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Histoire européenne

[Yougoslavie Mémoire d’un désastre] 2000-2010: Europe gestionnaire, stabilisatrice, réunificatrice?

(B2) A partir de 2000, et le Sommet européen de Zagreb, sous présidence belge, l’Europe met en place une nouvelle stratégie, de stabilisation et d’adhésion progressive de la région à l’Union européenne. Des négociations sont entamées avec la plupart des pays de la région. Stratégie qui fonctionne apparemment. La région n’est pas pacifiée. Mais la stabilisation peu à peu gagne du terrain. C’est l’agenda – visant à terme l’adhésion de tous les pays - qui est fixé à Thessalonique, en 2003.

Très vite, la Croatie, tout d’abord, puis, malgré de graves incidents, en 2001, la Macédoine, demandent le statut de pays candidat. Le Monténégro se sépare de la Serbie, pour ne pas être retardé dans ce rapprochement européen. Le problème bosniaque n’est pas réglé. Mais c’est la question du Kosovo (qui est l’épicentre de la crise yougoslave depuis 20 ans) qui reste la plus épineuse à résoudre.

Il ne faut pas se cacher. La négociation de ces accords de stabilisation est, en effet, une phase-test à l’adhésion proprement dite. Ce sont les mêmes sujets qui sont négociés. Et, bien souvent, le contenu réel des négociations est révélateur de la politique « réelle » du pays engagé, au-delà des déclarations politiques publiques (cf. conditions de négociation de l’accord avec la Serbie). De fait, si l’accord de stabilisation est bien appliqué, la négociation de l’adhésion pleine et entière peut ensuite aller très vite. Placé sous une sorte de protectorat international – sous mandat de l’Onu et administration mixte (internationale – européenne) —, l’ancienne province albanaise du Kosovo a raté son indépendance au début 2007. Le plan Ahtisaari a été rejeté par les Russes et les Serbes.

Au sommet de Bruxelles, en juin 2007, les Européens ont d’autres chats à fouetter. Ils cherchent à panser leurs plaies issues de l’échec de la Constitution européenne et à remettre en selle un nouveau Traité européen. L’échec de 1991 va-t-il se rééditer sur un deal – approfondir l’Europe sur en faisant le deuil des Balkans ou se diviser sur les Balkans ? La réalité prend une tournure différente. Même si les protagonistes ne le reconnaissent pas tous alors ouvertement, la leçon du passé est dans toutes les têtes. Plusieurs des protagonistes ont vécu l’échec des années 1990 et ne veulent pas le reproduire. Le Portugais Barroso, à la tête de la Commission, le Luxembourgeois Juncker, le Français Bernard Kouchner, le Suédois Carld Bildt, le haut représentant Javier Solana… sont, en quelque sorte, des « orphelins » de la première « impuissance » européenne. Ainsi, durant de longues heures en juin, parallèlement aux discussions que mènent les chefs d’Etat, les ministres des Affaire étrangères tentent de préserver une unité mise à mal par la possible indépendance du Kosovo (« c’est la guerre de tranchée, c’est pire qu’au Kosovo presque » dira un participant à cette réunion). Ces discussions se poursuivront, plusieurs mois durant (lors d’un dîner Ue-Otan, début décembre, notamment), afin de rapprocher les positions.

2008. C’est à la Slovénie, première des anciennes Républiques yougoslaves à avoir déclarer son indépendance, et la seule jusqu’ici à avoir réussi à adhérer à l’UE — le premier également des nouveaux Etats ex-communistes —, que revient le soin de gérer ces questions en tant que présidence de l’UE. Singulier retournement de l’histoire. Elle doit notamment fixer une date d’adhésion et une feuille de route à ses anciens partenaires de Yougoslavie ; avant la France, qui prendra la présidence au 2e semestre 2008.

La Serbie demandera-t-elle son adhésion à l’Europe, rapidement ? En tout cas, la Commission européenne, suivant cette politique de stabilisation, est bien décidée à accélérer les étapes, en échange de l’indépendance du Kosovo. Région que, paradoxalement, lors des négociations, la Serbie n’a, à aucun moment, demandé à inclure dans la négociation (un fait peu connu du public et totalement passé sous silence en Serbie).

2009-2010.
L’objectif européen, même s’il n’est pas affiché, est un scénario du type : adhésion de la plupart des pays de la zone, surtout des deux ennemis historiques – Serbie et Croatie – dans un même mouvement, à défaut d’un même moment, avec une mise en orbite, progressive, de l’autonomie puis de l’indépendance du Kosovo.

Si l’Union européenne réussit au Kosovo en 2008, et dans les Balkans en 2009, là où elle avait échoué dans les années 1990, l’Europe aura au moins réussi, à tourner une page douloureuse de son histoire. Si elle échoue, ce sera terrible pour la région, pour l’Europe aussi. Dans tous les cas, elle n’échappera pas à une question fondamentale : sa responsabilité dans les évènements passés.

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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