateurs déjà présents dans la région. Ils ne sont pas en nombre suffisant" a expliqué Bernard Kouchner. "Ils sont actuellement au nombre de 200 et il en faudrait cent de plus", a précisé à la presse finlandaise Alexander Stubb, le ministre des Affaires étrangères finlandais (et président en exercice de l'OSCE).

Le renforcement du dispositif de l'UE dans la région

La dernière réunion du Comité politique et de sécurité de l'UE (3), fin juillet, avant la trêve estivale avait évoqué la Géorgie, et les risques croissants, et évoqué le renforcement du Représentant spécial de l'UE sur place, celui également de la délégation de la Commission, ainsi que les moyens du Sitcen (le centre de renseignements de l'UE) sur la région. Ces mesures pourraient être parmi les premières mesures mises en oeuvre.

Et maintenant !

Tout d'abord, il faut obtenir un mandat du Conseil de sécurité de l’Onu. « Le plus rapidement possible » espèrent les Européens. Un projet de résolution doit être présenté - sous présidence belge du Conseil de sécurité - par les Français au nom de l'Union européenne.

Ensuite, les spécialistes européens doivent évaluer plusieurs pistes d’intervention (le travail a déjà commencé au Kortenberg, le batiment de l'Etat major de l'UE à Bruxelles). Ces pistes seront testées, discrètement et de façon informelle, auprès des belligérants, afin de s'assurer qu'elles sont possibles. Une réunion du Comité politique et de sécurité de l'UE (Cops) est programmée le 26 août sur le sujet.

Enfin, il reviendra aux Ministres des Affaires étrangères de se prononcer sur le format choisi. La réunion informelle (le gymnich), d'Avignon, les 5 et 6 septembre pourraient être l'occasion d'une première décision. A ce "gymnich", aussi, on devrait aborder la question de la conduite à tenir avec les Russes (des sanctions ou mesures de rétorsion comme le demandent les Britanniques et les Baltes surtout).

(NGV)

(1) C'est le Battlegroup franco-Allemand-Belgo-Espagnol qui est de permanence ce semestre (avec un autre groupe britannique). Lire : Eufor Philemis

(2) Ce qui est effectivement le cas. Ne participent au Conseil que les Etats-membres. Ce qui n'empêche pas la présidence de recevoir en marge du Conseil, certains Ministres. ce qui a été le cas ici. La ministre géorgienne étant reçue par Solana et Kouchner.

(3) Le COPS, est composé des ambassadeurs des 27 spécialistes en matière de diplomatie et de défense. Il a vocation à préparer les dossiers les plus stratégiques ou confidentiels en matière d'action de défense de l'UE. C'est cette instance, par exemple, qui a donné le feu vert "diplomatique" aux dernières opérations européennes au Tchad ou au Kosovo.

Crédit photo : Conseil de l'Union européenne - Solana, Kouchner et Olli Rehn lors de la conférence de presse, le 13 août - Pfue, Kouchner (France) et Luís Amado (Portugal).

NB : une première mouture (plus succincte) de cet article est parue dans Ouest-France du 14 août.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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